Gabin Formont (à gauche), fondateur de "Vécu, le média du 'gilet jaune'", interroge le 10 janvier 2019 Lauranne Chosse, victime de violences policières lors d'une manifestation des "gilets jaunes". (VECU / FACEBOOK)
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"Je me considère comme un citoyen en colère qui a monté une page pour aider, pour donner de l’info." Gabin Formont, 28 ans, a lancé sur Facebook "Vécu, le média du 'gilet jaune'", le 16 décembre. Une page d'"actualité" suivie par quelque 47 000 personnes, au 18 janvier. A l'instar de "Vécu", de nouveaux canaux d'information ont fait leur apparition depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", le 17 novembre, sur fond d'une défiance profonde à l'égard les médias traditionnels.
Une méfiance face aux médias
Gabin Formont a grandi dans la Creuse et réside aujourd'hui à Asnières (Hauts-de-Seine). Il ne s'intéressait pas vraiment au journalisme avant les "gilets jaunes", mais ce titulaire d'un BTS a été agacé ces dernières semaines par le traitement journalistique du mouvement. Il dénonce une "nette désinformation des médias sur les chiffres des manifestations et les réelles motivations des 'gilets jaunes'".
J'estime que les médias tronquent la vérité, la manipulent.à franceinfo
"Dans les médias mainstream, l'information n'est traitée que d'une seule manière, abonde Florian Neau, qui copilote la page Facebook "Jaune TV News", lancée le 25 décembre et suivie par près de 1 700 personnes, au 18 janvier. "C’est une impression personnelle mais je ne suis pas le seul à la partager", poursuit l'intérimaire de 23 ans, qui habite aux Sables-d'Olonne.
Ces commentaires et l'émergence de ces canaux ne surprennent pas Claire Blandin, historienne des médias et professeure à l'université Paris 13. "A chaque fois qu'il y a une très forte critique des médias, de nouveaux espaces publics alternatifs apparaissent", analyse-t-elle. Lors de la Première Guerre mondiale, rappelle-t-elle, "les grands quotidiens étaient accusés de participer au bourrage de crâne et les poilus avaient créé des journaux de tranchées pour faire circuler une information différente". Elle mentionne également l'apparition dans les années 1970 de radios pirates qui contestaient le monopole des services publics dans l'audiovisuel.
A l'heure d'internet, le canal de diffusion est différent, mais les intentions sont les mêmes. "J’ai voulu créer un média qui puisse dire autre chose au sujet des 'gilets jaunes' en leur donnant la parole", pointe Gabin Formont.
Je veux un média indépendant des groupes financiers pour avoir une liberté de ton et de parole
Florian Neau, fondateur de la page Facebook "Jaune TV News"
à franceinfo
Cette allusion à la question du financement est récurrente au sein des "gilets jaunes". "On peut se demander pourquoi les milliardaires ont racheté toute la presse ces dix dernières années si ce n'est pas pour faire du lobbying pour leurs intérêts personnels et pour manipuler l'opinion publique quand ils en ont besoin", soulève Gabin Formont.
Le journal Le Monde a répondu, le 15 janvier, à cette critique fréquente chez les "gilets jaunes". "Même possédés par des actionnaires privés, de nombreux médias conservent leur indépendance éditoriale", écrit le quotidien. Il rappelle que "les journalistes sont protégés des interventions des actionnaires par une charte d'indépendance" et que la rédaction "n’a d'ailleurs pas hésité à publier des articles sans concessions sur Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse [propriétaires du titre]".
"Rester le plus neutre possible"
Qu'à cela ne tienne. BFMTV, qui appartient au groupe du milliardaire Patrick Drahi, est souvent présentée comme un anti-modèle par les nouveaux reporters amateurs. Ils reprochent aux journalistes de la chaîne, mais aussi à d'autres antennes, de trop commenter, de ne pas être objectif ou de ne pas rapporter fidèlement les faits. "Nous, on essaye de rester le plus neutre possible, de ne pas prendre parti", martèle auprès de franceinfo Steven Normand, 18 ans, apprenti dans la carrosserie, qui codirige la page Facebook "France actus", lancée le 8 décembre et suivie par environ 14 000 personnes, au 18 janvier.
Mais comment être neutre, objectif ou impartial lorsqu'un média annonce, dans son nom, se mettre du côté des "gilets jaunes" ? "Ils existaient bien avant le 17 novembre et ce sont simplement des citoyens en colère, dont je fais partie", tente Benjamin, mécanicien moto de 40 ans, qui a lancé le 19 novembre la page "Born to be jaune", suivie par près de 11 000 personnes, au 18 janvier. "Je suis au service de la vérité, au service des citoyens", tranche Gabin Formont, qui, sur la page "Vécu", a rapidement émis des réserves quant à la fausse information qui annonçait la mort d'une manifestante belge, à Paris, le 5 janvier, alors que la rumeur enflait à grande vitesse sur les réseaux sociaux et notamment chez les "gilets jaunes". Reste que ce sont les médias "traditionnels", à l'aide de services de fact checking, comme ceux de l'AFP (AFP Factuel), du Monde (Les Décodeurs), de Libération Checknews, de franceinfo (Vrai ou fake) ou d'autres rédactions, qui ont fini par démentir cette rumeur.
D'ailleurs, si ces nouveaux médias se méfient des titres traditionnels, ils ne les écartent pas totalement. "Born to be jaune" a partagé, par exemple, un article de L'Obs. "France actus" propose une revue de presse sur des thèmes variés et partage des articles du Figaro, de LCI, de France 3 Bourgogne-Franche-Comté et même de BFMTV. "On ne ferme la porte à aucune source. On essaie de croiser les informations et d'apporter une information qui semble fiable et vérifiée", explique Steven Normand, qui travaille avec une dizaine de personnes, réparties en France et âgées de 18 à 60 ans. Avec quelques ratés. "France actus" a notamment partagé, le 7 janvier, un article du site complotiste Les Moutons enragés, sans préciser que cet article datait de 2012.
Le direct en étendard
Mais le cœur de l'activité de ces nouveaux médias réside dans les directs sur Facebook. Leurs modèles sont les lives de Russia Today France et de Rémy Buisine, journaliste chez Brut. Ils se sont fait un nom en tournant, sans trop de commentaires, des directs au milieu des cortèges, avec la promesse de vivre la manifestation comme si vous y étiez. "Ils nous ont fait rêver. On n'a jamais senti une information aussi proche des gens", s'enthousiasme Benjamin, de "Born to be jaune".
Il faut proposer de l'information en direct parce que voir ce qu'il se passe réellement sur le terrain, c'est ce qui intéresse vraiment les gens.
à franceinfo
Pour "Vécu", Gabin Formont a tourné des directs lors des samedis de mobilisation, comme à Bourges, le 12 janvier. Il évolue dans le cortège, répond aux commentaires des internautes, donne la parole à des manifestants anonymes, mais aussi à des leaders des "gilets jaunes", tels que Maxime Nicolle, alias Fly Rider (cliquez sur l'image pour lancer la vidéo).
De son côté, "France actus" a proposé, le 12 janvier, une "édition spéciale"avec un long direct dans lequel se mêlaient des lives tournés dans plusieurs villes, une sorte de multiplex. On trouve en bas de l'image un bandeau défilant, similaire à celui des chaînes d'information en continu, et des interventions en direct des internautes sur place.
Pour contrebalancer les chiffres du ministère de l'Intérieur, l'équipe a également proposé son comptage des manifestants, avec une calculatrice à l'écran. "En direct, chaque personne donnait approximativement le nombre de 'gilets jaunes' qui étaient dans leur rassemblement, explique Steven Normand. Au total, pour la dernière manifestation, on était à 325 000 manifestants", alors que le ministère de l'Intérieur annonçait un total de 92 000 manifestants.