(Cet article paraîtra dans un prochain numéro de la revue russe “Le Messager de la Philosophie et des Sciences Sociales” / Вестник философии и социальных наук)
La France connaît une situation difficile, marquée par une croissance faible, et ce depuis la fin de la crise de 2008-2010. Si la chute de la production au moment de la crise a été modérée, la France est au sein de l’Union européenne un des pays où la croissance a été particulièrement faible dans années post-crise. La situation économique du pays montre un changement net avec la période des années 1999-2006 où la croissance française était à l’époque supérieure à la moyenne des autres pays de l’Union européenne, et en particulier supérieure à la croissance économique allemande[1]. Très clairement, le pays affronte une crise de compétitivité. Mais, ce n’est pas la seule raison de la situation actuelle. L’économie française doit aussi faire face à une demande déprimée, une situation qui résulte à la fois des politiques conduites par les gouvernement Fillon (2010-2011) mais aussi par les gouvernements qui se sont succédés sous la Présidence de François Hollande (2012-2017). Le chômage reste donc très élevé, et s’aggrave même tandis que la situation financière du pays n’est pas stabilisée. Nous sommes donc loin des discours sur la « start-up nation », tenus par Emmanuel Macron au début de son mandat.
Une amélioration en trompe-l’œil ?
La première chose qui frappe est la différence avec l’année précédente, ainsi que les espoirs qu’elle avait suscités. La France a en effet connu cinq années de très faible croissance, de 2011 à 2016.
Graphique 1
Source : Données de l’INSEE. Le chiffre pour 2018 est une estimation.
Mais, alors que l’année 2017 avait été marquée par un relatif rebond de la croissance (1,9%), les six premiers mois de 2018 ont été décevants. Ils annoncent une croissance qui pourrait se situer entre 1,2% et 1,5%. La France semble donc engluée dans une situation de faible croissance économique qui fragilise sa position au sein de l’Union européenne. Il faut donc commencer par tenter de comprendre ce qui se passe.
Pour le deuxième trimestre 2018, le produit intérieur brut (PIB) en volume a progressé au même rythme qu’au premier trimestre : +0,2 %. Cette croissance a été plus faible que ce qui avait été prévu par le gouvernement. Les dépenses de consommation des ménages ont légèrement fléchi (−0, 1 % après +0,2 % au premier trimestre), tandis que la formation brute de capital fixe (investissement) se redresse nettement (FBCF : +0,8 % après +0,1 % au premier trimestre). Au total, la demande intérieure finale hors stocks contribue autant à la croissance qu’au premier trimestre (+0,2 point). Cette croissance de la demande est, pour la France, le principal moteur de la croissance actuellement. Mais, ce qui frappe est le fléchissement des dépenses de consommation des ménages, qui est à peine compensé par un investissement particulièrement fort.
Le commerce extérieur continue de faire sentir une influence négative sur la croissance. Les importations se sont fortement accrues ce trimestre (+0,7 % après −0, 6 %) et ce en dépit d’une croissance nettement plus faible de la demande des ménages ; il ne semble donc pas que celle-ci tire particulièrement les importations. Dans une moindre mesure, les exportations se sont aussi accrues (+0,1 % après −0, 4 %). Au total cependant, le déficit commercial de la France s’est encore aggravé. Cela traduit la persistance des problèmes de compétitivité de l’économie française. On constate ainsi que le solde extérieur contribue négativement à la croissance du PIB : −0, 2 point après +0,1 point au premier trimestre. À l’inverse, les variations de stocks y contribuent positivement (+0,2 point après −0,1 point). On voit que structurellement le commerce extérieur exerce un effet négatif sur la croissance, alors que les stocks n’exercent un effet positif que conjoncturellement (ils avaient baissé fortement fin 2017).
Revenu des ménages et politique fiscale du gouvernement
Le revenu disponible brut (RDB) des ménages se redresse en euros courants au deuxième trimestre 2018 (+1,1 % après +0,1 %)[2]. Cette évolution semble positive. Pourtant, on constate qu’elle ne se traduit pas par une hausse corrélative de la consommation des ménages. Ce qui pose la question de la répartition de cette hausse moyenne du revenu disponible brut sur la population. En fait, on peut penser que cette hausse a été concentrée sur les hauts revenus, ce qui expliquerait son faible impact sur la consommation des ménages.
Le léger ralentissement de la masse salariale brute (+0,7 % après +0,9 % au premier trimestre) est largement compensé par la baisse des impôts sur le patrimoine, principalement due au remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Mais, cela signifie que ces baisses d’impôts ne vont être ressenties que par les ménages les plus riches (ceux qui payaient l’ISF). Or, la consommation est plutôt le fait des ménages à revenus modestes. Les prestations sociales reçues par les ménages progressent au même rythme qu’au trimestre précédent (+0,5 %). D’une manière générale, la politique fiscale du gouvernement tend à favoriser les ménages les plus aisés, ce qui aboutit à déformer la structure du revenu disponible net après impôts.
Les prix de la consommation des ménages ralentissent légèrement (+0,4 % après +0,6 %) en raison principalement de la hausse moins marquée des prix de l’énergie, de sorte que le pouvoir d’achat rebondit nettement au deuxième trimestre (+0,7 % après −0,5 %). Mesuré par unité de consommation pour être ramené à un niveau individuel, il rebondit également (+0,6 % après −0,6 %). Mais, les fortes augmentations du prix du gaz naturel devraient avoir directement et indirectement un impact négatif sur la consommation aux troisièmes et quatrièmes trimestres. Au deuxième trimestre 2018, la consommation des ménages a d’ailleurs fléchi légèrement alors que leur pouvoir d’achat se redresse. Par conséquent, le taux d’épargne augmente nettement : il s’établit à 14,3 % après 13,7 % au premier trimestre 2018. Cela indique que les ménages ne sont pas convaincus que la situation économique du pays va s’améliorer dans les prochains 18 mois, et qu’ils épargnent en conséquence.
Tableau 1
Au deuxième trimestre 2018, le besoin de financement des administrations publiques (excès des dépenses par rapport aux recettes) augmente de 0,1 point : le déficit public s’établit à 2,5 % du PIB après 2,4 % et ceci sans préjuger de ce qu’il sera à la fin de l’année. Le gouvernement table sur un déficit public consolidé de 2,8% du PIB pour 2018. On sait que le gouvernement a fait de la réduction du déficit public l’un des principaux objectifs de sa politique. Mais, cet objectif ne pourra être atteint que si la croissance correspond aux estimations, car une large partie des recettes fiscales (la TVA notamment) dépend de la croissance du PIB nominal (aux prix courants). Aussi, avec une croissance réelle qui sera inférieure aux prévisions et une hausse des prix qui n’accélère pas, il est probable que le déficit soit supérieur aux prévisions.
Les dépenses sont pourtant en léger repli (−0,2 % après +0,6 %). En effet, les montants versés aux entreprises au titre du remboursement de la taxe à 3 % sur les dividendes continuent de baisser. Par ailleurs, la contribution française au budget européen et les subventions ralentissent, après un premier trimestre dynamique du fait notamment de la hausse du taux du CICE applicable aux salaires versés en 2017.Mais, de leur côté, les recettes fléchissent quelque peu (−0,3% après +0,1%), et cela principalement en raison du net repli des impôts sur le revenu et sur le patrimoine et de la moindre croissance de la TVA qu’espérée. Ce recul est dû à la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés pour les bénéfices allant jusqu’à 500 000 €, et au remplacement de l’ISF par l’IFI.
La persistance du chômage de masse
La persistance d’un taux de chômage élevé dans l’économie française est un problème majeur de cette dernière depuis environ une quinzaine d’années. On l’a montré dans une précédente publication[3]. Il convient cependant d’aller plus loin. Le chômage au sens du BIT se situe autour de 9% de la population active. Mais, l’analyse des chiffres de la DARES nous donne une vision plus fine du problème.
Il faut savoir que, dans les publications courantes, seul les chiffres de la catégorie « A » sont retenus dans les publications « grand public » et dans la communication du gouvernement. Or, cette catégorie pose actuellement de nombreux problèmes. Or les chômeurs ne sont pas recensés QUE dans cette catégorie. Elle ne comptabilise que « demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, sans emploi». Or, nous avons aussi les catégories « B » et « D » des comptes de la DARES qui semblent toutes aussi pertinentes. Ces catégories sont ainsi définies :
- Catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (i.e. de 78 heures ou moins au cours du mois). On constate qu’il s’agit là de personnes employées à temps partiel inférieur à 50% de la durée légale du travail, sans que ce temps partiel résulte d’une demande de leur part.
- Catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi (en raison d’un stage, d’une formation, d’une maladie, d’un congé maternité,…), sans emploi. Cette catégorie correspond à des personnes de la catégorie « A » qui ont été exemptées, pour des raisons diverses (mais toutes justifiées) de faire des « actes positifs de recherches d’emplois». Ces personnes correspondent donc bien à une partie des chômeurs.
On conçoit alors que quelqu’un ayant travaillé moins de 78h dans le mois corresponde, en réalité, à un chômeur tout comme un demandeur d’emploi non tenu de faire des actes positifs de recherche d’emploi et qu’il serait logique de tenir compte non pas de la catégorie « A » mais de l’agrégat des catégories « A », « B » et « C » pour avoir une vision plus réaliste de l’ampleur du chômage en France. Regardons alors l’évolution des chiffres depuis la fin de 2015 :
Tableau 2
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