Situation du conflit en Syrie : en rouge le régime de Damas ; en vert les "rebelles" ; en noir l'Etat islamique ; en jaune les kurdes. Carte Wikipédia du 6 octobre 2016
Les lignes bougent à grande vitesse en Syrie alors que les médias pointent leurs objectifs vers la capitale économique du pays, Alep, où les forces de l’Etat syrien, appuyées par les milices chiites, les troupes iraniennes et l’aviation russe, mènent une campagne terrestre pour reprendre quartier par quartier l’Est de la ville sous contrôle des rebelles islamistes dominés par l’ex-Front al-Nosra.
La reprise complète de la ville d’Alep serait une consécration pour le régime de Damas qui s’en servirait comme d’un levier diplomatique dans le cadre de futures négociations internationales : il s’agit pour Bachar el-Assad de montrer qu’il contrôle bien la « Syrie utile » et que sa guerre de contre-insurrection, certes lente et très meurtrière pour les populations civiles prises en otage par les islamistes qui s’en servent comme de boucliers humains dans cette partie de la ville, est efficace contre tous ceux qu’il dénomme les « terroristes ».
Comme le disait récemment Fabrice Balanche, une guerre de contre-insurrection est une guerre d’usure qui consiste, sur le terrain, à démontrer qu’on est l’acteur qui fait le plus peur à tous les autres et qui est insensible à la pression médiatique, bref, que rien en peut faire déroger de sa ligne stratégique et de son approche tactique. En d’autres termes, on pourrait dire qu’il s’agit pour Bachar el-Assad de rappeler que l’Etat est celui qui dispose du monopole de la violence (son caractère légitime étant évidemment sujet à caution dans le cadre d’une guerre civile…). et que « L’Etat, c’est moi » pour sortir justement son pays de l’état d’anarchie. Si le régime de Damas parvient à contrôler ainsi l’ensemble des grandes villes de Damas, de Lattaquié, de Homs, de Hama, d’Alep et, plus symbolique qu’autre chose, de Palmyre, il pourra considérer que l’essentiel de cet objectif aura été réalisé.
Il restera à la myriade de rebelles islamistes quelques zones dispersées autour de Damas, de Homs, de Hama, mais aucun bloc stable sinon le gouvernorat d’Idleb qui, au Nord, jouxte la Turquie. Si les forces gouvernementales syriennes sont passées à l’offensive à Alep, c’est aussi qu’un grand nombre de rebelles présents autour de cette ville sont partis plus au Nord pour participer dans le cadre d’une Armée Syrienne Libre (ASL), remise au goût du jour, à l’opération turque « Bouclier de l’Euphrate ». Trois nouveaux groupes de rebelles syriens ont été créés dans le cadre de cette opération : Liwaa thouar al-Haraka ; Liwaa el-Qadissiya ; Liwaa thouar al-Jazira.
De quoi s’agit-il ?
A la suite d’un accord entre Ankara et Moscou, il s’est agi d’autoriser la Turquie à mener une opération de nettoyage de la frontière Turco-syrienne de la présence de Daech, notamment dans la ville de Jarabulus. D’après le quotidien libanais L’Orient le Jour, « le compromis trouvé avec les Russes était d'opérer dans les limites d'une zone de 90 km de largeur et de 12 km de profondeur ». Il s’agissait donc d’empêcher le passage d’armes, de pétrole et de djihadistes de l’Etat islamique, mais aussi d’empêcher la constitution d’un corridor kurde qui aurait pu se constituer à partir de la reprise de la ville de Manbij cet été par les Forces Démocratiques Syriennes, dominées par les YPG, branche armée du parti politique kurde PYD, qui souhaite créer une Rojava (Kurdistan syrien) unitaire réunissant les trois cantons historiquement kurdes d’Afrin, de Kobané et de Djéziré (d’Ouest en Est).
Pour les Turcs, le nom même de « Bouclier de l’Euphrate » est une mise en garde aux Kurdes de Kobané de ne pas franchir l’Euphrate vers l’Ouest pour rejoindre le canton d’Afrin. Pour l’instant, l’étape primordiale des forces turques et des rebelles qui les accompagnent est de reprendre le village très symbolique de Dabiq actuellement aux mains de Daech. Symbolique car dans sa propagande, l’Etat islamique considère que Dabiq (qui est aussi le nom de l’un de ses magazines ) sera le lieu de l'ultime bataille avant l'Apocalypse entre musulmans et infidèles.
Les Turcs iront-ils plus loin ? S’ils veulent définitivement empêcher les Kurdes de constituer un corridor, ils devront aller plus au Sud … jusqu’à rejoindre les lignes de défense contrôlées par le régime de Damas juste au-dessus d’Alep. Dans cette hypothèse, les Turcs devront reprendre la ville d’Al-Bab (100 000 habitants) qu’ils ont déjà commencé à bombarder. Qui prendra Al-Bab ? Il est possible que les Kurdes puissent l’atteindre mais Ankara aura du mal à le tolérer et pourrait donc tout faire pour ne pas permettre aux Kurdes de prendre Al-Bab, ce que craignait déjà en juillet dernier Patrice Franceschi dans une interview accordée au Figaro. Le sort de la ville dépendra sans doute...
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