La question kurde illustre les méfaits des politiques occidentales depuis des siècles au Moyen-Orient. Aujourd’hui, seule la Russie démontre une capacité et une volonté réelles de stabilisation dans cette région.
Par Robert Charvin, agrégé des Facultés de Droit, Professeur émérite à l’Université de Nice – Sophia – Antipolis
Jusqu’à quand serons-nous l’os devant les pattes du chien ? Djegerkhwin, poète kurde
Les puissances occidentales ont une tradition pluriséculaire : celle de se croire tout permis partout dans le monde, tout en donnant des leçons de morale et de droit à l’univers. Les peuples ont pour fonction de servir les intérêts de ces puissances dans la logique des rapports marchands que le capitalisme impose. L’Occident intervient au mépris de leur souveraineté soit en prétendant abusivement les protéger soit en les déclarant dangereux pour l’ordre international.
Ces puissantes-pirates, depuis pratiquement le XVI° siècle, façonnent et manipulent les frontières, les règles du droit international et concluent des traités qu’elles violent dès lors qu’ils les dérangent. Sans scrupule, elles proclament très haut des principes qui ne sont cependant respectés que de manière sélective : les droits de l’homme ici, les bombes « sécuritaires » là ! Les peuples palestinien, irakien, libyen, yéménite, syrien, etc. en savent quelque chose ces dernières années.
Ces ingérences, souvent violentes, qui perturbent les relations internationales sont prétendument légitimées par l’appartenance à une « civilisation supérieure » travaillant au Bien Commun : la seule réalité, ce sont les rapports de force favorables à l’Occident qui se nourrit des richesses des autres. Une banalité, si ce n’est que cet impérialisme ordinaire se drape dans un moralisme arrogant et mystificateur.
Les Kurdes pris en tenaille
Le peuple kurde, comme bien d’autres, notamment au Moyen-Orient, est aujourd’hui victime de cet impérialisme, qui depuis plus d’un siècle multiplie à son égard des actes de répression, des trahisons et impose des tractations de toute nature, pour des raisons économiques (le pétrole) et stratégiques (zone « pivot de l’Asie ») qui dépassent ce peuple.
Les Kurdes sont simultanément la proie d’une Turquie, aujourd’hui néofasciste, partenaire privilégié des États-Unis au sein de l’OTAN, chargée de faire le sale travail – un sale travail qui s’avère néanmoins rentable pour le parti islamiste d’Erdogan en difficulté électorale.
Terroristes ou supplétifs
La France et l’Union européenne, se refusant à prendre des mesures concrètes, se satisfont de déclaration sans portée, larguant leurs alliés contre Daech alors que les Français et les Anglais sont les responsables du drame kurde et de l’inexistence d’un Kurdistan indépendant depuis la Première Guerre mondiale.
Les grands médias occidentaux se gardent de remettre en mémoire une histoire peu glorieuse pour ne pleurer que sur les effets d’une politique dont les racines sont passées sous silence. Le gouvernement français, comme les Turcs et les Américains, dénonce le PKK « terroriste », comme l’ont été tous les mouvements de libération dans le passé et plus particulièrement les indépendantistes kurdes trop « remuants ». Ces mouvements ne sont appréciés que lorsqu’ils servent de supplétifs aux Occidentaux comme les harkis d’hier !
Les discrètes protestations de la France vis-à-vis de la Turquie ne mentionnent pas la violation de l’intégrité du territoire syrien
Les discrètes protestations de la France et de l’Union européenne vis-à-vis de la Turquie, après que celle-ci a bombardé les Kurdes, en octobre 2019, relèvent de la complaisance : elles ne mentionnent ni la violation de l’intégrité du territoire syrien par ce pilier de l’OTAN qu’est la Turquie ; ni la tentative d’annexion de fait d’une zone destinée à parquer les Kurdes et les réfugiés que le régime d’Erdogan veut expulser de Turquie, malgré les milliards d’euros versés pour les accueillir !
Combativité sélective
Le gouvernement français, qui se déclare quasiment impuissant malgré sa « bonne volonté », a pourtant fait preuve ces dernières années de « combativité » à l’encontre de la Libye (créant un chaos généralisé et ouvrant la porte aux Islamistes dans toute la région), de la Syrie (préférant les Salafistes au régime de Damas trop proche de la Russie), à l’égard, par ailleurs, du Venezuela et même de la Russie (en s’associant aux sanctions économiques décidées par les États-Unis). Le régime Macron sait se faire complice de l’Arabie Saoudite qui massacre les Yéménites et parfaitement servile au sein de l’OTAN, alliance pour « la liberté », en recommandant modestement à la Turquie « d’agir avec retenue » !
On ne peut s’en remettre aux grands médias occidentaux pour comprendre la situation : leurs « éditorialistes » qui passent en boucle ne font que légitimer la politique officielle. Il est nécessaire de revenir aux racines historiques de la question kurde, des multiples répressions subies par ce peuple sans État, au cœur d’une région déchirée par les ingérences et les mises sous tutelle multiformes des puissances occidentales.
Il est indispensable aussi de prendre conscience de la nocivité, pour la paix et le développement, d’un Occident malade de son hostilité chronique à la Russie, ravivée par la reprise progressive de sa place de grande puissance.
Les racines de la question kurdes
En 1918, l’Empire Ottoman, allié de l’Allemagne vaincue, est sanctionné : il est démembré par les vainqueurs français et anglais en application d’une série de traités (Sèvres, Lausanne, Paris, etc.). Il s’agit avant tout de récupérer le pétrole (qui commence à être exploité depuis 1907) et le blé de la région.
De nouvelles frontières sont tracées unilatéralement pour le seul intérêt de la France et de l’Angleterre. Ces frontières « fabriquent » dans un esprit colonial l’Irak (pour le compte des Anglais) et la Syrie (pour celui des Français). L’État du Kurdistan est prévu (traité de Sèvres) dans un délai d’une année avec l’appui de la Société des nations (SDN), au nom de la « protection » des populations kurdes jugées maltraitées par les Turcs, qui s’étaient servis d’elles depuis le XV° siècle. Mais l’engagement ne sera pas tenu, pétrole oblige – notamment à Mossoul. Le pétrole kurde va permettre notamment de financer le mandat britannique sur l’Irak !
Le PKK jugé trop « socialiste »
De plus, les intérêts stratégiques occidentaux nécessitent un certain contrôle sur la Turquie – ces intérêts stratégiques étant jugés plus importants que les préoccupations « humanitaires » en faveur des Kurdes, pauvres et inorganisés. Les populations kurdes sont donc arbitrairement placées sous des tutelles différentes : celle de l’ex-empire ottoman (ou plus précisément ce qu’il en reste), de l’Irak, de la Syrie et de l’Iran. Le Kurdistan est mort-né.
Un siècle plus tard, malgré de multiples révoltes et tractations, suivies de fréquentes répressions sanglantes, les 30 à 40 millions de Kurdes, privés d’un État national, sont toujours soumis à des administrations qui leur sont étrangères, plus ou moins intolérantes, dans l’indifférence d’un Occident qui n’est « pro-kurde » que lorsque cela sert ses intérêts – par exemple, pour condamner l’Irak de Saddam Hussein qu’il voulait éliminer en 1991. Par contre, il soutient la Turquie lorsqu’il s’agit de réprimer le PKK trop « socialiste » !
La question kurde est une illustration des sacrifices imposés à un peuple par les impérialismes antagonistes et par les multinationales du pétrole
Ce chaos entretenu par les puissances impériales est facilité par les divisions qui opposent les Kurdes entre eux, isolés de la vie internationale, placés dans des conditions différentes dans divers pays où ils se trouvent et qui sont en conflit sur les stratégies à adopter. La question kurde est une illustration des sacrifices imposés à un peuple par les impérialismes antagonistes et par les multinationales du pétrole, par-delà les discours sur l’Humanitaire et les droits de l’homme.
Rien de nouveau dans ces années 2000 où le monde arabe a subi tous les interventionnismes, depuis les « révolutions » d’un « Printemps » largement sponsorisé et la destruction de la Libye jusqu’à celle du Yémen, via celle de l’Irak, de la Syrie, au nom d’une guerre contre Daech menée dans la plus grande ambiguïté.
Le rôle central de la Russie
Aujourd’hui, les populations kurdes de Syrie sont protégées par l’armée syrienne régulière et par les Russes, présents sur le terrain, contre une agression de la Turquie, facilitée par les États-Unis de Trump. Tout cela dans la même confusion destructrice qui règne depuis des siècles dans la région.
Alors que les États-Unis n’ont cessé d’intervenir à travers le monde en déstabilisant tous les États qui leur résistent, c’est la Russie qui subit un procès permanent, comme si elle était la source des violences et des menaces pour la paix.
Concurrence diplomatique
Le paradoxe est grand. Si les autorités russes sont légitimement préoccupées de l’intérêt national (ce qui n’était pas le cas durant l’intermède Elstine, très apprécié par l’Occident), elles manifestent à la fois un respect (devenu très rare) des obligations juridiques internationales et une prudence diplomatique exceptionnelle, tout en reprenant sa place de grande puissance. Ce qui ne lui est pas pardonné !
Cette attitude anti-russe est traditionnelle en Europe de l’Ouest. Elle n’a été que renforcée durant la période soviétique pour se poursuivre vis-à-vis de la Fédération de Russie du Président Poutine. La Russie est une concurrente dans tous les domaines et cette concurrence est très mal supportée, comme celle de la Chine. Le monde des affaires et ses auxiliaires politiques n’apprécient pas les économies nationales qu’ils ne maîtrisent pas.
Dialogue tous azimuts
Les Euraméricains ne supportent pas l’influence russe en Syrie et plus généralement au Moyen-Orient. Ils ne supportent pas la diplomatie tous azimuts de la Russie qui considère devoir négocier avec tous les acteurs, quels qu’ils soient, y compris avec une Turquie qui prend quelques distances avec son tuteur américain et l’OTAN.
La Russie est hostile à tout affrontement armé (...)
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