On me demande périodiquement pourquoi je persiste en mai 2018 à être membre du PCF et à payer ma cotisation (cette démarche qui a cessé depuis longtemps d'être une obligation pour être compté dans les effectifs), alors qu'il apparaît clairement à l'examen du contenu du blog Réveil Communiste que je ne suis en accord avec presque aucune des positions actuelles de cette organisation, et cela depuis au moins dix ans. Que j'ai cessé de militer activement depuis octobre 2013, et que je ne participe plus aux activités de l'opposition interne (où j'animais la brochure « Unir les communistes », éditée par un réseau oppositionnel grâce à la section de Vénissieux), depuis juin 2015. Et que je mets en garde contre ce parti « dont l'agenda s'explique uniquement par des considérations électorales » dans la page d’accueil du blog !
Mon dernier acte militant au PCF a été de voter en octobre 2016 à la consultation interne pour la candidature Mélenchon aux présidentielles.
Appartenir à cette organisation risquerait en effet de décrédibiliser ce que je dis par ailleurs : serais-je toute proportion gardée pour le PCF un équivalent de Gérard Filoche, pour le PS ? Un rabatteur pour ramener le gibier révolutionnaire dans le filet des réformistes ?
Pour y voir clair il est nécessaire de revenir brièvement sur mon parcours politique.
Je suis né en 1958 à Neuilly et j'ai adhéré intellectuellement au communisme, dans sa forme dite « orthodoxe » pour parler le langage de l'adversaire, c'est à dire sa forme comportant la référence positive au socialisme réellement existant dans les pays d'Europe de l'Est, à un âge très précoce, vers 1971 au plus tard. J’étais à contre-courant de mon quartier, et de mon époque. J'étais à l'adolescence un communiste plutôt « soft », anti-stalinien, accordant trop de valeur aux expériences bâtardes du type de celles de Tito en Yougoslavie, ou au soi-disant « printemps » tchécoslovaque en 1968, je voulais un parti communiste au pouvoir qui appliquerait une politique économique socialiste tout en permettant une grande liberté individuelle, voire même des élections libres où la bourgeoisie aurait pu participer ,,,
Ceux qui m'ont sans doute influencé le plus pour prendre cette voie étaient Guy et Micheline Braibant, couple de communistes amis de mes parents, Guy Braibant fut par la suite conseiller de Georges Marchais sur les questions des libertés et des droits de l'homme.
Par contre, je n'étais aucunement tenté par le discours radical en vogue à l'époque, qu'il soit partiellement authentique mais erroné comme chez les maoïstes ou les partisans de la lutte armée, ou totalement factice, comme chez les trotskystes ou anarchistes. Je le ressentais comme infiniment ridicule (surtout à Neuilly sur Seine).
Puis vers l'âge de dix-huit ans je suis tombé sous l'influence de la culture soixante-huitarde, Godard, Lacan, Deleuze, Derrida, Lyotard, dans le cadre d'études de philosophie menées de 1976 à 1983. J'en ai ressenti assez rapidement les limites et j'ai cru pouvoir en faire la critique à la lecture de Guy Debord. Le Pape situationniste était alors un auteur maudit qui avait organisé sa propre occultation et dont on ne prononçait le nom qu'avec crainte dans le monde des médias et de la culture. J'avais rencontré de ses adeptes en 1981, d'une nouvelle génération, agissant dans la marginalité, et le résultat pour moi en a été un alignement fanatique sur les thèses situationnistes qui m'ont fait beaucoup tourner en rond pendant dix ans d'activisme stérile et désordonné. Je me suis dégagé de cet enfermement très sectaire dans la brochure Échecs situationnistes, écrite en collaboration avec Pasquale Noizet, en 1988 qui est restée depuis ce temps-là ma compagne et la personne qui m'influence le plus politiquement.
Malgré le lavage de cerveau ultra-gauchiste "situ" j'ai ressenti la disparition de l'URSS comme un véritable traumatisme, de même que sur un autre plan le génocide rwandais deux ans plus tard. Après que la poussière de ces tribulations était retombée, plutôt désabusé des grands discours révolutionnaires je me suis réaligné passivement sur le vieux PCF auquel j’accordais dans les années 1990 les même vertus qu'à l'époque de mon adolescence, malgré les termites qui l'avaient rongé entre-temps de l'intérieur : un parti ouvrier qui gérait une contre-culture réelle indépendante des appareils culturels de la bourgeoisie et dont la ligne politique tenait compte des réalités et des rapports de force.
J'ai participé au grand mouvement de grève de novembre 1995, mais je n'ai adhéré au SNES qu'en 2003 au moment du mouvement pour défendre la retraite. Je n'ai commencé véritablement à intéresser à nouveau à la politique qu'après la guerre du Kosovo en 1999, et le 21 avril 2002.
Mon vécu dans le PCF n'est donc pas du tout le même que celui des militants qui ont tenté d'empêcher la marche enthousiaste vers sa propre ruine que lui imprimait sa direction, à partir de l'abandon imposé sans discussion à la base de la théorie de la dictature du prolétariat en 1976, et la plupart de mes amis actuels l'avaient déjà quitté depuis longtemps quand j'y suis, enfin, formellement entré. Je dois avouer aussi que cet engagement tardif s'explique par une certaine peur de me fondre dans un groupe organisé, ce dont je ne suis pas très fier mais ce qui a eu l'avantage de ne pas me laisser d'illusions sur la qualité d'être « non-encarté ». On ne peut pas revendiquer comme un mérite de ne pas faire ou de n'avoir pas fait quelque chose !
J'ai adhéré au PCF en septembre 2005, après avoir milité avec les communistes du XXème dans la campagne contre le TCE, donc sur une expérience positive. Je me suis investi ensuite dans la vie interne du parti, j'ai participé à la direction de section, et aux congrès, et autres consultations internes, et à la campagne de MGB en 2007. J'ai animé une liste d'opposition dans la section au congrès de 2008. Et j'ai milité activement au niveau local pendant cinq ou six ans. Lorsque j'ai adhéré au PCF j'avais fini par me rendre compte que ce parti n'était plus le grand parti ouvrier auquel a mis fin le congrès de Martigues en 2000, mais je voulais lutter dans la société et aussi dans ses rangs contre la dérive mortifère de la gauche vers le « sociétal », c'est à dire l'agenda politique de la petite bourgeoisie moderniste.
On ne peut pas dire que j'ai réussi !
Lorsque je me suis retrouvé poussé dans l'opposition, sans l'avoir désiré, j'avais fait le choix de soutenir le groupe animé par André Gerin, certainement le moins susceptible de complaisance pour le discours postmoderne, creux, individualiste, qu'il s'agissait de combattre, qui avait un sens indéniable de la provocation populiste, au moment où un tel mode d'expression était devenu nécessaire pour combler le fossé entre le « peuple militant », c'est à dire la « gauche » et le peuple réel ; et dont les positions sur l'UE étaient justes ; juste aussi pour moi sa volonté de poser la question de l'immigration, même s'il s'est laissé dériver dans le sociétal à sa façon, y percevant un problème culturel et religieux et en accordant trop d'importance aux provocations islamistes. Mais André Gerin, dernier dirigeant ouvrier dans le PCF, a manqué du sens de l'opportunité, comme d’ailleurs l'ensemble de l'opposition interne : a posteriori, on voit bien qu'il eût fallu procéder à une scission minoritaire au bon moment, le reste de l'appareil étant irrécupérable, et je n'ai pas eu non plus cette lucidité à temps.
La défaite ultime et irréversible de l'opposition interne fut l'aveuglement politique qui provoqua en 2016 son rejet unanime de la candidature Mélenchon, alors que cet affreux « lambertiste » de Mélenchon reprenait tout ou partie de ses positions sur l'Europe et sur l'OTAN, questions décisives s'il en est ! créait les conditions de la destruction de la force anti-populaire la plus efficace et nuisible dans notre pays, le PS ! et, ce que j'ai compris dès l'été 2016 avec le même type de lucidité étrange que celle qui me fit choisir le PCF contre tous les gauchismes vers l'âge de treize ans : pour la première fois depuis des dizaines d'années un candidat antagonique au capitalisme pouvait gagner ! Il faut reconnaître que pour la plupart des militants du PCF, c'est précisément cet aspect de la situation qui a déplu le plus. Le PCF est fâché depuis longtemps avec la victoire. C'est à mon avis son principal défaut, et sa campagne pour les présidentielles ressembla davantage à du sabotage qu'à autre chose.
Cela dit, mon expérience d'une dizaine d'année de militantisme actif et régulier dans une organisation de masse, même déclinante, a été précieuse pour m'apprendre un peu ce que c'est véritablement que d'agir dans le champ politique réel.
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