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et consumimur igni 
et consumimur igni 

Acte XXX des gilets jaunes, une ténacité inédite et exemplaire 

Violences à Montpellier 

Il est assez ahurissant que nous soyons maintenant parvenus à l’acte XXX des manifestations hebdomadaires et que les journalistes se contentent seulement de pointer le déclin du nombre des manifestants, au lieu de saluer la ténacité des gilets jaunes. Ceux-ci sont bien moins nombreux à manifester, c’est vrai. Effectivement après les interdictions de manifester, après les condamnations judiciaires et la répression policière, la chape de plomb est retombée sur l’information. Des consignes sont données pour qu’on ne fasse pas trop de publicité pour le mouvement dans les médias dominants.

Dans Histoire d’un homme du peuple, Erckmann-Chatrian[1] racontent la révolution de 1848 en développant l’image du calme avant la tempête, quand la mer se retire pour revenir encore plus fortement la puissance qui va emporter les digues du Vieux Monde. Cette image est bien adaptée à la situation que nous connaissons aujourd’hui. En effet, les causes de la révolte n’ont pas été dissipées, quel que soit l’angle sous lequel on regarde le catastrophique quinquennat de Macron, et de partout on sent une colère terrible. Les partis de gauche sensés défendre le peuple sont aux abonnés absents, occupés à méditer sur la déconvenue qui fut la leur lors des dernières élections européennes, et les syndicats n’en finissent pas de se ramollir.

Mais il serait illusoire de croire que l’ordre règne. En effet, un peu de partout en France, les gilets jaunes se réunissent, fourbissent leurs armes et préparent la suite. Des réunions ont lieu en semaine, ici ou là, nombreuses dans le Sud comme dans le Nord.

Le mouvement prévoit de continuer ses démonstrations au moins jusqu’au 22 juin. On sera alors dans le 7ème mois ! Les médias qui sont ouvertement du côté du pouvoir se demandent pourquoi cela continue[2]. Evidemment comme les journalistes ont pris la triste habitude de vivre couchés, ils ne comprennent pas que les Français se redressent. Or l’évidence c’est que cette mobilisation a ses raisons :

- la première c’est l’immobilisme affairiste de Macron qui ne veut pas comprendre qu’on contrarie son plan de carrière, qu’on ne le laisse pas faire ses petites privatisations, sa destruction des services publics. En sept mois il n’a été capable que d’une seule chose, rassembler autour de lui la droite affairiste et cosmopolite. Cette droite versaillaise qui, des débris du PS, aux ralliés de LR, ne conçoit la démocratie que quand on ne la contrarie pas. Elu minoritaire, Macron est illégitime ;

- la seconde est que cette politique à la Guizot – Guizot qui fut ne l’oublions pas le ministre à l’origine de la révolution de 1848 – n’est pas adaptée aux problèmes du jour, alors qu’elle était déjà considérée comme réactionnaire et dépassée à cette époque. Alors même que nous sommes confrontés à une crise écologique d’envergure, le président-fou propose de continuer comme avant dans le productivisme.

Les choses se mettent doucement en place, et il apparaît que Macron est une sorte de Sarkozy – donc un président très à droite – mais la folie en plus. Dans les grandes manœuvres qui s’annoncent, Macron débauche Les Républicains à tour de bras et mise probablement sur l’union des droites, de LR à Jadot pour se faire réélire, même avec un bilan pourri[3].

Ce coming out lui permettra en outre de recruter un personnel politique un petit peu plus compétent, parce que les LREM manquent beaucoup de personnel qualifié – encore que cela risque de repousser un certain nombre de macroniens un peu trop à gauche. Mais ces manœuvres politiciennes qui vont faire de Macron un politicard de la droite dure ordinaire à plein temps, les gilets jaunes s’en foutent un peu. Sauf qu’évidemment cela risque d’empêcher le rapprochement avec Jadot et EELV : tout le monde admet qu’aujourd’hui il y a trois blocs qui se manifestent dans les urnes, une droite ordinaire, affairiste et cosmopolite qui va de Macron au Modem en passant par LR et UDI, une gauche déphasée qui irait du PS à la France Insoumise en passant par EELV et le PCF, et puis un troisième bloc qui se structure autour du RN. C’est cependant un trompe l’œil parce que comme on l’a vu le 26 mai dernier, plus de 50% des électeurs – sans même parler de ceux qui ne sont pas inscrits et qui seraient 9 millions – se refusent à choisir entre la peste brune et le choléra macronien. 

Acte XXX des gilets jaunes, une ténacité inédite et exemplaire 

Il y avait beaucoup de monde à Montpellier le samedi 8 juin 2019 

La participation est restée cependant assez plate, autour de 40 000 manifestants[4], tandis que les services de Castaner qui ne craignent plus depuis longtemps le ridicule annonçaient 3700 manifestants sur toute la France, alors qu’on annonçait plus de 2 000 à Montpellier et plusieurs milliers à Paris, avec d’autres manifestations dans toute la France, Marseille, Nice, Antibes, ou encore à Toulouse, Nancy, Caen. Il y a eu des violences ouvertes par la milice de Castaner à Montpellier, alors que le cortège se formait place de la Comédie à midi, dès treize heures les CRS chargeaient et attaquaient les gilets jaunes à coups de grenades lacrymogènes. La partie un peu gauchiste des gilets jaunes a tenté de rallier à elle le peuple des banlieues en allant à Drancy. Mais ce fut un échec cinglant, en somme une dispersion inutile des forces, depuis le début le peuple des banlieues ne semble pas concerné par les gilets jaunes.

Tandis que les gilets jaunes se dirigeaient par ailleurs vers le siège de TF1, quelques milliers se rendaient en banlieue. Cette démarche semble obscure. Aller vers le peuple des banlieues suppose que celui-ci doit être en quelque sorte évangéliser, comme dans le temps on allait vers les « sauvages » pour leur apporter la civilisation. Éric Drouet au contraire disait qu’il fallait réinvestir les lieux du pouvoir comme les Champs-Elysées par exemple. Je suis d’accord avec cette idée, et si le peuple des banlieues se sent concerné, et bien il viendra, mais il faut prendre des lieux stratégiques, et ne pas se délocaliser. 

Acte XXX des gilets jaunes, une ténacité inédite et exemplaire 

A Drancy la milice est intervenue tout de suite en tirant dans le tas 

Entre temps justement Éric Drouet est passé en jugement le 5 juin, et le procureur a, dans un réquisitoire ridicule, tant il est dans une posture de soumission, demandé une peine de prison avec sursis assortie d’une amende. Bien que Drouet ait été ramassé en dehors du lieu de la manifestation, on le jugeait non seulement sur des intentions de la rejoindre, mais aussi d’y commettre des violences[5].

Le jugement a été mis en délibéré au début septembre, les juges ont besoin de trois mois pour se faire une opinion, c’est bien curieux, à moins qu’ils n’attendent le feu vert du président-fou. Mais ce procès est exemplaire de la fin des libertés politiques et de l’Etat de droit sous Macron et de l’instrumentalisation de la justice qu’il dévoile. Les journalistes se contentent pour rendre compte de la mobilisation des gilets jaunes de recopier le communiqué de l’AFP et de reprendre les chiffres de Castaner sans se poser de question, démontrant par-là que la dictature macronienne s’accommode tout à fait bien de l’absence manifeste de pluralisme de la presse. Libération est exemplaire de cette dérive, vous me direz que personne ne lit plus ce journal depuis bien longtemps, mais il n’empêche il ne faut guère avoir d’honneur pour se transformer en propagandiste de l’Elysée de cette manière[6].

Dans le même ordre d’idée d’une reprise en main intégrale, l’afficheur varois pro-gilets jaunes, Michel-Ange Flori, vient d’être condamné à verser 32 000 € à BFM-TV qui s’est sentie outragée par une affiche qui mettait en cause son indépendance vis-à-vis de la police en recyclant une vieille affiche de Mai 68[7].

En Mai 68, on criait à la dictature, et pourtant, le pouvoir gaulliste n’a jamais poursuivi ceux qui ont conçu ou collé cette affiche ! Il est vrai que Cohn-Bendit n’avait pas encore rejoint le camp de la réaction et ne s’affichait pas encore comme domestique du grand capital. Il est remarquable que cet histrion qui faisait profession de grande-gueule ne trouve rien à dire sur cette question. Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu ça. Cette manœuvre d’intimidation est du même ordre que la condamnation de trois gilets jaunes qui auraient crié « Castaner assassin »[8]. 

Acte XXX des gilets jaunes, une ténacité inédite et exemplaire 

A Nice les gilets jaunes se sont installés sur la place Garibaldi 

De la même manière en Mai 68 on criait facilement CRS=SS, mais à ma connaissance personne n’a jamais été poursuivi pour outrage. C’est bien d’une dégradation des mœurs politiques dont il s’agit : non seulement le personnel politiques est de plus en plus vulgaire et médiocre, mais en outre l’incompréhension totale de la situation les pousse vers ce qu’il y a de plus simple : interdire et matraquer.

On peut penser ce qu’on veut de ces slogans, mais l’injure et l’outrance a toujours fait partie du débat démocratique. Condamner des gilets jaunes pour injure, c’est clairement s’attaquer à la liberté d’expression. En Russie on arrête des journalistes, en France on n’en a pas besoin, ils pratiquent une telle autocensure qu’ils se contrôlent tous seuls, devançant les intentions de leurs patrons.

N’oublions pas que les journalistes sont chez nous le troisième pilier du soutien du bloc bourgeois à côté de la police et de la justice. Premiers fabricants de fake news, on ne les a toujours pas vu s’indigner de la violence policière ni même des condamnations honteuses mises en scène par Macron. Il y a cinquante ans, on s’indignait pour bien moins. Il est peut-être tente de retrouver un peu de dignité. 

Acte XXX des gilets jaunes, une ténacité inédite et exemplaire

L’affiche qui a amené la condamnation de Michel-Ange Flori, et en dessous son modèle

NOTES :

[1] J. Hetzel & A. Lacroix, 1865.

Tag(s) : #Gilets jaunes
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