Bhadrakumar
L’objectif personnel des États-Unis sur Jérusalem ouvre à la Russie une fenêtre d’opportunité afin de renforcer sa position pour devenir l’acteur le plus créatif et le plus positif de la politique au Moyen-Orient. Quatre jours après l’annonce du président Trump sur Jérusalem, le président Vladimir Poutine entreprend des «visites de travail» non programmées en Egypte et en Turquie.
Jeudi, le ministère russe des Affaires étrangères a publié une longue déclaration critiquant la décision américaine sur Jérusalem et affirmant que
- Nous pensons qu’une solution juste et durable au long conflit israélo-palestinien devrait être fondée sur le droit international, y compris les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale qui règlent tous les aspects du statut final des territoires palestiniens, y compris la question extrêmement délicate de Jérusalem, par des négociations directes israélo-palestiniennes.
- La nouvelle position des Etats-Unis sur Jérusalem peut compliquer davantage les relations israélo-palestiniennes et la situation dans la région …
- La Russie considère Jérusalem-Est comme la capitale du futur Etat palestinien et Jérusalem-Ouest comme la capitale de l’Etat d’Israël.
La Russie s’est positionnée de manière appropriée sur la rue arabe. Mais la question de Jérusalem n’est pas ce qui amène Poutine au Caire. Le message du Kremlin signalait la nécessité «d’assurer la stabilité et la sécurité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord». Ce qui signifie la Libye, le Sinaï et la Syrie et dans une certaine mesure le Yémen – dans cet ordre peut-être.
Le fait est que le dossier libyen a été rouvert. L’Etat islamiste se réinstalle en Libye après son écrasante défaite en Irak et en Syrie. La Russie et l’Égypte ressentent la nécessité impérative de se mobiliser rapidement et d’affronter les groupes extrémistes en Libye. Tous les deux soutiennent le commandant de l’Armée nationale libyenne Khalifa Haftar, installé à Benghazi, qu’ils considèrent (à juste titre) comme un rempart contre l’extrémisme violent en Libye. Le vide du pouvoir en Libye et l’insécurité croissante dans l’ouest égyptien menacent la stabilité de l’Égypte et le prestige du président Sissi est en jeu. D’autre part, la participation égyptienne en Libye affecte l’équilibre des forces au Moyen-Orient. Il est intéressant de noter que les monarchies du Golfe sont également impliquées dans la crise libyenne.
Arrive Trump. Le Premier ministre libyen, M. Fayez al-Sarraj, s’est rendu à la Maison-Blanche le 1er décembre et M. Trump a discuté avec lui des » opportunités de partenariats futurs » tout en soulignant » l’engagement continu de l’Amérique à vaincre l’EI et les autres terroristes jihadistes en Libye » et » à travailler ensemble pour faire progresser la stabilité et l’unité libyennes ». Parallèlement, le président français Emmanuel Macron avait également accueilli Sarraj à Paris. (Sarraj a une réputation bien établie d’être le «Ashraf Ghani» du Maghreb – un politicien imposé par les puissances occidentales.). Maintenir la Russie hors de la Libye est un modèle clé de la stratégie occidentale (comme c’est le cas en Afghanistan).
Mais la Russie et l’Égypte ont aussi des intérêts spécifiques. La Libye était autrefois un allié soviétique et elle occupe une position stratégique en Méditerranée, face à la partie sud de l’OTAN. Quant à l’Egypte, l’instabilité en Libye s’étend à la péninsule du Sinaï, ce qui est déjà en train de se produire. L’ambition de Sissi pourrait être de créer une sorte de protectorat égyptien en Cyrénaïque contre les groupes extrémistes. Sans aucun doute, avec 1200 kilomètres de frontière commune avec la Libye, les préoccupations de l’Égypte en matière de sécurité sont légitimes.
L’Égypte est également importateur net d’énergie. Haftar contrôle ce que l’on appelle le croissant pétrolier en Libye et le géant russe du pétrole Rosneft est de retour en Libye. De toute évidence, la plate-forme énergétique offre une coopération à trois voies potentiellement lucrative entre la Russie, Haftar et l’Égypte, quoique secondaire par rapport à la dimension militaire et sécuritaire.
À première vue, Moscou s’en remet à l’ONU pour les questions clés et est également en train d’y amener le gouvernement de Sarraj à Tripoli. Ce qui suggère que Moscou pourrait se positionner en tant que médiateur entre les partenaires rivaux de la Libye – Sarraj et Haftar veulent surtout faire en sorte de compenser plus tard les pertes financières subies en 2011 suite au changement de régime. Ces pertes sont estimées à plus de à 10 milliards de dollars en contrats ferroviaires, projets de construction, transactions énergétiques et ventes d’armes.
Mais l’Occident se méfiera de ce que Poutine ne leur refasse pas le coup de la Syrie et ne leur fasse pas Echec et Mat en Libye aussi. La situation libyenne a ses spécificités mais la rivalité entre les grandes puissances est en train de s’accélérer. Washington peut sembler mieux placé en Libye, puisque les alliés de l’OTAN sont parties prenantes.
Mais tous les paris sont annulés lorsque Poutine entre en scène. Pour que la Russie puisse jouer un rôle efficace dans le domaine militaire et sécuritaire pour stabiliser la Libye, Moscou a besoin d’un partenaire régional. Poutine jouit d’un excellent rapport avec Sissi. Washington suivra de près leurs pourparlers lundi au Caire.
Source : http://blogs.rediff.com/mkbhadrakumar/2017/12/09/putin-goes-to-cairo-as-trump-ties-himself-in-knots/
Traduction : Avic – Réseau International