L’idéologie conservatrice dominante tisse un lien logique entre la gouvernance soviétique et le régime actuel de Vladimir Poutine.
Jeunes et vieux adhèrent massivement

Une majorité de Russes (52%) désire un retour à l’économie planifiée soviétique, révèle un sondage publié la semaine dernière par le Centre Levada.

Jamais ils n’avaient été aussi peu (26%) à se satisfaire du modèle fondé sur la propriété privée et l’économie de marché. Les 22% restant ne se prononcent pas.

Quant au modèle politique, 37% préfèrent le soviétisme, 23% le système actuel et 13% seulement (du jamais vu) optent pour la «démocratie sur le modèle occidental». 8% veulent un autre modèle (non défini) et 19 ne se prononcent pas.

Si le modèle soviétique a le vent en poupe, ce n’est pas uniquement à cause de la crise économique qui plonge le pays dans la récession depuis deux ans. Dans les médias dominants, contrôlés par le pouvoir, l’époque soviétique n’est présentée que sous ses aspects positifs, culminants avec le triomphe de l’Armée rouge sur Hitler.

Une période de stabilité, de grandeur internationale et d’exploits scientifiques.

Le retour du culte de Staline

L’URSS n’a jamais disparu des cœurs, car sa dissolution de 1991 a été suivie d’une brutale chute du niveau de vie des Russes. Le Kremlin s’est gardé d’effacer les symboles du passé. Les statues de Lénine occupent toujours la place centrale des villes et villages. Le culte de Staline refait surface, des bustes lui sont érigés, des éloges lui sont adressés par des personnalités médiatiques. Le ministre de la Culture, Vladimir Medinski, promeut activement la peinture réaliste socialiste et a ouvert en grande pompe ce mois-ci une exposition consacrée au portraitiste préféré de Staline.

En toute logique, la nostalgie de l’URSS domine chez les plus de 70 ans. «Le système soviétique était plus juste et les rapports humains plus sains, explique Lidia Antonova, 67 ans, comptable à la retraite, recevant Le Temps dans son petit deux pièces d’un immeuble vétuste et éloigné du centre de Moscou. «Il n’y avait pas tous ces oligarques et ces bandits qui volent en toute impunité. On vivait chichement, mais on savait ce qui nous attendait le lendemain. On se sentait protégés», explique-t-elle dans sa cuisine, où la télévision est allumée en permanence. «Avec Poutine, la situation s’est améliorée, poursuit Lidia. Mais aujourd’hui, la hausse des prix est telle qu’on se demande si on ne va pas à nouveau se retrouver dans la misère. C’est pourquoi je pense qu’on ferait mieux de revenir à l’économie soviétique».

Quand on évoque les queues interminables devant les magasins, l’impossibilité de voyager à l’étranger à l’époque de l’URSS, elle rétorque: «Mais aujourd’hui, je n’ai pas les moyens d’aller à l’étranger! En plus, on ne nous aime pas beaucoup là-bas, en Occident. Je ne veux pas me reposer chez des gens qui méprisent les Russes.»

Une jeunesse profondément conservatrice

Plus étonnant, le modèle soviétique séduit la jeune génération, qui a grandi pendant les quinze ans de pouvoir de Vladimir Poutine. A deux générations d’écart, les propos de Dmitri Zakharov, 30 ans, député pro-Kremlin d’un arrondissement de Moscou, sonnent comme un écho aux propos de Lidia Antonova. «Je ne suis jamais allé en Europe parce que je trouve humiliant que nous autres Russes soyons obligés de demander un visa, explique-t-il. Par conséquent, si je me rends un jour en Europe, ce sera comme mon grand-père: dans un tank

Son grand-père, soldat de l’Armée rouge, est allé jusqu’à Berlin en 1945.

Admirateur de l’ère soviétique, il s’oppose dans un langage châtié à ceux qui veulent rebaptiser les rues portant les noms de bolcheviques. «Vous qui critiquez les bolcheviques, Lénine et Staline, mais qui ne critiquez pas Poutine, vous êtes des m…», écrit-il sur son compte vk.com, le principal réseau social russe. Il explique que l’année 1937 (dite de la «Grande Terreur» stalinienne) «n’est pas aussi dramatique qu’on le raconte. La purge a simplement permis de remplacer les révolutionnaires par de bons gestionnaires».

Sa page déborde d’injures à l’égard des «libérastes» (néologisme qui mélange les mots «libéral» et «pédéraste»), qu’ils soient pour ou contre Poutine. Admirateur fervent de la politique étrangère actuelle du Kremlin, qu’il voit comme la continuation de l’interventionnisme soviétique, il milite en faveur des Russes du Donbass et de l’indépendance des Kurdes de Turquie. «L’URSS a toujours volé au secours des peuples frères opprimés», insiste-t-il. A l’inverse, Ukrainiens, Baltes, Géorgiens et autres doivent revenir sous la tutelle de Moscou. «Je suis pour la reconstitution de l’URSS. C’est un processus logique et l’histoire est en marche

Ces opinions sont très répandues au sein de la jeunesse. «Notre jeunesse est profondément conservatrice, au contraire de la jeunesse ukrainienne, note Alexeï Levinson, sociologue au Centre Levada. C’est un phénomène singulier. Et c’est précisément dans la tranche d’âge des moins de 25 ans que Poutine obtient le plus fort soutien [91%]». Le président russe a su habilement s’insérer dans un récit historique néo-soviétique triomphant. En expurgeant évidemment les échecs, et surtout Lénine, figure indésirable parce que révolutionnaire.