Si vous souffrez du spleen – et qui n’en souffre pas aujourd’hui – vous devriez rire. Le rire est le remède souverain contre toutes les catastrophes. Et si vous avez du mal à rire – et qui n’a pas du mal à rire aujourd’hui – je vous conseille vivement la lecture des communiqués du Parti de Gauche. Difficile de faire mieux.
Tenez, par exemple, prenons la dernière perle produite par cette organisation. Il s’agit d’un communiqué signé par l’ineffable Martine Billard – si, si, elle existe encore – le mercredi 15 juin 2016 et dont voici le texte intégral :
Intolérable : EDF fait tout pour ne pas fermer Fessenheim. EDF refuse de déposer d’ici fin juin la demande d’abrogation d’exploitation de la centrale nucléaire et fait un chantage à l’indemnisation. La direction d’EDF espère-t-elle la victoire de la droite en 2017 pour ne jamais avoir à fermer Fessenheim ?
Il est intolérable qu’une décision politique puisse ainsi être bafouée.
Le Parti de Gauche exige que l’engagement de fermeture soit respecté.
Oui, vous avez bien lu : « il est intolérable qu’une décision politique puisse ainsi être bafouée ». Dont acte. Mais que dire de la « décision politique » de construire l’aéroport de Notre Dame des Landes, par exemple ? Est-il « tolérable » qu’une « décision politique » prise depuis des années soit « ainsi bafouée » ? Et la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, empêchée par des manifestations et des actes de vandalisme que le Parti de Gauche soutient, en défiance des « décisions politiques » ? Et l’EPR de Flamanville, dont on exige que la construction s’arrête alors que les « décisions politiques » vont dans le sens contraire ? Et tous ces grands projets qualifiés de « inutiles » où le Parti de Gauche exige en permanence qu’on « bafoue la décision politique » en les arrêtant ?
Dans cette courte déclaration, Martine Billard illustre à la perfection la conception de l’argumentation politique qui est celle d’une certaine « gauche radicale ». On se scandalise de la violation des principes sacrés, mais ces principes ne sont sacrés que quand ils aboutissent à une conclusion préétablie. Lorsqu’ils vont dans le sens contraire, on peut les « bafouer » sans crainte. Devant deux situations de même nature on aboutit, en fonction de ses inclinations, à utiliser des raisonnements totalement opposés. Lorsque la « décision politique » vous agrée, il est « scandaleux » de la « bafouer », puisque cela revient à insulter le peuple souverain.
Lorsqu’au contraire la « décision politique » ne vous convient pas, tout à coup elle perd de sa sacralité et on invoque le droit d’une minorité éclairée à la « bafouer » par tous les moyens.
Cette conception n’est pas le fruit du hasard. Elle est intimement liée à la vision de l’individu-roi qui traverse notre société en général et une certaine « gauche » en particulier. Classiquement, la pensée suit une démarche institutionnelle qui vise la construction d’une solution par application de principes généraux à une situation concrète. Ce sont des règles agréées en commun et instituées qui déterminent la conclusion dans chaque cas concret, et qui le déterminent indépendamment de la volonté, des envies ou des détestations des acteurs. C’est cette démarche qui aboutit à l’idée qu’un tribunal juge en fonction de la loi, et non en fonction des opinions morales des parties – ou des juges.
La démarche exemplifiée par Martine Billard fonctionne à l’inverse : l’individu choisit la solution qui lui convient, et construit ensuite à rebours un raisonnement qui aboutit à cette conclusion. La première démarche est analytique, et vise à comprendre une situation dans un cadre donné. La seconde est justificative. Elle prétend trouver des justifications à une conduite choisie par avance. Ainsi, chaque individu peut choisir sa conduite en étant assuré qu’elle sera justifiée par le raisonnement ad hoc.
Cette démarche est d’ailleurs illustrée dans un certain nombre de cas récents, ou des avocats – soutenus par des dirigeants politiques – ont exigé aux juges de s’écarter de la loi commune pour faire prévaloir leurs convictions personnelles.
Le grand danger contenu dans cette vision est que le réel cesse d’avoir la moindre importance. En effet, l’argumentation justificative part d’un préjugé et somme ensuite le réel à s’y conformer. Quitte à réécrire l’histoire ou inventer des « faits » inexistants. L’exemple le plus remarquable est la rhétorique antinucléaire de Jean-Luc Mélenchon, rhétorique évolutive d’ailleurs en fonction des opportunités du moment. La conclusion qui sert de point de départ est « on peut se passer du nucléaire », et à partir de cette conclusion on construit la démarche justificative. Ainsi, en 2012 Mélenchon soutient que « la géothermie peut remplacer le nucléaire ». Une affirmation tellement absurde au vu des ordres de grandeur qu’elle aurait du interroger les propres partisans du candidat. Mais personne n’a dit mot. Pourquoi ?
Parce que dès lors qu’un raisonnement conduit à la « bonne » conclusion, il est automatiquement validé. Ce n’est pas son exactitude, mais son pouvoir justificatif qui en fait le poids. Tant qu’il satisfait cette condition, il ne sera jamais examiné ou remis en question. En 2017, dans un autre contexte, ce n’est plus à la géothermie qu’incombe de remplacer le nucléaire dans la bouche du candidat récidiviste, mais aux énergies marines. Personne bien entendu ne s’interrogera sur la mystérieuse disparition d’une source d’énergie qui, si l’on croit les déclarations de 2012, pouvait générer l’équivalent du parc nucléaire mais qui cinq ans plus tard disparaît du discours, comme si en cinq ans la terre s’était refroidie…
Personne non plus n’ira regarder les ordres de grandeur des énergies de la mer, et c’est heureux pour Mélenchon parce que là encore les chiffres démentiraient ses affirmations (1).
Ainsi, petit à petit, la réalité disparait derrière une accumulation d’arguments irrationnels, de faits inventés, d’approximations qui finissent par constituer une réalité de substitution. Et l’accumulation rend chaque fois plus difficile le retour au réel. Comment en effet remettre en cause les erreurs et les approximations d’hier sans remettre en question les hommes et les structures qui ont permis que ces bobards soient dits et relayés sans que personne ne dise « stop ! » ?
Descartes
"pro rege saepe, pro patria semper"
le 16 Juin 2016
(1) La production d’électricité géothermique dans le monde est de l’ordre de 70 TWh par an. Elle est concentrée dans les pays où l’activité tellurique et volcanique est forte (« anneau de feu » du pacifique, rift africain…). En France, les ressources géothermiques utilisables pour la production d’électricité en dehors des territoires d’outre-mer sont négligeables. Quant aux énergies marines, le potentiel de la seule filière véritablement industrielle – l’éolien en mer – est estimé autour de 15 TWh par an. La production totale du parc nucléaire est de 450 TWh par an, c’est dire qu’on n’est pas près de le substituer par la géothermie ou par les énergies marines…