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Le Premier ministre chez lui. Crédit : Stefan Rousseau – WPA Pool /Getty Images

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En bleu, les conservateurs

En rouge, les travaillistes

En jaune, le  parti écossais

Les Crises

Maurice Glasman est un pair à vie [membre de la Chambre des Lords, NdT] membre du Parti travailliste et le fondateur du Blue Labour [groupe de pression associé au Parti travailliste qui fait la promotion d’idées conservatrices sur des questions sociales et internationales, notamment l’immigration, la criminalité et l’Union européenne, en rejetant l’économie néolibérale au profit du socialisme de guilde et du corporatisme – Wikipedia, NdT].

Avec un seul lancer de dés, Boris Johnson a brisé l’interrègne du Brexit. Après trois ans d’inertie frénétique, il a résolu l’impasse en transformant la base du Parti conservateur. Ce faisant, il a renouvelé son parti pour une génération et a déchiré le Parti travailliste en son cœur en alignant le Brexit sur le renouveau national et en exposant les divisions de classe au sein du Parti travailliste et en se rangeant du côté des pauvres.

Bien que les conservateurs aient été en tête dans toutes les classes sociales, leur avance dans la classe ouvrière qualifiée et non qualifiée a été particulièrement marquée. Boris n’a pas d’égal au Cabinet. Il n’y a pas d’opposition cohérente, sa majorité est imprenable et tous ses députés ont adhéré à son programme. Ave César. Voici le nouveau roi de la joyeuse Angleterre. Le bon roi Boris.

Son but est de rendre sa domination hégémonique par deux mesures. La première est d’associer les Tories avec la classe ouvrière et les villes de campagne et de les éloigner de Londres et de la finance. Putney est devenu travailliste et Bolsover est devenu conservateur. Cherchez la différence des prix des maisons entre les deux villes. C’est une polarisation de classe contre l’élite financière et culturelle dirigeante.

Les ministres ont interdiction de se rendre à Davos. Le vote des conservateurs a baissé dans tous les home counties [une expression servant à désigner les comtés anglais situés autour de Londres, NdT], et surtout dans les régions les plus proches de Londres. C’était la logique qui sous-tendait la prorogation du Parlement et l’expulsion des rebelles restés au sein du Parti. Les conservateurs étaient heureux qu’ils votent pour Lib-Dem et le Parti travailliste. Au lieu de cela, le parti s’est entièrement concentré sur les villes et les villages du Nord et du Sud, sur les shires du pays et sur la classe ouvrière postindustrielle, base de la coalition Brexit. « J’emmerde les affaires ». Les conservateurs seront plus nordiques et plus prolétaires et Boris boira de la bière avec ses nouveaux députés dans les nombreux bars du Parlement. Les Cavaliers vont s’en prendre aux Puritains.

La deuxième étape a été de rompre avec l’orthodoxie fiscale et d’embrasser l’état militant. Attendez-vous à voir un millier de bus Boris foncer sur les routes de campagne d’Angleterre en partenariat avec le gouvernement local. Attendez-vous à un boom de la construction de maisons. Le Premier ministre violera avec délectation les règles de l’UE sur les aides d’État et le droit de la concurrence, tandis que les travaillistes s’accommoderont des contraintes du marché unique et des arrêts de la CJCE. [Cour de justice de l’Union européenne, NdT]

Pendant la campagne électorale, les conservateurs ont promis des aides d’État aux petites entreprises régionales sans toutefois signaler que la moitié du manifeste des travaillistes aurait été illégale au regard du droit communautaire. Ils ont discrètement renoncé au thatchérisme. Boris sera l’héritier de Keynes, tandis que les travaillistes maintiendront la rectitude de Hayek à jamais consacrée par le traité de Lisbonne et sa souveraineté sur le marché unique et l’union douanière. Alors que Boris fera la distinction entre le libre-échange et la libre circulation, les travaillistes ne feront pas la différence entre les deux. L’interrègne a été rompu, et comme en 1979, il a été rompu à droite.

Le pape François a dit récemment que nous ne vivons pas une époque de changement mais un changement d’époque. Cette victoire des conservateurs est un élément important pour définir les caractéristiques de la nouvelle ère. Le consensus précédent était défini par quatre hypothèses communes, à savoir que l’État-nation, la démocratie, la classe ouvrière et le conservatisme auraient moins d’importance. Les forces dominantes étaient la classe moyenne éduquée, la mondialisation, les constitutions écrites et le libéralisme. Blair et Cameron l’ont parfaitement exprimé.

Le Brexit est un signe des temps, un aperçu du futur mais l’esprit progressiste ne peut le voir que comme réactionnaire, nostalgique et tourné vers le passé. Le rôle décisif de la classe ouvrière dans l’affirmation de la souveraineté nationale par son vote démocratique afin de renouveler les anciennes institutions du Parlement et du droit commun est incompréhensible pour la gauche. La nouvelle ère est un pays étranger pour ceux qui pensaient que le cours de l’histoire était avec eux.

L’ampleur de la défaite des travaillistes jeudi dernier est difficile à comprendre pour l’esprit progressiste. Comme la mort d’un être cher, qui a déjà survécu à une terrible maladie, elle est à la fois choquante et prévisible. Les réactions de blâme, d’évitement, de déni, de colère, de décalage et de dépression de la famille travailliste sont également choquantes et prévisibles. La famille travailliste est comme une famille de l’enfer. Pleine de haine et de blâme et incapable de comprendre comment elle en est arrivée là. Les Travaillistes ne sont plus une tribu et ont perdu leur patrie. On va se sentir seul à Noël.

Cela est dû au fait que le parti travailliste n’est pas en lien avec son histoire, ses traditions et les communautés qui l’ont créé et chéri. Tellement déconnecté qu’il ne pouvait pas voir venir le rejet. Il partage maintenant le sort entropique des partis socialistes français, italiens, allemands, belges et néerlandais, qui ont progressivement perdu de leur importance, remplacés par des partis nationalistes et verts dans l’ensemble. Vidée de sa finalité nationale par les contraintes de l’Union européenne, la social-démocratie n’a pas de conception du social, ni de la démocratie. Les Travaillistes partagent désormais leur sort, ce qui signifie une inutilité et des réunions sans fin qui ne mènent nulle part. Juste un lent et inexorable déclin. Cela marque la fin de l’exceptionnalisme britannique à gauche, au moment même où nous quittons l’UE.

Ça aurait pu être si différent. En 2017, lorsque les travaillistes ont déclaré qu’ils respectaient le résultat du référendum, ils ont fait un bond en avant pendant les deux dernières semaines de la campagne. Les conservateurs, qui se sont lancés dans la politique du « perdez la tête, perdez votre maison », ont transformé un vote sur le Brexit en une discussion sur les conséquences financières de la démence.

Il y avait des signes de désaffection alors que Mansfield et North Derby devenaient bleus ; mais les gens du cœur du pays croyaient que Corbyn était un fils fidèle de Tony Benn et qu’il avait passé sa vie à dénoncer l’UE comme un club capitaliste où personne n’avait de comptes à rendre. A l’encontre du courant de l’Europe continentale, le Parti travailliste était à lui seul un parti social-démocrate plein de vitalité et rénové, engagé dans la nationalisation et la redistribution des richesses. Le Brexit a été une source de renouveau socialiste et la démocratie a été réaffirmée comme le moyen de résister à la domination des riches et à leurs décennies de pillage incessant. Mais, alors, les travaillistes de Corbyn ont renoncé au Brexit.

Une des raisons pour lesquelles le résultat des élections a semblé si choquant est que la classe ouvrière était censée être du mauvais côté de l’histoire, ne plus vraiment compter. Malgré le résultat du référendum sur le Brexit, on a supposé que la tâche des travaillistes était de construire une coalition d’électeurs « progressistes » autour d’un second référendum qu’ils ont appelé « vote du peuple ». La différence entre 2017 et 2019 est que la classe ouvrière a noté que le Labour bloquait le Brexit et niait la légitimité de son vote. Le Parti travailliste de Corbyn s’est rangé du côté du capitalisme mondial. C’est une ironie mineure dans tout cela qu’Andrew Murray et Seamus Milne, qui se sont enorgueillis de leur analyse marxiste avec un rôle central pour la classe sociale, ont mené une campagne basée sur des « valeurs » et ont été battus par les conservateurs qui n’ont cessé de mettre l’accent sur la classe ouvrière et ont transféré leurs loyautés. Les marxistes travaillistes se sont avérés être des whigs [parti britannique de ce nom, qui soutint les droits du Parlement et des sectes protestantes contre l’autorité monarchique et les privilèges de l’anglicanisme, NdT]. Quel bagage pour un si court voyage.

La profonde complicité entre le New Labour et le Projet Corbyn a été démontrée ici. La certitude progressiste que l’histoire allait dans une direction, vers la libre circulation des personnes et des choses, que la technologie allait dissoudre les lieux et les frontières dans un tourbillon indifférencié où seul le droit individuel et le droit des traités importaient.

Le fait que l’avenir repose sur la mondialisation est incontestable, tout comme l’idée que l’État-nation et la démocratie n’ont plus vraiment d’importance. Cette théorie de l’histoire des Whigs est aussi fausse aujourd’hui qu’elle l’a toujours été. La classe ouvrière, l’État-nation et la démocratie sont les caractéristiques principales de la nouvelle ère. Loin d’être des perdants, la classe ouvrière post-industrielle a décidé des deux votes les plus importants de notre temps.

Et la gauche a été la perdante. La maladie progressiste a dissous les liens qui unissent parce qu’elle n’a pas de concept de société, du social, de l’appartenance et de l’héritage. Piégée dans un présent sans fin, elle a perdu l’avenir. La coalition de Peter Mandelson et de John McDonnell qui a lié le Labour à un second référendum est la clé pour comprendre cette défaite catastrophique parce qu’elle a finalement rompu le lien entre la classe ouvrière et le Labour. Elle a dit vous ne saviez pas ce que vous faisiez. Elle a dit que la démocratie ne décide pas des problèmes de notre société. Elle a dit qu’elle n’avait pas confiance en notre pays pour décider de son avenir par une politique démocratique, mais qu’il devait être sous-traité par un système de directives et de lois qui n’a pas de comptes à rendre.

En adoptant un deuxième référendum, les travaillistes ont franchi une ligne. Il ne soutenait plus les travailleurs qui faisaient plus confiance à la démocratie qu’à la Cour de justice européenne lorsqu’il s’agissait de leurs droits. Les travaillistes pensaient que les conséquences seraient catastrophiques et n’avaient aucune confiance que notre pays pourrait s’épanouir en dehors d’un capitalisme sans friction. La gauche est soudainement devenue experte en matière de chaînes d’approvisionnement à flux tendu, comme si le capitalisme, le système économique le plus adaptable jamais conçu, ne serait pas capable de faire face. Ils n’ont pas été fidèles au mariage et c’est maintenant terminé. Il n’y a aucune preuve qu’il y aura une réconciliation.

Aux dernières élections, les travaillistes ont perdu Mansfield par mille voix. Maintenant, la majorité est de plus de 16 000. La classe ouvrière écossaise n’est pas retournée au Labour, mais a rejoint un parti nationaliste et ne montre aucun signe de remords. Une fois rejetés, ils passent à autre chose et ne se retournent pas. Dans son récent livre, The New Class War, Michael Lind fait le lien entre la classe et la géographie, entre les centres et les régions centrales. Le parti travailliste est le parti des centres, mais les conservateurs revendiquent maintenant les régions centrales.

Et au-delà de la désolation immédiate de la défaite, il y a l’horreur existentielle de ce que cela signifie. La rupture du mariage à long terme avec la classe ouvrière qui a créé le Parti Travailliste en premier lieu. Cela ouvre la voie à l’émergence d’un parti populiste de droite vraiment détestable comme alternative au Parti travailliste et aux Conservateurs. Le parti du Brexit n’est qu’un avant-goût de ce que l’avenir nous réserve. Le vote conservateur n’a augmenté que de quelques pourcents dans l’ensemble, de nombreux anciens électeurs travaillistes ont choisi le parti du Brexit. Ce qui est clair, c’est que le vote travailliste s’est effondré dans les régions centrales et que le Parti du Brexit a sauvé plus de sièges travaillistes qu’il n’en a perdu.

La splendeur du Parti travailliste était sa capacité d’exprimer l’intérêt du Parti dans le cadre des institutions parlementaires et juridiques héritées, affirmant la politique démocratique comme une alternative à la violence. Tandis que le reste de l’Europe se polarisait et devenait fasciste ou communiste, le Parti travailliste conservait l’affection de la classe ouvrière et s’engageait dans la politique de guerre et de paix. Vaincre les nazis dans la coalition de guerre puis créer le Service national de santé, nationaliser l’acier, le charbon et les chemins de fer, créer le National Trust et la ceinture verte [zone de terrain ouvert autour d’une ville, sur laquelle la construction est limitée, NdT].

Les vertus de civilité, de générosité et de gentillesse sur la place publique sont facilement écartées et difficiles à retenir. Le Parti travailliste était à l’origine de cette politique et, avec son départ des communautés ouvrières qu’il représentait, une politique morne et rancunière se dessine. Quelque chose de plus proche du Front National ou de l’Afd en Allemagne.

Le nouveau gouvernement doit offrir quelque chose de plus que le succès électoral et quelques projets d’infrastructure ; il doit s’appuyer sur la politique de gain et d’appartenance, de contribution et de renouvellement civique. Au cours des 40 dernières années, les comtés et les villes de notre pays ont été dépouillés de leurs biens et de leur héritage. Aucune des sociétés de construction qui ont été démutualisées au cours des 40 dernières années n’existe plus en tant qu’institution locale. La dotation des banques régionales pour qu’il y ait à nouveau accès au capital en est un élément essentiel. La reconnaissance de la formation professionnelle est également essentielle et la création d’écoles professionnelles pour la construction, l’entretien, les soins sociaux et la conduite de taxis avec des lois sur l’apprentissage qui réglementent l’entrée sur le marché du travail permettrait de résoudre la question des compétences requises pour construire des maisons, s’occuper des personnes âgées et des 85 % de l’économie qui fonctionnent en dehors de la mondialisation.

La dignité du travail en est le fondement. Elle devrait être la base de l’alternative du parti travailliste. La question centrale pour les dix prochaines années est de savoir si les conservateurs peuvent reconnaître que leur avenir réside désormais dans le travail.

Source : UnHerd, Maurice Glasman, 20-12-2019

Tag(s) : #Grand-Bretagne
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