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Le Palazzo Montecitorio,  le Parlement et la présidence de la République à Rome
Le Palazzo Montecitorio,  le Parlement et la présidence de la République à Rome

Le Palazzo Montecitorio, le Parlement et la présidence de la République à Rome

Billet de Maxime Izoulet

Italie : un blocage institutionnel pré-révolutionnaire ?

Décidément, les événements politiques en Italie sont riches de leçons, et nous voyons chaque jour à quel point il est fou de ne pas y prêter attention pour comprendre le fonctionnement du capitalisme moderne, et en particulier de la zone euro. Comme je le disais hier, en effet, la formation du gouvernement achoppe sur la nomination du Ministre des Finances, personnage stratégique du gouvernement puisqu’il sera en première ligne si la BCE décide de briser le gouvernement en asséchant l’Italie en monnaie, comme elle l’a fait en Grèce en 2015. Voilà pourquoi la ligne de front entre les partisans de l’austérité et ceux qui s’y opposent se situe très exactement sur cette question de la nomination du Ministre des Finances italien à l’heure actuelle.

Par aveuglement ou par confort, les gauches européennes, à commencer par la gauche française, refusent toujours obstinément de voir cette vérité en face, et laissent passer de ce fait de très précieuses leçons pour le jour où elles accéderont au pouvoir. En effet, si tel était le cas un jour, il faut comprendre qu’elles affronteraient exactement les mêmes problèmes que l’alliance m5s-ligue aujourd’hui, et cela devrait alerter ses forces intellectuelles plutôt que de se complaire dans la condamnation du fascisme.

Au demeurant, le nouveau gouvernement italien, à l’opposé du fascisme historique réel, se fait actuellement le défenseur de la démocratie face aux partisans de l’euro qui, en Italie comme partout ailleurs, n’ont qu’une idée en tête : vider cette démocratie de toute substance. La menace contre la démocratie ne provient pas de l’alliance populiste qui s’est mise en place, mais bien au contraire des forces qui cherchent à la mettre en échec au nom de l’euro. Telle est à la situation désormais : l’euro provoque une crise institutionnelle ouverte et inédite de la Deuxième République italienne.

En effet, tout ce qui soutient l’Union européenne : le Parlement européen, les gouvernements allemands et français, les médias allemands et français, etc… ainsi que les médias américains et les marchés financiers, s’inquiètent de la nomination de Paolo Savona, l’économiste anti-euro, au Ministère des Finances et souhaite imposer à l’Italie un autre nom, plus conforme à ses intérêts, une sorte de directeur technique du gouvernement s’assurant que la politique de celui-ci est inoffensive au plan économique. Leur homme, leur homme de paille pourrait-on dire si on voulait polémiquer un peu, est Sergio Mattarella, le Président de la République italienne, nommé en 2013 par le Parlement, et indéboulonnable jusqu’en 2021. C’est lui qui entent mettre son veto à la nomination de Savona au gouvernement, contre la volonté de Guiseppe Conte, le nouveau Président du conseil, qui dirige l’alliance de la ligue et du m5s, et derrière lequel on retrouve les deux leaders : Luigi di Maio et Matteo Salvini. Mais ce veto pose clairement un problème constitutionnel, car il est le résultat d’une interprétation large de la Constitution italienne qui dispose que le Président de la République nomme les membres du gouvernement sur proposition du Président du Conseil. Il s’oppose à la volonté d’un Président du Conseil légitimement élu par la coalition et donc majoritaire au Parlement, c’est-à-dire majoritaire parmi les électeurs italiens. Il s’y oppose au nom d’une interprétation étroitement juridique du texte constitutionnel, dont l’esprit est pourtant indéniablement marqué par l’esprit démocratique et la volonté de faire respecter la volonté du peuple, résultat du contexte dans lequel il a été rédigé qui fut, précisément, celui de la fin du fascisme réel. Car la Constitution ne dit rien sur la suite à donner à un éventuel veto du Président de la République, pour la bonne raison que la situation lui semble absurde et contraire à l’esprit de la constitution. Le Président doit garantir les traités internationaux, mais que doit-il se passer si le peuple met au pouvoir un gouvernement vouvant sortir de ces traités ? Qu’est-ce qui doit l’emporter, la volonté démocratique ou la volonté seule du Président ?

D’autre part que doit-il se passer si un tel désaccord entraîne l’impossibilité de former un gouvernement ? Le Président dans ce cas-là, n’est-il pas seul responsable de l’impossibilité de former un gouvernement majoritaire démocratiquement ? Telles sont les questions que posent la situation politique actuelle en Italie. Car au nom de la défense de l’euro et de l’influence des institutions étrangères, Mattarella est prêt à mettre en sourdine l’expression démocratique du pays. Cela, bien évidemment, pose un grave problème institutionnel qui remet en cause le régime politique italien lui-même.

Nous passons d’une crise politique à une crise institutionnelle ouverte, et cette crise, il faut insister encore là-dessus, est le résultat de cette folle construction qu’est l’euro. Car c’est l’euro qui pousse à remettre en cause la légitimité démocratique d’un peuple au nom d’un juridisme étroit qui fait fi de la politique, de la légitimité, de la souveraineté et de l’histoire. Voilà ce que nous observons actuellement en Italie, et là encore, nous devrions observer de près cette crise, si nous ne voulons pas être surpris un jour, de nous réveiller en constatant que la démocratie a disparu, comme le découvre actuellement les Italiens.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que la ligue et le M5S commencent à hausser la voix contre le Président Mattarella, qui s’oppose à la volonté des Italiens, qui est précisément censée être garantie par la Constitution, et à en appeller à la mobilisation des Italiens. Salvini se dit « vraiment en colère » sur facebook et son commentaire est liké par Di Maio, qui affirme par ailleurs devant des journalistes qui lui demandent de commenter que lui aussi est en colère. Le député di Battista, de son côté, considère le veto de Mattarella comme « inacceptable » . Même le parti Fratelli d’Italia, pourtant opposé au nouveau gouvernement, considère également comme inacceptables « les interférences de Mattarella ». La « colline » comme désignent les Italiens la résidence du Président de la République, au Palais Quirinale, sur la plus haute colline de Rome, pourra-t-elle éternellement tenir sa position ?

Salvini se réunit aujourd’hui à Milan avec son équipe stratégique réduite pour décider de la marche à suivre, mais il menace à nouveau de mettre fin au gouvernement si Savona n’est pas nommé, quitte à refaire des élections puisque son parti ne cesse de monter dans les sondages. Il pourrait ressortir renforcé d’un tel processus, mais le problème démocratique se reposera alors de la même façon à l’automne. Combien de temps cependant, l’interprétation étroite et orientée d’une Constitution démocratique pourra-t-elle servir à priver un peuple de sa volonté démocratique majoritaire, de sa souveraineté, sans mener à des blocages de nature révolutionnaires ?

Voilà la nouvelle question que pose la crise italienne, et de nouveau nous voyons à quel point son évolution devrait intéresser la gauche européenne, puisque bien loin du fascisme fantasmé qu’elle projette pour ne pas faire l’effort de comprendre, c’est bien plutôt à une situation réellement révolutionnaire que pourrait désormais mener la confiscation de la volonté populaire des Italiens au nom de la construction de l’euro.

 

Tag(s) : #Italie, #Union européenne
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