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Pedro Sánchez et Pablo Iglesias à la Moncloa © Borja Puig de la Bellacasa
Pedro Sánchez et Pablo Iglesias à la Moncloa © Borja Puig de la Bellacasa

Pedro Sánchez et Pablo Iglesias à la Moncloa © Borja Puig de la Bellacasa

L’Espagne se dirige vers de nouvelles élections législatives le 10 novembre prochain. Ce seront les quatrièmes en quatre ans. Une telle instabilité est le pendant institutionnel d’un paysage politique toujours plus fragmenté : décomposition du paysage politique et instabilité des institutions vont ainsi de pair pour le moment.

Dernier parti politique à se lancer sur la scène nationale, celui fondé par Iñigo Errejón contribue à cette tendance. Il vise à concurrencer à la fois Podemos, le PSOE et, peut-être, la frange la moins radicalisée de Ciudadanos. Analyse en collaboration avec Hémisphère gauche.


La décomposition à l’œuvre s’accompagne de transformations dans l’identité programmatique – et donc dans l’orientation stratégique – de certains partis. Le cas de Podemos nous semble, à ce titre, emblématique et d’un intérêt particulier pour celles et ceux qui s’intéressent à la refondation de la social-démocratie en Europe. Celle-ci serait-elle le stade actuel du populisme dit « de gauche » ?

Fondé au début de l’année 2014, issu du mouvement citoyen des « Indignés », Podemos correspond pour de nombreux observateurs de la vie politique européenne à l’archétype du « parti-mouvement » populiste[1]. Podemos serait un pur produit de l’étrange époque que nous traversons, dont la phrase d’Antonio Gramsci usée jusqu’à la corde[2] résumerait les craintes qu’elle inspire : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Podemos, un monstre ? Les évidences sont là pour celles et ceux qui le croient : sa proximité, parfois largement fantasmée, avec le régime d’Hugo Chávez et avec l’Iran ; ses manières plébéiennes ; sa critique virulente de la Transition espagnole (1975-1981) et de l’Union européenne ; son rejet du libéralisme économique ; ses velléités hégémoniques… Podemos incarnerait ainsi, à lui tout seul[3], le « moment populiste » en Espagne.

Cette étiquette, le populisme, Podemos ne l’a d’ailleurs jamais reniée. Il est né dans un contexte de crises multiples : crise économique et de la dette publique ; crise institutionnelle et politique ; crise culturelle, le récit fédérateur de la Transition[4] affichant de sérieux symptômes d’essoufflement. Il a été biberonné aux expériences de la gauche latino-américaine contemporaine et aux lectures d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe. Il s’est développé en usant magistralement de la visibilité médiatique de son secrétaire général à queue de cheval[5], Pablo Iglesias, habitué des plateaux de télévision où il débattait avec de truculents contradicteurs (journalistes ultra-conservateurs pour la plupart) avant de fonder Podemos et de devenir eurodéputé au printemps 2014. Tout était donc là pour la recette populiste, sauce « Laclau-Mouffe » : un moment de crise ; un leader charismatique à l’allure reconnaissable et au style plébéien ; une tentative d’agréger des demandes sociales contradictoires autour d’un récit et d’un imaginaire politiques communs « ni de droite ni de gauche » ; la volonté de repartir de zéro en proposant un « moment constituant » à l’aune du « moment destituant » (le fameux « dégagisme » dont Jean-Luc Mélenchon voulut se faire le porte-parole en 2017).

Or l’évolution de Podemos, depuis sa fondation jusqu’à nos jours, nous permet-elle de le considérer encore aujourd’hui comme un « mouvement populiste » ? Podemos porte-t-il, en fin de compte, un projet politique intrinsèquement novateur, défiant le clivage gauche-droite ? Est-il, dans ce sens, « ni de gauche ni de droite » ? Est-il encore porteur d’une stratégie de rupture et d’un programme « anti-establishment » ?

Il convient, avant de répondre à ces questions, de faire le point sur la dynamique électorale de Podemos et sur ses rapports avec le pouvoir.

Dès les élections européennes de 2014, Podemos s’est positionné comme l’une des quatre formations politiques principales à l’échelle nationale en recueillant plus de 1 200 000 voix et en envoyant cinq élus au Parlement de Strasbourg. Un an après, lors des élections législatives du 20 décembre 2015, sa coalition a obtenu près de 5 000 000 de voix et 69 députés au Congrès. Lorsque le Parlement, incapable de dégager une majorité, a du être renouvelé le 26 juin 2016, elle a légèrement reculé en perdant environ 100 000 voix mais est parvenue à obtenir 71 sièges et à dépasser Ciudadanos. Podemos et ses alliés étaient devenus le troisième groupe parlementaire et le sorpasso[6] du PSOE devenait une possibilité, explicitement désirée par Pablo Iglesias. Finalement, les dernières élections du 28 avril 2019 ont confirmé la place de la coalition menée par Podemos parmi les quatre premières formations politiques nationales, derrière Ciudadanos mais devant Vox. Les résultats furent néanmoins très décevants : la coalition a perdu près de 2 000 000 de voix par rapport à 2016 et 29 députés.

La dynamique électorale du parti de Pablo Iglesias est donc clairement déclinante. Cela peut s’expliquer par une multitude de facteurs : les difficultés de communication du secrétaire général, notamment autour de l’achat par lui et sa compagne d’une maison cossue dans le nord de Madrid ; son taux de popularité particulièrement bas chez les sympathisants des autres formations politiques, qui réduit considérablement la capacité de Podemos à élargir sa base électorale ; les luttes fratricides entre Iglesias et son ancien ami Iñigo Errejón (soldées par la défection de ce dernier et le ras-le-bol des militants) ; l’ambigüité de Podemos vis-à-vis du mouvement indépendantiste catalan ; le renouveau du PSOE sous l’autorité de Pedro Sánchez, qui a vaincu les barons historiques et replacé le parti socialiste sur le devant de la scène politique ; la menace d’une victoire de la droite et l’extrême droite, ayant concentré les voix de la gauche autour du PSOE dans une logique de « vote utile »…

Enfin, concernant la consolidation de la démocratie et les questions institutionnelles. Il importe de souligner la place qu’occupe l’Union européenne (UE) dans le programme de Podemos.

Non seulement toute idée de sortie de l’Union ou de l’euro est absente mais encore la formation politique de Pablo Iglesias envisage l’UE comme un échelon pertinent pour mettre en oeuvre d’ambitieuses politiques économiques, sociales et environnementales (notamment un Green New Deal européen, mentionné p. 108).

Aucune mention à d’âpres négociations pour réviser les traités (assorties de menaces de départ) n’est présente dans le document. Ceci contraste avec le premier programme électoral de Podemos pour les élections législatives de 2015. Celui-ci préconisait une révision des traités européens pour, notamment, « démocratiser la prise de décisions politiques et économiques dans la zone euro », « réformer le pacte de stabilité et de croissance » et « réviser le statut de la Banque centrale européenne[10]« . Ceci est également en opposition avec ce que l’on pouvait trouver dans L’avenir en commun de La France Insoumise en 2017.

Contrairement à son allié français et révisant considérablement son propre positionnement originel, Podemos se positionne en faveur de davantage d’intégration pour consolider le pilier social de l’UE (p. 103). Celui-ci serait composé :

– d’un SMIC européen (p. 103),

– d’une allocation-chômage européenne (idem),

– d’une « allocation européenne de ressources suffisantes » (p. 104) adressée aux familles afin de lutter contre la pauvreté infantile[11].

– d’une couverture de santé publique et universelle pour tous les résidents d’un État-membre (p. 104).

Tout cela ressemble à une collection de vœux pieux, car aucune piste de comment y parvenir n’est avancée. Il s’agit néanmoins, à nouveau, de demandes exprimées depuis longtemps par une frange des socialistes européens que Podemos fait siennes.

Sur le plan interne, les mesures institutionnelles visent à :

Assurer l’indépendance de la justice (pp. 46-47) ;

– Sauvegarder les droits et libertés des individus (p. 49-50), notamment face à l’intervention des forces de l’ordre ;

– Trouver une solution au conflit politique catalan à travers la mise sur pied d’un dialogue inter-institutionnel et trans-partisan (p. 51) ;

– Promouvoir la « mémoire démocratique » (pp. 48-49). Ce terme se substitue à celui, plus polémique, de « mémoire historique », qui visait à récupérer la mémoire des Républicains anti-franquistes et à effacer les références au régime de Franco dans l’espace public (noms de places ou de rues, statues, plaques commémoratives…). La « mémoire historique » fut notamment promue par le président socialiste Jose Luis Rodríguez Zapatero. Podemos s’inscrit donc dans ses pas.

 

L’examen de ces quelques mesures, structurantes et emblématiques, du programme que Podemos a conçu pour gouverner avec le PSOE nous permet de prendre la mesure du virage social-démocrate du parti d’Iglesias. Cette évolution vers des prises de positions compatibles avec un PSOE se revendiquant à nouveau de la gauche[12] devait théoriquement favoriser le rapprochement entre les deux formations. Ce ne fut pas le cas. Mais elle devrait, au moins, servir à présent d’inspiration à d’autres partis sociaux-démocrates au-delà des Pyrénées.

NOTES :

[1] Par ex. Le Parisien inclut Podemos dans une analyse des partis populistes en Europe (P. Martinat, « Cinquante nuances de populisme en Europe », 11 mars 2018, en ligne : http://www.leparisien.fr/politique/cinquante-nuances-de-populisme-en-europe-11-03-2018-7601457.php), le politiste Yves Sintomer consacre quelques réflexions au populisme de Podemos dans « Le populisme de Podemos », Mouvements, 2018/2 (n° 94), p. 98-107.

[2] Cette phrase de l’intellectuel marxiste inspira même un livre écrit par… Pierre Moscovici ( !)

[3] Plus récemment, le parti d’extrême droite Vox et, pour certains, les partis indépendantistes catalans ont disputé à Podemos l’étiquette de « populiste ».

[4] La Transition est historiquement présentée en Espagne comme exemplaire, tant du point de vue de la participation citoyenne que du comportement de l’élite politique de l’époque. Ce récit est remis en cause notamment depuis le déclenchement de la crise économique de 2008, les frasques du roi Juan Carlos I et la crise du modèle territorial.

[5] « El Coletas » (la « queue-de-cheval »), comme on l’a rapidement et communément appelé.

[6] Terme italien indiquant le dépassement d’une force politique par une autre.

[7] Voir l’article sur notre site à ce sujet.

[8] Le document, en espagnol, peut être consulté dans son intégralité en ligne : https://ep00.epimg.net/descargables/2019/08/20/3d4556a377e93803a3d868b70cef6a3b.pdf.

[9] Tout à fait proches du programme du Labour britannique dirigé par Jeremy Corbyn ou des propositions avancées par les représentants de l’aile « socialiste » des Démocrates étas-uniens (Bernie Sanders mais également Elizabeth Warren et, bien évidemment, les membres du « Squad » de la Chambre des représentants : Alexandria Ocasio-Cortez, Ilhan Omar,  Ayanna Pressley et Rashida Tlaib).

[10] Ce programme est toujours disponible en ligne : http://servicios.lasprovincias.es/documentos/Programa-electoral-Podemos-20D-2015.pdf. V. not. pp. 57-61.

[11] Cette problématique est particulièrement prégnante en Espagne, où 28 % des enfants sont en risque de pauvreté.

[12] Le slogan du PSOE de Sánchez est, simplement, « Nous sommes la gauche » (« Somos la izquierda »).

 

Tag(s) : #Espagne
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