Portrait
C'est la vie qui l'a voulu, mais Saskia Hellmund-Lahellec le reconnaît : « Quand j'arrive dans un pays ou une nouvelle ville, je m'installe toujours à l'Est. » Ce fut vrai tout au long de son parcours : à Stuttgart, à Sarrebruck, mais aussi en France. De Nancy à Paris, Saskia a progressivement glissé vers l'ouest, jusqu'à son arrivée dans le Finistère.
Née dans la région de Thuringe en 1974, elle est adolescente lorsque le mur de Berlin tombe, en novembre 1989. « Je serai toute ma vie une Allemande de l'Est. Venue de nulle part. En chemin pour arriver quelque part », écrit-elle dans son récit autobiographique et historique, La fille qui venait d'un pays disparu*. « Depuis la chute du mur, je cherche un endroit où me poser. Tous les trois ou quatre ans, j'ai changé de ville, de profession. Je ne peux pas revenir au pays, parce que mon pays n'existe plus. Je dois essayer de m'enraciner ailleurs. »
La Bretagne et la RDA en miroir
La Bretagne, les monts d'Arrée et Morlaix en particulier pourraient bien représenter ce point de chute. Elle y a rencontré son mari, Philippe Lahellec, alors qu'elle accueillait les touristes à la maison de la Duchesse-Anne. « En Bretagne, je trouve des parallèles avec la RDA. En tant qu'État, la Bretagne n'existe plus. Mais elle a toujours une culture, une langue, des particularités. Tout comme en Allemagne de l'Est, cela pose des problèmes identitaires. » Filant la métaphore entre les deux pays, Saskia poursuit : « On aimerait que toute notre culture soit acceptée par l'entourage, mais aussi par l'État. Or ce n'est pas tout à fait le cas. »
L'histoire officielle de l'Allemagne se résume bien souvent à celle de l'ex-RFA, déplore cette historienne de formation, titulaire d'une thèse franco-allemande sur la médiation culturelle transfrontalière. « C'est triste, injuste... », lâche-t-elle, émue. Elle donne un exemple qui l'a marquée, peu après un accident de train dramatique, il y a quelques années : « Dans la presse allemande, les statistiques recensaient tous les accidents du passé, mais ils ont oublié ceux d'Allemagne de l'Est. »
Mémoire amputée
L'Entente franco-allemande, conclue le 22 janvier 1963 entre nos deux pays, est un autre de ces jalons de l'Ouest : « Il s'agit d'un contrat avec la RFA. C'est sûr que la RDA n'était pas concernée, même si elle avait des relations avec la France ! »
Mémoire amputée. Réunification avortée. « Moi j'appelle cela une annexion. Parce que si on réunit deux choses, on fait un mélange, des compromis. Ce n'est pas ce qui s'est produit : on a tout détruit en RDA : le système politique, économique, social, les diplômes universitaires n'étaient plus valables. Et on a introduit les structures d'Allemagne de l'Ouest. » Par son texte, écrit en français, elle essaye justement de remédier à l'oubli et au déni.
Étrangère dans son pays, Saskia Hellmund ne se sent pas tout à fait Allemande, plutôt frontalière. Toutes ses activités - guide en Bretagne pour les touristes Allemands et Français, conférencière, professeur de langue français-allemand à l'Orpam de Morlaix, traductrice - la situent dans cet entre-deux, où elle peut partager et transmettre un peu de sa culture.