Par Gilbert Rémond,
17 janvier 2016
(Il commente la photo du corps de l'enfant Aylan noyé sur une plage)
Cette photo me fait mal même si elle est juste, et son commentaire très exactement juste. Elle me fait une décharge dans les tripes qui traduit l'horreur et son vécu. Je parle bien entendu de la photos d'Aylan qui en son temps déjà m'avait scandalisé.
J'ai écris à ceux qui me l'imposaient qu'elle était insupportable à ma vue parce qu'elle remuait des choses trop intimes au sujet de la mort d'un enfant mais aussi parce qu'il était indécent d'utiliser sa dépouille. Ils ne savent même plus respecter la mort! Ils ont dit que c'était pour faire prendre conscience, que cette photo allait pouvoir sauver d'autres enfants, que grâce à lui le monde se réveillerait, allait pouvoir devenir plus humain, plus solidaire, moi je pense au contraire qu'ils ont surtout joué sur le sensationnel pour faire du fric et créer de l'émoi.
Tout doit faire image et toute image devenant monnayable, devenir valeur, mais l'enfant lui que valait-il ? Rien, sinon l'argent que les passeurs ces nouveaux naufrageurs avaient déjà tiré de lui!
Je pense à Pasolini, à ce qu'il disait de cette société de consommation et de ce qu'elle nous amenait, à savoir le fascisme..... nous y sommes, nous le voyons venir bardé de bons sentiments et de morale. Todd avait raison sur le sens du mouvement de soutien à Charlie en janvier dernier, mais peut être déjà Althusser quand il s'en prenait à l'humanisme bourgeois. Vous le voyez au travail cet humanisme bourgeois!
On pleure sur la dépouille d'un enfant plaisamment exposé sur toutes les unes des grands quotidiens, on fait toute une promotion des réfugiés que les démocraties se doivent d'accueillir par souci d'humanité et de solidarité mais en cachant soigneusement la face inavouable de cette campagne, la demande pressante du patronat allemand d'avoir d'un coup, sans coût, à sa disposition une main d 'œuvre qualifiée bon marché! Et puis soudainement tout bascule dans une nuit de la Saint Sylvestre.
Les bons réfugiés ont des mains de "tripoteurs de fesses"! Charlie qui jamais ne manque une bonne occasion d'apporter de l'eau au moulin de son maitre, produit ce dessin ignoble mais je suis désolé le stylo enfoncé dans le dos d'Aylan ne vaut pas mieux que l'infamant dessin.
La photo, toujours la photo de l'enfant, de l'enfant doublement sacrifié sur l’hôtel des représentations de la bonne conscience libérale libertaire, cette nouvelle livrée de la morale bourgeoise et ses attributs modernisés de la raison occidentale. Mais voila quelque chose a eu lieu durant cette nuit dont on ne comprend pas tous les tenants et les aboutissants, ni de quoi ils rendent compte, d'abord parce que vu de chez nous, j'entends depuis notre condition "d'occidental" ce qu'elle nous montre relève de l'incompréhensible, du non vu, justement du point de vue de la conception abstraite et idéologique de notre morale, ou plus justement, des représentations de notre être civilisationnel. La conscience que nous en avons est mise en hébétude, pourtant nous devrions nous rappeler que Freud sentait monter quelque chose de cet ordre quand il écrivait "son malaise dans la civilisation" décrivait les mécanismes du moi dans les mouvements de foule et quand plus tard, à la veille de la grande nuit barbare qu'allait devenir la deuxième guerre mondiale, il proposait sa deuxième topique articulée à la pulsion de mort?
Le blog " les Crises" proposait il y a quelques jours un article ou plus exactement un recueil d'articles que vous trouverez plus bas, sous une rubrique qui reprenait le titre de l'un d'eux " Anti- racisme et féminisme, des valeurs incompatible?"
Anti-racisme et féminisme étaient au côté de l'écologie, deux des nouveaux fronts que les liquidateurs du parti communiste italien pensaient pouvoir substituer à celui de la lutte des classes devenu archaïque et trop clivant, en tout cas insuffisant pour construire le grand rassemblement des démocrates qu'ils aspiraient à conduire vers une nouvelle conception de la politique. Les camarades prenaient une nouvelle identité, celle du citoyen qui représentait de nouveau, après la parenthèse marxiste léniniste, la vérité de l'homme en tant que personne allégorique morale. Ils rejetaient, dans une décision "historique" la leçon de Marx pour qui une telle occurrence n'était autre que celle de la figure de l'individu égoïste apparu sous une forme abstraite.
Cet aggiornamento audacieux salué par toute les démocraties s'opposait à tout l'apport de Marx qui pensait que l’émancipation humaine ne pourrait devenir réalité que "lorsque l'homme aura reconnu ses propres forces sociales et les aura organisés comme telles, et que par conséquent il ne séparera plus de lui la force sociale sous la forme politique" .
Faisant fi de ce que nous enseignait l'histoire du mouvement ouvrier et la lutte de classe, ils tournaient le dos à l'histoire, au progrès et au développement de la démocratie pour les plats de lentilles du pouvoir bourgeois. Nous en voyons les conséquences. Antiracisme et féminisme sortis du contexte des forces sociales se retrouvent vidés de leur portée universaliste. Partout le fascisme s'infiltre dans les failles laissées, jouant le clivage, partout où les valeurs prolétariennes ont été reniées.
Libération n'est pas en reste et depuis longtemps dans cette univers défraichi il laisse courir ses ambiguïtés à pleines lignes, donnant sous prétexte d'informer la parole à qui apporte de l'eau à son moulin. Il suggère au lieu de prendre position en écrivant par exemple, ce que dit un ancien élu social-démocrate de Berlin, cette perle " le problème c'est l'image des femmes qu'ont de nombreux migrants venus du Moyen Orient", ou en insinuant avec bonhommie " que l’alcool a sans doute joué un rôle". Suivent d'autres articles, l'un de Philippe Grasset l'autre franchement plus conservateur de John Laughland et les commentaires qu'ils suscitent auprès de lecteurs.
Ces articles posent un certain nombre de questions que nous aurions tort de balayer d'un revers de main. Nous devons en prendre connaissance et travailler les interrogations qui s'y révèlent mais je dois dire que j'ai été choqué à plus d'une reprise au cours de la lecture que j'en ai faite, choqué et peut être déstabilisé par ce qu'ils pourraient impliquer si nous ne savons pas reprendre l'initiative.
Pour autant nous voilà plongé dans un courant violent, celui où s'affrontent des modes de vie différents mais où surtout frustration et sentiment de rejet s' additionnent dans de dangereux cocktails.
Ne faut-il pas voir dans cette "massification " transgressive un des effets du "désir d'Occident" dont nous parlait Alain Badiou dans son texte sur les crimes de masse? Désir de la chose Occident et de ses manifestations hollywoodiennes, dont le sexuel en tant qu'objet de consommation est à la fois le symptôme et le totem.
Pourtant je me rappelle la campagne tentée il y a quelques années à propos des gangs de banlieue qui infiltraient les manifestations de lycéens pour les dépouiller ou profiter de leur manque d'expérience et d'organisation pour se livrer au pillage. Là aussi les images ne manquaient pas. Ni les chroniques alarmées.
Quant à l'idée proposée d'une organisation de ces comportement dans plusieurs villes successivement je ne sais qu'en penser précisément mais pourquoi ne pas s'interroger aussi sur le sens et la fonction de ces fêtes de la Saint Sylvestre, de leur surgissement en tant qu’événement de masse accompagnés et encouragés par les médias ?
Si Philippe Grasset voit un krach de civilisation dans ces événements, Klaus Stein, le secrétaire de la section du DKP donne une interprétation des faits beaucoup plus nuancée et distanciée, par contre pour lui, "le sentiment d’impunité conduit à la dissolution du droit". Des derniers vestiges du droit d’asile ? De la Convention de Genève sur les réfugiés ? Car pour mener la guerre contre le reste du monde, l’impérialisme à besoin de la forteresse Europe vis-à-vis de l’extérieur et de la terreur chez lui. Il donne en effet un ton différent et remet les pendules à l'heure en appelant à la mobilisation et en lançant le mot d’ordre : " non au racisme, non à la violence sexuelle".
Pendant ce temps, chez nous, la gauche de la gauche, logique avec elle-même déraisonne une fois de plus. Elle lance par l’intermédiaire de l'une de ses porte-paroles ce qui devient un exercice classique d'antisoviétisme chez elle, une violente attaque contre l'Armée Rouge qui à soixante dix ans de distance continue de hanter les nuits de ceux qui préféraient Hitler au Front Populaire. "Doit -on salir les libérateurs d'Auschwitz pour blanchir les salafistes"?
Marc Cohen lui répond et lui montre le combat des femmes soviétiques.
Gilbert Rémond