Par Jean LEVY
Dimanche 6 octobre, Arte diffusait le soir aux heures de grande écoute un film allemand de 2006, "La vie des autres", destiné à noircir le jugement que les Français peuvent avoir de la République Démocratique Allemande et de son pouvoir socialiste.
Trente ans se sont écoulés depuis l'annexion de la RDA (la DDR en allemand), par la République Fédérale, et la génération présente n'a aucun souvenir de cette histoire de l'Europe, si ce n'est la doxa que la propagande anticommuniste présente comme une évidente vérité.
Il faut donc faire la lumière sur cette "Allemagne de l'Est" vouée aux gémonies.
Et reprendre l'histoire dénaturée de cette Europe, aux heures de la capitulation de l'Allemagne hitlérienne ce 8 mai 1945.
Les armées de l'Union soviétique à l'Est, celles des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne à l'Ouest, occupent en quatre zones le territoire allemand.
Quel va être le sort définitif que les nations victorieuses réservent à l'Allemagne ?
Staline et les dirigeants de l'URSS proposent que cet état soit réunifié et démilitarisé, neutre en quelque sorte, comme le sera l'Autriche, également occupée, dont le territoire a été annexé par Hitler en 1938.
Cette solution aurait évité la guerre froide
A cet offre de paix, les alliés, à l'Ouest, opposent par une décision unilatérale : dans leurs zones qu'ils occupent, ils créent en 1949 la République Fédérale avec Bonn pour capitale, ce qu'on appellera l'Allemagne de l'Ouest.
En réplique, Moscou contraint d'abandonner l'idée d'Allemagne unifiée, reconnaît dans sa zone la République Démocratique Allemande (la DDR en allemand) capitale Berlin, du moins limitée à la zone que les Soviétiques occupent.
La RFA, constituée à l'Ouest, soutenue économiquement par les USA, la Grande-Bretagne et la France, puissances occupantes, remettaient en selle non seulement les Krupp, Thyssen et la finance qui avaient porté Hitler au pouvoir en 1933, mais les structures policières héritées du Troisième Reich et leurs cadres SS, bien utiles par leur savoir faire dans la répression anticommuniste. Faut-il rappeler également que le N°2 du gouvernement du chancelier Konrad Adenauer, Hans Globke, fut un haut fonctionnaire du régime nazi
Hans Globke fut co-auteur des fameuses lois antisémites introduites en Allemagne hitlérienne. A ce titre, il figurait comme n°101 sur la liste des criminels nazis édifiée par les Alliés...
Pour comprendre les conditions dans lesquelles la RDA s'est érigée en état de droit, il faut se rappeler que peu d'années avant sa constitution, la population, au moins jusqu'à la victoire soviétique de Stalingrad, voire plus tard, acceptait encore en majorité le pouvoir nazi.
La défaite de celui-ci a permis à la résistance communiste allemande, qu'elle soit clandestine ou venue de Moscou d'émerger, pas toujours avec le soutien des militaires soviétiques, qui poursuivaient le démantèlement de ce qui restait de l'industrie allemande, en guise de prise de guerre.
Ce n'est donc que quatre ans après la victoire de leur armée que Moscou reconnaissait un état allemand
Il faut bien comprendre que les dirigeants de la RDA devaient pour établir un pouvoir populaire, convaincre la population des bienfaits du socialisme. Objectif gagné sur le plan social, mais plus difficile à réaliser sur le plan des libertés individuelles.
Pour illustrer l'esprit des dirigeants de RDA, est bon de rappeler l'effort de dénazification de ceux-ci. En délégation en RDA dans les années soixante, à la suite de la projection d'un film sur la montée au pouvoir d'Hitler où s'exprimait l'enthousiasme massive de la population, film projeté systématiquement en direction des jeunes, l'auteur de ce présent article s'en étonnait : "C'est prendre les citoyens à rebrousse poil que de leur montrer de cette façon la responsabilité du peuple allemand dans le régime hitlérien..."
Réponse des militants qui nous recevaient :
"Ils ont supporté Hitler pendant dix ans. Ils peuvent aujourd'hui nous supporter !"
Ainsi, conscients des conditions particulières de leur accession au pouvoir, et cela dans le cadre de la guerre froide menée par l'impérialisme - guerre qui pouvait être chaude à tout moment - les dirigeants de RDA ont dû imposer un régime sécuritaire, avec la STASI, bras policier du régime, qui surveillait une population de fraîche date dénazifiée.
C'est cet aspect que la propagande anticommuniste développe depuis 70 ans.
Mais n'exagérons pas : une part de la population y a trouvé son compte : pas de chômage, un emploi garanti, une vie quotidienne normale, une industrie en expansion compensaient des restrictions des libertés.
Et capter les richesses de cet état allemand, en annexant son territoire dès la chute du Mur en 1989, a bien été la volonté impérialiste allemande de coloniser la RDA.
Ce que la video qui suit explique.
Les trente ans de la chute du mur vont fournir à nouveau l’occasion de célébrer la victoire contre l’affreux monstre communiste. Les médias objectifs vont ressortir les mêmes archives, les mêmes Gorbatchev, les mêmes Trabant, la même Stasi, la même « fin de l’histoire ». Depuis des années, l’historien Nicolas OFFENSTADT parcours ce PAYS DISPARU en interrogeant les traces, les ruines, les objets, qui deviennent autant de truchements pour faire vivre la mémoire et l’histoire.
[VIDÉO] En public depuis la Fête de l’Humanité, un entretien de Daniel Mermet avec l’historien Nicolas Offenstadt : la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/30-ans-apres-la-chute-du-mur-Ce-n-etait-pas-une-reunification-c-etait-une-colonisation