L'Humanité
Histoire sociale et mémoire ouvrière
Jeudi 8 février 1962, Paris, boulevard Voltaire, il fait froid, c'est la nuit. Des milliers de manifestants pacifiques s'apprêtent à se disperser après avoir manifesté pacifiquement pour la paix en Algérie et contre l'extrême droite (OAS), à la suite d'attentats meurtriers en France au nom d'une Algérie française soutenue, entre autres, par Jean-Marie Le Pen.
La tête du cortège s'est arrêtée un peu plus haut que le croisement d'avec la rue de Charonne. André Tollet, pour la CGT, appelle à la dispersion, ainsi que Claude Bourret, de la CFTC. Du côté de la place de la Nation, on distingue un barrage de policiers devant leurs cars.
Soudain, les manifestants de tête voient le dispositif policier foncer vers eux avec leurs longs bidules de bois. Léo Figuères, grande figure de la Résistance et des luttes anti coloniales, ceint de son écharpe de conseiller général de la Seine, s'avance vers un commissaire pour l'informer de la dispersion. Il est durement matraqué, comme des centaines de manifestants qui refluent comme ils peuvent. Partout, le sang coule.
Parfois, un blessé allongé est secouru, entraîné dans les rues adjacentes. Les pompiers ont été empêchés de porter secours. Certains manifestants tentent de fuir par le métro Charonne. Ils se retrouvent bloqués sur les escaliers d'entrée. Les policiers matraquent les premiers rangs et jettent dans la bouche de métro les lourdes grilles de protection des arbres, les tables en marbre d'un café voisin. Des blessés sont évacués, mais, pour certains, il est trop tard.
On comptera 9 morts, tous adhérents à la CGT, dont 8 communistes. Parmi eux 3 femmes, ce qui ne s'était pas vu depuis la fusillade de Fourmies, le 1er mai 1891. Mais aussi des centaines de blessés, dont certains très gravement.
La volonté de tuer des policiers, et de leur hiérarchie, a été évidente. Elle est attestée par les souvenirs de syndicalistes de la police, par les travaux des historiens. Également par des témoignages tel celui du docteur Vidal-Naquet, médecin de garde à la Polyclinique des métallos : « Cela m'a rappelé les plus mauvais souvenirs de la chirurgie de guerre. Les blessés saignaient tous très abondamment et la plupart étaient atteints au cuir chevelu... Aussi pour en arriver là, il a fallu non seulement frapper violemment mais être animé du désir de blesser gravement et même de tuer... »
Lundi 12 février, Michel Debré, premier ministre, « vient apporter le témoignage de sa confiance et de son admiration » à la police parisienne. Il félicitera le ministre de l'Intérieur, Roger Frey, ainsi que le préfet de police Maurice Papon, dont on a mis depuis en lumière le sinistre rôle pendant l'Occupation dans la déportation de juifs, puis comme préfet de Constantine, enfin dans la conduite du massacre des Algériens le 17 octobre 1961. Mais De Gaulle et son gouvernement ont commis un crime d'État.
CGT, CFTC, SNI, UNEF et SGEN avaient appelé à un rassemblement de protestation, place de la Bastille le 8 à 18h30. PCF, PSU, JC, JSU, UFF et Mouvement de la paix s'y associaient.
La sauvage répression fera donc 9 victimes : Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur aux P et T, Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire, Daniel Féry, 15 ans, employé au routage de « l'Humanité, Anne-Claude Godeau, 24 ans, employée aux Chèques postaux, Edouard Lemarchand, 41 ans, menuisier, Suzanne Martorell, 36 ans, employée à l'Humanité », Hippolyte Pina, 58 ans, maçon, Raymond Wintgens, 44 ans, typographe, Maurice Pochard, décédé à l'hôpital, 48 ans.