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Comment le "Russia-gate" légitime l’usage de la censure, par Joe Lauria,  ou comment et pourquoi le mensonge est utilisé en poltique

Les Crises - Des images pour comprendre

Source : Joe Lauria, Consortium News, 04-12-2017

Selon Joe Lauria, l’hystérie du Russia-gate est passée d’une simple stratégie visant à neutraliser ou faire destituer Donald Trump à une excuse visant à faire taire ceux qui refusent, aux États-Unis, l’idée d’une nouvelle guerre froide.

A la fin du mois d’octobre dernier, j’ai écrit un article pour Consortiumnews concernant le financement par la direction du parti démocrate et par l’équipe de campagne d’Hillary Clinton de publications non-vérifiées qui ont servi de base à cette histoire controversée d’ingérence supposée de la Russie, sur ordre du président russe Vladimir Poutine, dans les élections présidentielles américaines de 2016.

L’ancienne Secrétaire d’État Hillary Clinton s’adressant à ses partisans lors d’un meeting à Phoenix, dans l’Arizona, le 21 mars 2016 (photo de Gage Skidmore)

Cet article démontrait que les deux sources financées par les démocrates afin de faire croire au Russia-gate sont au mieux sujettes à caution. La première de ces sources est le dossier largement non-authentifié constitué par l’ancien espion britannique Christopher Steele, et composé de documents plus que douteux visant à faire passer Trump pour une sorte de candidat fantoche de la Russie.

Et la seconde source était CrowdStrike, une entreprise privée opposée à M. Poutine, qui a examiné l’ordinateur de la direction du parti démocrate pour en conclure de façon douteuse à l’existence d’un piratage russe. Suite à l’examen, dans des conditions similaires, du piratage d’une application ukrainienne d’artillerie, Crowdstrike a également accusé la Russie mais avait utilisé des données fausses pour rédiger son rapport, rapport qu’ils ont donc été forcés de réécrire par la suite.. La direction du parti démocrate a mandaté Crowdstrike après qu’elle a refusé de laisser le FBI examiner ses serveurs.

Mon article décrivait également les dangereuses conséquences qu’aurait le fait, pour les démocrates, de croire en la réalité du Russia-gate . C’est-à-dire une forte augmentation des tensions géopolitiques entre une Russie disposant de la bombe nucléaire et les États-Unis, et la résurgence d’un certain McCarthysme semant la peur – notamment dans les milieux universitaires, journalistiques et dans les organisations de défense des droits civils – parmi ceux qui remettraient en question le dogme communément admis de la culpabilité de la Russie.

Suite à la publication de l’article sur Consortiumnews, j’ai essayé d’être publié sur un média dominant en publiant une version de cet article sur le HuffPost, qui est le nouveau nom donné au Huffington Postdepuis le mois d’avril dernier par sa nouvelle direction. En tant que contributeur du site depuis février 2006, les rédacteurs du HuffPost me font suffisamment confiance pour que je publie mes articles directement. Toutefois, moins de 24 heures après sa publication, le 4 novembre, les rédacteurs du HuffPost ont retiré l’article du site sans aucune explication.

C’est là un comportement contraire aux principes originaux du journalisme que ce site affirmait promouvoir. Par exemple, en 2008, Arianna Huffington déclara à l’animateur radio Don Debar que « Nous acceptons toutes les opinions, sauf les théories du complot ». Elle ajouta : « Les faits sont sacrés. Cela fait partie de notre philosophie du journalisme. »

Mais Huffington a quitté son poste de rédactrice en chef en août 2016 et n’a désormais plus aucun rapport avec le site. Celui-ci est dirigé par Lydia Polgreen, une ancienne journaliste et rédactrice en chef du New York Times, qui a visiblement des idées très différentes. En avril, elle a mené une refonte complète du site et l’a renommé HuffPost.

Avant le changement de direction, j’avais publié plusieurs articles sur le Huffington Post au sujet de la Russie sans qu’il ne s’ensuive le moindre problème. Par exemple, le Huffington Post a publié mon article du 5 novembre 2016 qui prédisait que si Mme Clinton perdait, elle accuserait la Russie. Mon propos a été confirmé dans le livre Shattered, sur la campagne présidentielle vue de l’intérieur, qui révélait qu’immédiatement après la défaite de Clinton, ses conseillers de haut rang décidèrent de reprocher sa défaite à la Russie.

Le 12 décembre 2016, j’ai publié un autre article, que les rédacteurs du Huffington Post ont valorisé, intitulé « la campagne d’accusation de la la Russie pour renverser le résultat des élections tourne a plein régime ». J’affirmais que « les États-Unis ont accusé la Russie de nombreuses choses, et bien que ces accusations ne semblent pas avoir reçu la moindre preuve, elles semblent avoir un très large crédit. »

Après avoir publié une version mise à jour de l’article publié sur Consortiumnew – renommée Sur lesorigines du Russia-gate – j’ai été informé 23 heures plus tard par l’un de mes contacts sur Facebook que cet article avait été retiré par les rédacteurs du HuffPost. Ayant été reporter pour les médias dominants pendant plus d’un quart de siècle, je sais que la règle qui prévaut dans les rédactions est qu’avant de prendre la grave décision de retirer un article, on contacte l’auteur pour lui permettre de le défendre. Je n’en ai jamais eu l’occasion ; aucune procédure applicable n’a été suivie. Mon e-mail demandant à l’un des rédacteurs du HuffPost a été tout simplement ignoré.

Soutien des médias indépendants

A l’instar du mot « fascisme », le mot « censure » est une accusation utilisée à tort et à travers, et j’évite habituellement de l’employer. Mais en l’absence de toute explication, je ne pouvais que conclure que la décision de retirer mon article obéissait à des motivations politiques, et non pas éditoriales.

Le graphique en pointillés du New York Times montrant le Kremlin surplombant la Maison blanche

Je suis politiquement indépendant, et je renvoie dos à dos les deux partis dominants pour avoir échoué à défendre les intérêts de millions d’Américains. Je m’en tiens aux faits et j’en tire les conclusions qui s’en dégagent. Dans ce cas les faits indiquent que le rapport fait par le FBI, la NSA et la CIA sur les ingérences russes supposées dans les élections, préparé par des gens que le directeur des services de renseignement d’alors, James Clapper, appelait des « analystes soigneusement sélectionnés », était en réalité basée pour l’essentiel sur des informations non-vérifiées et des spéculations, et non sur un travail de renseignement sérieux.

Le rapport est même parvenu à la conclusion que les analystes n’affirmaient pas que les allégations d’ingérence russe étaient factuelles. Il contenait l’avertissement suivant : « les jugements n’impliquent pas que nous avons des preuves qui montrent que quelque chose est réel. Les rapports sont basés sur les informations qui ont été collectées, qui sont souvent incomplètes ou fragmentaires, autant que sur sur la logique, les arguments et les précédents. »

Le 6 janvier, pressé par l’heure limite du bouclage de l’édition, Scott Shane, du New York Times, a écrit sans réfléchir ce qu’ont sans doute pensé bien des lecteurs du rapport : « il manque au rapport public ce que beaucoup d’Américains attendaient avec insistance : des preuves réelles à l’appui des affirmations des services secrets suivant lesquelles le gouvernement russe aurait orchestré l’attaque survenue pendant les élections… Au lieu de cela, le message qu’envoient les agences de sécurité se résume à la formule “faites-nous confiance” ».

Et pourtant, suite à la publication du rapport du 6 janvier, des dirigeants du parti démocrate ont affirmé à tort que le « rapport » était représentatif de l’avis que partageaient les 17 services de renseignements américains – pas uniquement les analystes « soigneusement sélectionnés » par trois services – et une bonne partie des médias américains dominants ont commencé à traiter les accusations de « piratage » russe comme des faits indiscutables, et non comme une affirmation incertaine démentie tant par le gouvernement russe que par WikiLeaks, qui rappelle que ce n’est pas la Russie qui lui a fourni les deux séries de mails du parti démocrate.

(Il existe également des désaccords au sein des services de renseignements américains sur l’hypothèse qu’un « piratage » via internet était tout simplement possible, si l’on en croit la vitesse de téléchargement, équivalente à celle d’une extraction depuis un ordinateur via une clé USB, laissant penser à un copier-coller sur une clé USB par un membre du parti démocrate).

Néanmoins, suite au bourrage de crâne sur les « 17 services de renseignements » et la couverture médiatique grossière de la part des médias dominants, l’opinion publique a fini par conclure que les accusations contre la Russie ne peuvent être remises en question. Si vous demandez à quelqu’un qui croit au Russia-gate sur quoi repose cette croyance, il évoquera invariablement le rapport du 6 janvier et rira au nez de quiconque exprimera le moindre doute à ce propos.

Par exemple, un ancien agent de la CIA a déclaré le mois dernier à The Intercept : « Tous les services de renseignements disent que les russes sont à l’origine du piratage. Nier cela revient à défendre l’idée que les Japonais n’ont pas bombardé Pearl Harbor. »

Le fait qu’un média supposément dissident comme The Intercept ait pu reprendre cette affirmation en dit long sur l’importance des biais médiatiques lorsqu’il s’agit d’évoquer le Russia-gate . Il existe de vrais films montrant des avions japonais attaquant Pearl Harbor et des navires américains en train de brûler – et nous avons les témoignages de milliers de soldats et de marins américains. Pourtant, en ce qui concerne le Russia-gate, nous n’avons que les opinions de quelques agents « sélectionnés » des services de renseignements qui admettent eux-mêmes qu’ils ne considèrent pas leurs opinions comme des faits. Aucun rédacteur en chef sérieux ne mettrait sur un même pied d’égalité une source anonyme et intéressée et deux sources de première main.

Dans ce contexte de pensée de groupe, il était sans doute aisé pour les rédacteurs du HuffPost de donner suite à quelques plaintes de lecteurs et de décider de retirer joyeusement mon article. Toutefois, avant que mon article ne soit retiré, 125 personnes l’avaient partagé. Ray McGovern, un ancien analyse de la CIA et contributeur régulier au site Consortiumnews, a ensuite pris mon parti, étant le premier à écrire au sujet de la censure au sein du HuffPost sur son blog. McGovern a mis dans son article un lien vers un fichier pdf que j’ai extrait de l’article censuré sur le HuffPost. Ce fichier a été ensuite republié sur d’autres sites internet.

Le journaliste Max Blumenthal a tweeté à ce propos. Le réalisateur et écrivain britannique Tariq Ali a posté le fichier sur sa page Facebook. Ron Paul et Daniel McAdams m’ont longuement interviewé dans leur émission de télévision au sujet de la censure. ZeroHedge a écrit un article abondamment partagé et quelqu’un a pris le temps, 27 minutes et 13 secondes pour être exact, de lire l’article entier sur YouTube. J’ai initié une pétition pour que le HuffPost, dirigé par Mme Polgreen, justifie le retrait de l’article ou le remette. Elle a recueilli pour le moment 1 900 signatures pour le moment. Si une analyse factuelle sérieuse de mon article a été faite, il faut qu’elle existe et soit publiée.

Chiens de garde et médias pro-censure

Malgré ce soutien de la part des médias indépendants, j’ai appris qu’un dirigeant de Fairness and Accuracy in Reporting a refusé de soutenir ma cause parce qu’il était convaincu de la réalité du Russia-gate . J’ai également appris qu’un dirigeant de l’American Civil Liberties Union a rejeté ma demande de soutien, parce qu’il y croyait également. Ces deux organisations ont pourtant précisément été créées pour défendre par principe, et non par choix, les individus dans de telles situations.

Le président russe Vladimir Poutine et la chancelière allemande Angela Merkel au Kremlin le 10 mai 2015. (Photo du gouvernement russe)

Les avis de ces associations sur l’existence, ou non, du Russia-gate, est en principe sans incidence sur leur devoir de défendre le journalisme et de protéger les libertés civiles. La question est ici de savoir si les journalistes ont le droit d’exprimer leur scepticisme quant à ce dernier dogme aux fondements douteux. Je redoute – suite à l’hystérie envers la Russie et l’animosité envers Trump – que leurs décisions soient dictées par des considérations liées aux carrières de leurs membres et à leur financement, et que les principes soient purement et simplement mis de coté.

Un média en ligne a pris résolument la défense du HuffPost. Steven Perlberg, un reporter pour le site BuzzFeed, a demandé au HuffPost pourquoi mon article avait été retiré du site. Sans m’en aviser, les rédacteurs du site ont transmis à BuzzFeed un communiqué indiqué que « l’article auto-publié de M. Lauria nous a ensuite été signalé par les lecteurs, et nos rédacteurs ont décidé, après avoir estimé que la publication contenait de nombreuses affirmations inexactes ou trompeuses, de la retirer pour infraction à nos conditions d’usage ». Ces conditions incluent le retrait pour « toute raison », ce qui inclue apparemment la censure.

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Tag(s) : #Désinformation
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