par Gilles Questiaux
Je demanderais aux lecteurs de bien vouloir faire l'effort de distinguer la pratique humanitaire de la pratique politique, ou s'ils ne le peuvent pas, de s'abstenir de lire la suite !
Depuis maintenant près de dix ans nous croisons dans les rues de nombreux réfugiés et sans-papiers qui se retrouvent en France dans une situation humaine et matérielle très difficile, qui suscite la sympathie des militants associatifs, des actes de solidarité, de soutien, et la mobilisation des associations d’aide. Cette solidarité est nécessaire et louable.
Mais faut-il aller au delà, et passer du soutien particulier à des personnes en difficulté, à un soutien politique, qui approuve et valide leur démarche de rechercher à tout prix et dans l’illégalité l’installation en France ou dans d’autres grands pays capitalistes ?
Il faut être clair : un tel soutien signifie que l’on adhère à une revendication politique, exposée clairement d’ailleurs par certaines organisations d'extrême gauche comme par les organisations patronales : pour une liberté totale de circulation internationale des personnes dans le monde, qui implique du même coup la liberté totale de mouvement de la main d‘œuvre. La satisfaction de cette revendication contribuerait-elle à l'avènement du monde sans frontière que les communistes veulent créer?
Il apparait certain que la revendication de la mobilité internationale de la main d’œuvre est une de celle qui est chère au patronat. Il s’agit d’un des piliers du néo-libéralisme. Le but est de mettre en concurrence les travailleurs entre eux, de faire baisser les salaires, et aussi de déstructurer le prolétariat en le divisant en communautés ethnico-religieuses adverses.
Il est douteux, malgré les apparences du fait qu’utilisent abondamment l’extrême droite dans sa propagande que l’immigration cause le chômage (car la présence des travailleurs immigrés ouvre des postes d'encadrement aux autochtones, et comme ils sont aussi des consommateurs, pour produire leur consommation il faut davantage de travail). Mais il est certain que cette perception explique en grande partie la montée électorale de l’extrême droite qui est contemporaine de l’installation durable du chômage de masse dans ce pays, dans les années 1980. Le racisme n'était certainement pas moins répandu en France avant cette date, mais il ne s'exprimait pas par le bulletin de vote.
C'est un fait politique que l'immigration provoque une réaction populaire hostile qui est utile électoralement à l’extrême droite. Or les organisations de défense des travailleurs ne peuvent pas aisément faire campagne contre la poursuite de l'immigration, car une telle campagne serait immédiatement présentée par les médias, aux mains des libéraux, comme une forme de racisme et amalgamée à une campagne pour obtenir le départ des immigrés déjà présents. Par contre elles peuvent éviter par leurs prises de positions redondantes avec celles de l'idéologie libérale dominante, de donner à entendre qu'elles seraient favorables à encore davantage d'immigration. On a parfois l'impression que la seule logique des interventions de la gauche et des syndicats sur toutes les questions liées à l'immigration réside dans la terreur d'être amalgamé à l'extrême droite, même par des médias ou des politiciens hostiles et d'une évidente mauvaise foi.
Les migrations font pression à la baisse des salaires et des conditions de travail (sinon il n'y aurait pas de migrations). Certains s'en lavent les mains en remarquant que ces bas salaires et ces mauvaises conditions de travail seront, justement, le lot des immigrés, et que "c'est bien pire dans le pays d'où ils viennent". Mais la condition globale de la classe ouvrière en est affectée. Cette conclusion économique en application de la loi de l’offre et la demande est parfaitement conforme à l’économie marxiste, il suffit de lire le Capital pour s’en rendre compte, car l'immigration est le moyen le plus simple d'augmenter les effectifs de l'armée de réserve du capital qui sert précisément à cela. Soutenir politiquement les migrations va à l'encontre des intérêts de la classe ouvrière considérée comme un tout (y compris et surtout aux ouvriers immigrés déjà installés, et à leurs enfants).
Le ralentissement de l'immigration est une condition de la bonne intégration sociale et du niveau de vie des travailleurs immigrés déjà présents. Mais ce n'est certainement pas la priorité du patronat qui les exploite sans aucun scrupule.
Les droits de l’homme (dans leur version limitée, bourgeoise, de 1789, sans les droits réels de 1948) sont aujourd’hui détournés pour faire passer en fraude cette exigence, pour maquiller une revendication du patronat en revendication des travailleurs.
Sans-papiers et réfugiés sont des travailleurs et il est donc normal que les organisations de défense des travailleurs s’occupent d'eux. Mais ils ne sont pas à ce stade des travailleurs en lutte organisée, et le but de leur déplacement à travers les frontières du monde capitaliste reste individualiste : leur rêve n’est pas la promotion de leur classe mais leur promotion individuelle. Leur rêve est un "rêve américain", il n’est pas de lutter contre l’exploitation, mais de devenir riche, ou au moins d’être exploité dans des conditions meilleures, pensent-ils, que dans leur pays d’origine. Beaucoup atteignent d'ailleurs leur but et deviennent de fait les nouveaux composants d'une bourgeoisie du Sud délocalisée dans le Nord qui aggrave le lien de dépendance néocolonial de leur pays d'origine.
Les migrations sont devenues aujourd'hui la forme majeure du pillage du Tiers-Monde : le pillage de sa « ressource humaine ». Les sans-papiers et les réfugiés dont il est actuellement question sont loin d’être recrutés parmi les plus pauvres et les plus misérables de leurs compatriotes, ils appartiennent au contraire pour la plupart à une classe moyenne urbaine ou au groupe des diplômés et des travailleurs qualifiés, dont le pouvoir d'achat comparativement élevé par rapport à la moyenne du pays d'origine est effectivement inférieur à celui des ouvriers du Nord.
En ce qui concerne les réfugiés syriens,
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