SPUTNIK
«La colère est trop forte et
générale»
Sur les réseaux sociaux, les pages appelant à «bloquer la France» le 17 novembre se multiplient. Lancé à la base pour protester contre la hausse des prix du carburant, le mouvement cristallise la colère des Français. Sputnik France a contacté plusieurs organisateurs de cet élan populaire, qualifié d’«inédit» par un syndicat de police. Enquête.
«On voit les infos, on gueule devant notre télé, on est toujours en train de se plaindre, au bout d'un moment, on arrive à saturation vis-à-vis des augmentations, des taxes, des lois qu'ils pondent. J'ai 26 ans, je me considère encore comme jeune, je pense à mon avenir et surtout à celui de mes enfants, et l'avenir me fait très peur quand je vois ce qui se passe aujourd'hui.»

Cindy Bozier est en colère. Comme cette jeune maman résidant dans la Marne, ils sont des milliers à avoir rejoint l'appel à bloquer les routes de France le 17 novembre prochain. Co-lancée par le chauffeur routier Éric Drouet le 10 octobre, la page «Blocage national contre la hausse du carburant» a depuis fait des petits. L'évènement, qui invite les participants à bloquer le périphérique parisien, a inspiré des dizaines d'organisateurs à travers le pays. Nice, Orléans, Montargis, Mulhouse, Troyes, Sens, Clermont-Ferrand, Fréjus, Bordeaux, Guingamp… Tout le territoire est quadrillé par ces citoyens en colère. Ces évènements, qui comptent pour certains plusieurs milliers de participants annoncés, ont toute l'attention des autorités. Même si l'heure est à l'observation.
«Les autorités prennent toujours ce type de mouvement au sérieux. Quelles formes vont prendre ces rassemblements? Des opérations escargot seront-elles organisées? Bien évidemment que tout ceci est surveillé de près. Pour le moment, aucune consigne spécifique ne nous a été donnée.
J'imagine que les services de renseignement sont à pied d'œuvre pour collecter des informations afin de savoir quelles formes de contestation vont avoir lieu sur le territoire national. Et ainsi prévoir quelles mesures de sécurité seront les plus adaptées», explique à Sputnik France Axel Ronde, secrétaire général du syndicat VIGI de la Police nationale d'Île-de-France.
La décision du gouvernement d'augmenter les taxes à hauteur de 7 centimes d'euros par litre de diesel et de 4 centimes d'euros par litre d'essence d'ici 2020, conjuguée à des prix du baril de pétrole en hausse font flamber les tarifs. L'Association nationale de défense des consommateurs et usagers affirme que le gasoil et l'essence ont augmenté de 15 à 20 centimes en un an. Les prix à la pompe flirtent actuellement avec les 1,50 euro du litre.
«C'est principalement à cause de la hausse des taxes sur le carburant et c'est ce qui a motivé l'organisation des blocages du 17. Mais c'est un ras-le-bol général. On est à 1,50 euro le litre. Mon mari et moi faisons 150 km aller-retour pour aller au travail chaque jour. On dépense plus dans le carburant pour aller travailler qu'autre chose. Le budget essence a pris une importance démesurée, on est tout le temps obligé de compter», se désole Cindy.
Mais c'est loin d'être le seul grief des contestataires. Ils jugent leur pouvoir d'achat en baisse et désirent crier leur ras-le-bol contre ce qu'ils considèrent comme un matraquage de l'État.
«Il y a une colère générale. Le Français de classe moyenne, mais pas que, n'en peut plus de l'augmentation des taxes. Le temps à rester se plaindre assis dans son canapé est révolu. Place à l'action», s'insurge Baptiste Bonhomme, plombier-chauffagiste niçois de 28 ans qui manifestera dans sa ville le 17 novembre.
Ce qui frappe, c'est l'hétérogénéité du mouvement. Jeunes actifs, chômeurs, mères de famille, cadres, ouvriers, retraités et bien d'autres profils composent ce tissu explosif pour l'Élysée et Matignon. Quand on demande à Emmanuelle, agent hospitalier de 37 ans et maman célibataire d'un petit garçon de 8 ans, pourquoi elle a décidé d'organiser le blocage de Montargis, sa réponse est sans équivoque:
«Et pourquoi pas? Les gens subissent depuis des années. Nous sommes aujourd'hui dans une situation où ne vivons plus, nous travaillons pour tenter de survivre. Nos salaires n'augmentent pas, bien au contraire, et à l'inverse les taxes ne font que s'accumuler. Nous sommes tous dans la même situation. Combien doivent cumuler des emplois, vendre leur maison, leur commerce ou leur entreprise? Il est temps de dire stop!»
Face à la colère, le gouvernement ne veut rien lâcher et justifie sa décision par la nécessité d'alourdir la fiscalité écologique. Il blâme également le marché de l'énergie. Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, a récemment insisté, dans les colonnes du Parisien, sur le fait que la hausse des prix du baril était largement responsable de l'augmentation des prix à la pompe. 16 centimes sur 20 depuis un an, pour être précis. Il a avancé l'idée d'une prime à la conversion plus «efficace» afin de compenser l'augmentation du prix du carburant. Mesure qu'il décrit comme une possibilité donnée aux Français «d'acheter des véhicules propres, qui consomment moins».
«C'est très bien, mais croyez-vous réellement que la moitié des Français ont les moyens à l'heure actuelle d'acheter un nouveau véhicule? Certes, il faut réagir pour notre planète, mais avant d'attaquer les automobilistes, il faudrait peut-être revoir la pollution aérienne, maritime? Et puis sincèrement, une prime de 2.000, voire 4.000 € ne suffira pas! Il faudrait déjà augmenter le pouvoir d'achat des Français!», tempête Emmanuelle.