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 UE : la stratégie du pourrissement est-elle la clé pour reconquérir la souveraineté nationale ?

Voix de l'Hexagone

Les pressions que subit le gouvernement du Royaume-Uni de la part de l’Union européenne et des anti-Brexit montrent la quasi impossibilité de sortir légalement de l’UE. Ce constat suffit à faire éclater aux yeux du monde une vérité : l’Union – terre de « paix » et de « démocratie » – s’apparente à une secte d’où on ne s’exfiltre qu’à ses dépends. Et si la stratégie gagnante était ailleurs ?

Le Royaume-Uni se trouve pris en étau entre l’implacabilité de l’Union, les pro-Brexit (mal préparés et franchement lâches) et les promoteurs d’un second référendum, qui s’affirment par une pétition en ligne et une manifestation géante le samedi 23 mars. L’hypothèse d’un Brexit avec accord devient plus que compromise. Il apparaît de plus en plus probable que le pays se dirige soit vers un Brexit dur (no deal) soit vers un rappel aux urnes dans le but d’entériner le remain. Dans le second cas, nul ne pourrait nier la trahison démocratique à l’œuvre. Si le Brexit échoue, il sera alors certain qu’aucun autre pays qui s’oppose à l’Union et désire retrouver sa souveraineté n’osera tenter une sortie légale. Il suffit pour s’en persuader de revenir quelques années en arrière, en Grèce. Quand un européiste éclairé tel que Valéry Giscard d’Estaing prônait une sortie a minima de l’eurozone pour le pays, la Troïka a mené une telle guerre de pressions et de chantage contre Alexis Tsipras que ce dernier s’est littéralement couché pour mieux accepter de mettre en place la politique d’austérité attendue par ses créanciers. Il faut voir la réalité économique en face… L’euro est une monnaie trop forte pour la quasi-totalité des États-membres et l’Union a atteint son but originel : déposséder les nations de leur souveraineté sous prétexte de mater leur caractère dit belliqueux. Et les faits tendent malheureusement à prouver que les tentatives de sorties seront automatiquement torpillées.

« Si les pays n’appliquent plus, à la carte ou dans leur intégralité, les traités européens, alors l’UE actuelle sera condamnée à devenir une coquille vide. Elle deviendra inopérante et, de ce fait, se réformera contrainte et forcée ou mourra. »

Il ne peut exister alors qu’une seule autre solution crédible qui relève du pragmatisme politique: la stratégie du pourrissement interne. Puisque quitter l’Union et/ou l’euro est infiniment compliqué dans un système aussi technocratique et puisqu’une politique indépendante, souveraine, sociale, écologique et préservant les intérêts nationaux est impossible dans l’UE, alors les États contestataires peuvent user de la stratégie du ver dans la pomme déjà pourrie. En pratique, il s’agirait de retourner cette arme de la pression et du chantage tant appréciée par l’Union en refusant d’appliquer tous les textes européens. On peut ainsi espérer que le courage politique de plusieurs États contribuerait à créer un effet-dominos. Si les pays n’appliquent plus, à la carte ou dans leur intégralité, les traités européens, alors l’UE actuelle sera condamnée à devenir une coquille vide. Elle deviendra inopérante et, de ce fait, se réformera contrainte et forcée ou mourra. Plutôt qu’une explosion, on pourra parler d’implosion.

Réhabiliter la notion de populisme

La stratégie du pourrissement, comme celle des sorties, comporte une série d’obstacles et de conditions non négligeables ; tout d’abord, elle suppose l’arrivée au pouvoir de gouvernements au moins eurocritiques/eurosceptiques, au mieux souverainistes. En d’autres termes, des gouvernements « populistes » de gauche ou de droite.

Pour renouer avec sa souveraineté, un État doit renouer avant tout avec son peuple. Le terme populiste, lui-même particulièrement galvaudé et considéré comme péjoratif depuis Platon, est utilisé à mauvais escient par ceux qui y voient sourdre une menace et qui l’accompagnent allègrement de l’invocation caricaturale des « heures les plus sombres de notre Histoire ». 

Victime d’un emploi volontairement abusif[1], le terme de populisme est dégainé pour diaboliser toute aspiration du peuple à faire entendre sa voix légitime, bref pour étouffer toute pulsion démocratique. En 2011, le journal L’Humanité déplorait cette diabolisation : « On le trouve dans tous les magazines, les dirigeants européens le brandissent pour museler les critiques face aux plans de rigueur impopulaires. »[2] À la base, on pourrait qualifier succinctement le populisme comme un mouvement, programme ou discours politique s’adressant aux classes populaires, fondé sur la critique d’un système et de ses représentants. L’Union étant à elle seule un système – mortifère, anti-démocratique par essence et bureaucratique –, les gouvernements qui s’opposeraient à elle doivent assumer ce terme de populisme et redorer son blason passablement écorné.

« Victime d’un emploi volontairement abusif, le terme de populisme est dégainé pour diaboliser toute aspiration du peuple à faire entendre sa voix légitime, bref pour étouffer toute pulsion démocratique »

Dans un article paru en 1997 dans la revue d’histoire Vingtième siècle, Pierre-André Taguieff écrivait : « Sa signification oscille entre fascisme (tel qu’il est imaginé dans la culture anti-fasciste) et démagogie. Il s’ensuit que le populisme semble se définir soit par son orientation anti-démocratique (« fasciste »), soit par son allure pseudo-démocratique. » [3] 

Auteur de l’ouvrage Eloge du populisme[4]l’essayiste Vincent Coussedière, agrégé de philosophie, définit quant à lui le populisme comme « le retour du refoulé des peuples européens ». Et d’ajouter lors d’un entretien au FigaroVox : « Les peuples veulent continuer à être des peuples, c’est-à-dire qu’ils veulent continuer à conserver une certaine unité de mœurs, une forme ‘nationale’, et une souveraineté, une capacité libre de prendre les décisions qui leur importe. Ceci s’exprime par une inquiétude profonde quant à l’impact de l’immigration sur les mœurs auxquelles on tient, et par une inquiétude toute aussi profonde quant à une souveraineté paralysée par des alliances post-nationales. »[5]

Cependant, comment définir un gouvernement populiste de droite ou de gauche vis-à-vis de l’UE actuelle ? On pourrait dire qu’un gouvernement populiste de droite refuse de se soumettre à la volonté de lissage des identités et cultures prôné par l’Union. Son programme serait plutôt basé sur la défense d’une identité nationale et sur l’image d’un « peuple qui ne veut pas mourir » au milieu de la mondialisation et de l’immigration de masse ; un populisme de gauche, tel que remis au goût du jour notamment par la philosophe Chantal Mouffe, se définirait plutôt, face à la mondialisation et à l’abandon par les sociaux-démocrates de la classe ouvrière, comme la remise au centre du débat d’un projet politique unificateur et progressiste pour constituer une résistance au néolibéralisme.

Les promoteurs d’un tel projet ne chercheraient pas à séduire uniquement un électorat traditionnellement de gauche. Dans une interview accordée au magazine Regards, Chantal Mouffe affirme : « Nous sommes tous affectés, dans nos vies, dans nos corps, par les conséquences d’un capitalisme financiarisé. C’est sur ce terrain que nous pouvons espérer construire un projet transversal. Cette construction d’une identité politique transversale articulée dans un projet émancipateur, c’est ce que j’appelle peuple. »[6]

Une nécessaire union de deux gouvernements populistes

L’union fait la force. Et dans un système aussi implacable que l’UE, l’union objective de deux gouvernements serait la seule arme efficace. En d’autres termes, il faudrait que deux Etats-membres (au moins) s’allient stratégiquement pour que leur décision de ne plus appliquer les traités ou les actes de droit dérivé qui leur déplaisent pèse vraiment et que la capacité de menace de l’UE soit réduite à néant. Un binôme qui serait soudé et qui se soutiendrait mutuellement dans son entreprise de reconquête de souveraineté.

Ce choix nécessite évidemment un courage politique.

Courage qui peut être décuplé si l’on part du principe que le pouvoir de nuisance de l’UE n’est pas si élevé qu’on veut le faire croire. Si cette dernière possède les clés du pouvoir, c’est parce que les États les lui ont volontairement remises. C’est plus ou moins le concept de servitude volontaire défini par Etienne de la Boétie, au niveau national. Il ne faut donc plus avoir « peur de l’UE ». Celle-ci n’exclura probablement jamais l’un de ses États-membres. Et sa capacité punitive est limitée par la règle de l’unanimité. Ainsi, un pacte de protection entre les pays d’Europe centrale existe déjà[7]. Quant au recours en manquement, même s’il peut aller jusqu’à des sanctions financières, il deviendra lui-même inopérant face au refus de plusieurs pays de payer les amendes prononcées par la Cour de Justice de l’Union européenne. Les armes de l’Union ne sont efficaces que parce qu’on leur permet de l’être.

« Il faut partir du principe que le pouvoir de nuisance de l’UE n’est pas si élevé qu’on veut le faire croire. Si cette dernière possède les clés du pouvoir, c’est parce que les États les lui ont volontairement remises […] Les armes de l’Union ne sont efficaces que parce qu’on leur permet de l’être »

Cependant, un obstacle apparaît rapidement dans ce schéma : les gouvernements populistes eux-mêmes qui ne seraient peut-être pas prêts à l’entente. Peut-on espérer une alliance, sauf objective, entre des populistes de gauche et de droite, au nom d’une cause commune beaucoup plus grande qui est celle de la souveraineté retrouvée ?

On peut en douter.

Les populistes de droite d’Europe centrale sont plutôt préoccupés par la volonté de sauvegarder leur culture et leurs frontières de l’immigration que par le néo-libéralisme (pourtant dévastateur) de l’UE. Ils refusent de se soumettre à la doxa immigrationniste/multiculturelle mais ne remettent pas forcément en cause la doxa économique, la Pologne et la Hongrie restant d’ailleurs hors de la zone euro.

Une alliance aurait peut-être des chances d’éclore au sud de l’Union, avec le gouvernement portugais de Costa (gauche) qui a déjà refusé d’appliquer le programme d’austérité économique de l’UE, avec un succès indéniable pour le pays. De facto, hormis de sévères critiques l’Union n’a rien entrepris pour contrer l’action de ce gouvernement.

L’Italie de Giuseppe Conte pourrait aussi être un pays-leader. En France, les chances de voir un gouvernement s’opposer net à l’application des traités sont quasi nulles étant donné que le poids électoral des rares partis eurocritiques, LFI, la MRC, l’UPR ou les Patriotes, est insuffisant pour espérer à court terme une arrivée au pouvoir. Mathématiquement, seule une union des souverainistes de gauche et de droite permettrait probablement de gagner électoralement la présidentielle mais une telle alliance n’existera jamais.

« Puisque l’UE se considère comme un berger autoritaire qui préfère enfermer ses brebis récalcitrantes dans la bergerie, peut-être la meilleure solution pour les brebis est-elle de souiller la bergerie au point de la rendre invivable et asphyxiante. Alors les portes s’ouvriront d’elles-mêmes »

Les difficultés de la stratégie du pourrissement interne de l’Union existent donc bel et bien. Toutefois, elles semblent objectivement plus surmontables que l’hypothèse de voir des sorties « légales » réussir pleinement. L’acharnement de l’UE et des anti-Brexit prouve combien ont été démonétisées la démocratie et l’onction référendaire. Il démontre également à quel point une organisation supra-nationale qui cherche à faire des croche-pattes à un État plutôt que d’accepter sa décision est nocive pour l’avenir des peuples. Puisque l’UE se considère comme un berger autoritaire qui préfère enfermer ses brebis récalcitrantes dans la bergerie, peut-être la meilleure solution pour les brebis est-elle de souiller la bergerie au point de la rendre invivable et asphyxiante. Alors les portes s’ouvriront d’elles-mêmes.


Notes :
[1] Pierre RIMBERT, « Un mot qui signifie ‘panique' »Le Monde Diplomatique – « Manière de Voir », avril-mai 2019.
[2] Benoît SCHNEKENBURGER, « L’anathème politique de l’année : populiste ! »L’Humanité, 22 janvier 2011.
[3] Pierre-André TAGUIEFF, « Le populisme et la science politique du mirage conceptuel aux vrais problèmes »Vingtième siècle, 1997, pp. 4-33.
[4] Vincent COUSSEDIÈRE, Éloge du populisme, Elya Editions, coll. « Voix nouvelles », 2012.
[5] Entretien d’Alexandre DEVECCHIO avec Vincent COUSSEDIÈRE : « Le populisme, c’est le parti des conservateurs qui n’ont pas de partis »FigaroVox, 18 mars 2016.
[6] Entretien de Gildas LE DEM avec Chantal MOUFFE : « Il me semble urgent et nécessaire de promouvoir un populisme de gauche »Regards, numéro d’été 2016.
[7] « Viktor Orban affiche son alliance avec la Pologne »lefigaro.fr/AFP15 mars 2019.

Tag(s) : #Union européenne
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