En 2005, il s'agissait de faire voter pour le Oui. En 2017, il s'agit de faire voter pour Emmanuel Macron
L'actuelle campagne pour le second tour des présidentielles rappelle la campagne du référendum sur le TCE (Traité Constitutionnel Européen) de 2005. Certes, l'objet et le cadre formel sont différents : en 2005, il s'agissait de voter Oui ou Non à un texte dans un scrutin à un tour. En 2017, il s'agit de changer l'exécutif et le législatif dans un scrutin à deux tours.
Ces considérations de forme mises à part, quels sont les points communs ?
- En 2005, il s'agissait de faire voter pour le Oui. En 2017, il s'agit de faire voter pour Emmanuel Macron, et ce dès le premier tour. Dans les deux cas, la cause à promouvoir est présentée de façon "sexy" : en 2005, le Oui, c'était l'Europe, c'est-à-dire le progrès économique et social, la paix, l'avenir, l'emploi, l'ouverture aux autres. Le Non, c'était la régression, le repli sur soi, le déclin économique, la guerre, le sectarisme.
- En 2017, il s'agit moins de faire voter contre Le Pen que pour Macron. L'accent mis sur le "danger" Le Pen est un leurre et une supercherie. Les soutiens de Macron savent que leur poulain ne risque pas grand chose et que le principal enjeu n'est pas qu'il gagne, mais qu'il gagne avec le plus d'écart possible sur sa concurrente afin qu'il ait les coudées franches pour mener sa politique néolibérale. Une victoire étriquée - par exemple à moins de 51 % - serait pour lui un handicap.
- Et, pour cela, le candidat est présenté lui aussi de façon "sexy" : il est jeune (comme si la jeunesse du corps postulait celle des idées...), il est beau gosse. [Remarquons qu'il s'agit là des mêmes qualités qui valurent 15,6 % des suffrages à Jean Lecanuet en 1965 : jeune (à l'époque 45 ans), séduisant et représentant de l'atlantisme]. Le candidat Macron est séduisant, brillant (Sciences Po, ENA), efficace (Banquier d'affaires chez Rothschild), secrétaire général adjoint de Élysée, ministre de l'économie, etc.
- Et la presse people le présente de façon "glamour" avec son épouse, en jouant sur le ressort romanesque, dans l'esprit des Français férus de leur littérature, du thème de l'amour d'un homme jeune et d'une femme plus âgée : Phèdre et Hippolyte, madame de Warens et Rousseau, madame de Rênal et Julien Sorel, la Sanseverina et Fabrice del Dongo, Félix de Vandenesse et madame de Mortsauf, Frédéric Moreau et madame Arnoux, ou, plus près de nous, Gabrielle Russier et son élève. Ces évocations ne sont pas innocentes : en jouant sur des ressorts sentimentaux, elles font oublier la dureté du programme de Macron.
- En 2017, les forces (politiques, syndicales, associatives) qui sont pour Emmanuel Macron sont à peu près les mêmes que celles qui étaient pour le Oui en 2005. Et celles qui sont contre Macron au 2e tour (celles qui votent pour sa rivale, mais aussi celles qui refusent de s'engager en sa faveur) sont les mêmes que celles qui appelaient à voter Non en 2005. Et, comme en 2005, les mêmes médias de grande diffusion (journaux, hebdomadaires, radios, télévisions) qui prônaient le Oui se sont engagés aux côtés de Macron. De même que les (rares) médias qui prônent le vote Marine Le Pen ou ceux qui plaident pour l'abstention ou le vote blanc (qui, en l'occurrence, ne peut jouer qu'au détriment de Macron non en le faisant perdre mais en amoindrissant son score) sont les mêmes que ceux qui prônaient le Non en 2005.
- En 2017 comme en 2005, les personnalités politiques comme les médias ont la même attitude vis-à-vis des forces de gauche (celles qui votent Non en 2005 et celles qui refusent de s'engager pour Macron au 2e tour) : les culpabiliser en les rapprochant du Front National. Ou en disant (malhonnêtement), en 2005, que le Non de gauche ne faisait que conforter le Non de droite, soit en disant, en 2017, que l'abstention profiterait à Le Pen.
- En 2005, l'Allemagne s'était prononcée pour le TCE et, en 2017, les Allemands se prononcent pour Macron.
- Lorsqu'on cesse de mettre l'accent sur Le Pen et qu'on le porte sur Macron, les objectifs sont plus clairs : dans les deux cas, il s'agit d'imposer à un pays, en l'occurrence la France (mais ce pourrait être la Grèce...) des mesures de caractère néolibéral, par des voies nationales ou par des voies européennes (directives de la Commission de Bruxelles, votes du Parlement européen, décisions du conseil des ministres européen, de la Cour de justice européenne, de la BCE). Et ces mesures peuvent être l'aggravation de la loi El-Khomri, ou le vote de traités tels que le TAFTA, le CETA, le TISA, etc., ou l'intégration plus grande de la France dans une défense européenne ou atlantiste.
- Le fait que le Front National ait repris ces arguments à son compte (ce qui ne saurait tromper personne compte tenu de sa duplicité économique, comme le révèle le Monde diplomatique de ce mois) n'ôte rien à leur pertinence : Emmanuel Macron ne fait - et ne fera - que reprendre, approfondir, élargir et aggraver, dans un sens néolibéral, les dispositions du traité de Lisbonne de 2007, adopté en violation des résultats des référendums français et néerlandais.
Je vous saurais gré de vos remarques, compléments, rectifications et critiques.
Bien à vous
Philippe Arnaud,
AMD Tours