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Les minorités contre le prolétariat?

Le prolétariat et les minoritaires

 

Un événement sociologique d'envergure s'est produit aux États Unis en 2016, qui est passé inaperçu dans le fracas de l'élection de l’histrion Trump : son adversaire malheureuse Hillary Clinton a réussi à s’assurer l'investiture du parti démocrate par la triche certes, mais aussi en s'appuyant sur le vote décisif aux élections primaires de la communauté noire. Bref, les Noirs américains, qui avaient été le môle de résistance de la gauche américaine pendant les années Reagan, se sont recentrés et ont soutenu massivement une candidate libérale et particulièrement impérialiste (au moment où les juifs américains, au contraire, commençaient à se poser des questions).

 

Au moment où les petits blancs prolétarisés nord-américains, eux aussi, commencent à se demander si le socialisme ne vaudrait pas mieux pour eux que le capitalisme, le groupe minoritaire le plus marqué à gauche de la société américaine fait défection, voilà qui pose question.

 

Cela pourrait s’expliquer par une conjoncture sociologique ; il paraît que l'espérance de vie des prolos blancs américains, si elle reste plus élevée que celle des minorités, tend à diminuer, tandis que celle des individus classés dans des minorités monte encore, ce qui ne s’explique probablement pas par l'amélioration de la condition des pauvres mais par le recrutement progressif depuis les années 1950 d'une bourgeoise dans leurs rangs qui intègre le mode de vie de la classe moyenne, qui a les moyens de se soigner, et qui du fait de cette promotion passe graduellement du radicalisme au conservatisme politique.

 

Mais quoiqu'il en soit, il semble que le « nouvel âge du capitalisme » qui fait de la tolérance tout azimut et de la diversité la plus diverse son fond de commerce ait réussi à récupérer cette minorité agissante, talon d’Achille du capitalisme américain jusqu'aux années 1990. Ce tournant conservateur des Noirs américains (ou au moins de leurs porte-paroles) est de signification générale dans le monde actuel, car ils sont loin d'être la seule minorité concernée. Voici par exemple les Kurdes, la « minorité rouge » du Moyen Orient, encadrés par des partis plus marxistes que ça tu meurs qui s'alignent dans la guerre de Syrie avec les États-Unis !

 

Alors pour y voir plus clair, faisons un petit retour historique, sur un autre continent, de l'autre coté de l'Océan Atlantique des révolutions.

 

La révolution démocratique moderne dont la Révolution française était l’initiatrice et le modèle type voulait donner au peuple le pouvoir, en expulsant de la nation les élites aristocratiques. Une immense majorité seule légitime expulsait une minorité. La démocratie étymologiquement c'est le « pouvoir au peuple », et par le mot « peuple » il s'agissait en 1789 de désigner les 98% des Français qui appartenaient au Tiers État , ceux qui jusque-là « ne sont rien » (comme dirait Macron), ceux qui « sont tout », et qui ne veulent pas seulement devenir « quelque chose » comme dans la célèbre brochure de l'Abbé Sieyès, mais vraiment tout. Les aristocrates à la lanterne ! Une fois le peuple épuré de ces oppresseurs au pouvoir, c'est la loi de la majorité qui régnerait. Pendant la révolution, c'était une minorité agissante, le peuple parisien des sans-culottes, qui la dirigeait dans ce but, encore que confusément.

La révolution sociale qui apparut clairement consciente de soi en 1848 avait un autre but, elle n'était pas à proprement parler démocratique, elle ne demandait pas l'égalité des droits  mais l'égalité réelle des richesses et la société sans classe.

Pour l'obtenir, elle voulait donner au prolétariat la dictature, le prolétariat industriel moderne étant minoritaire (les ouvriers de l'industrie moderne étaient moins nombreux dans la Grande Bretagne décrite par le Capital de Marx que les domestiques, en 1867). Mais le prolétariat nouvellement apparu avec la révolution industrielle était une minorité particulière qui avait le pouvoir et le vouloir de se supprimer : elle ne cherchait pas à améliorer les conditions dans lesquelles elle était exploitée, mais grâce à la conscience acquise dans la lutte, à supprimer l'exploitation, ou à plus justement parler, à mettre la plus-value qui en provient au service de l'intérêt commun de toutes les classes.

La perspective ultime de la révolution prolétarienne est celle d'un monde sans classes, unifié et démocratique, où le droit de la majorité prévaudra réellement dans les décisions et dans la désignation des responsables, et non illusoirement comme c'est le cas dans nos démocraties libérales avec suffrage universel : ce système où les pauvres sont invités à voter pour les riches, et où la démocratie se renverse en son contraire. On sait depuis mars 1848 que ce n'est pas par le vote qu'on va y arriver. Le vote dans une société de classe, même au suffrage universel, ne peut que ratifier le rapport de force et les résultats acquis de la lutte politique.

Lénine affirma le caractère de « dictature démocratique » de la révolution prolétarienne, dans l'État et la Révolution , en 1917 : ce serait une dictature qui représenterait les classes exploitées qui étaient la grande majorité du peuple, mais il fallait pour cela l’alliance des ouvriers minoritaires des grandes villes avec la majorité sociologique du peuple russe, les paysans, alliance qui n'irait pas sans avatars, mais qui finalement quoiqu'on en dise tiendra le coup jusqu'à la fin de l'Union Soviétique.

Lénine avait aussi travaillé à rallier à la révolution ouvrière les minorités culturelles de l'Empire russe : Juifs, Tatars, Géorgiens, Arméniens, Finnois, Polonais, Ukrainiens, Baltes, sectes réformées orthodoxes, petites nations opprimées . Des éléments doués issus de ces groupes étaient venus renforcer la minorité politique agissante et déterminée qu'était le parti bolchevik clandestin. Mais elles se fondirent en lui : d'une certaine manière, Juifs et Tatars, dissidents de l'orthodoxie, nationaux opprimés ont cessé d'être ce qu'ils étaient auparavant en devenant bolcheviks, et l'URSS a évolué en une nouvelle nation, dont le caractère certes principalement russe était dû à la puissance démographique et culturelle de la nation russe, mais qui devint une nation nouvelle modifiée par la synthèse de l'apport d'individus nombreux issus des minorités opprimées et absolument distincte de la nation orthodoxe grand-russe de l'Empire du Tsar.

Les groupes opprimés investissent dans la culture, l'expression artistique et l'éducation des jeunes et produisent en effet beaucoup d'individus doués, chacun le sait.

La Russie de 1917 à 1953 a été remodelée comme la nation française d'avant 1789 l'avait été, qui avait été unifiée par le remplacement des provinces d'ancien régime par des départements de tailles et de populations approximativement égales et la création sur le modèle parisien d'un peuple français beaucoup plus homogène qu'avant marqué par son origine catholique, mais où l'influence sur le résultat d'individus marqués par le protestantisme et le jansénisme était notable.

Les minorités opprimées jouent un rôle dans la révolution prolétarienne que l'ont peut comparer à celui d'un catalyseur dans une réaction chimique, qui disparaît dans le produit fini.

Le maoïsme occidental, dans les années 1960, qui est un courant communiste radicalisé mais légitime qui s’intitule lui-même « marxisme-léninisme » a pu ainsi servir de point de départ, ainsi que d'un autre coté l'influence des théories marxistes grammsciennes, à la promotion politique de minorités d'abord associées au prolétariat ouvrier dans le front de la lutte des classes (notamment la fraction immigrée du prolétariat occidental). Puis les causes de ces minorités se sont autonomisées, et ont commencé à se retourner contre celle de la classe ouvrière.

Le processus politique consistant à amalgamer des intellectuels bourgeois issus des minorités à la classe ouvrière pour créer son avant-garde politique avait commencé à s'enrayer. Au début, ce sont d'ailleurs les ouvriers occidentaux qui donnèrent l'impression de s'embourgeoiser, et les minoritaires qui maintinrent, en apparence, le flambeau révolutionnaire et arborèrent le drapeau rouge. Mais le processus d'intégration de minorités en tant que telles dans le spectacle bourgeois, même déguisées en révolutionnaires, signifiait aussi le déclin de leur créativité.

En additionnant des minorités, on ne fait pas longtemps une majorité, ni une démocratie, ni une société sans classes. Si on institutionnalise les minorités, on ne fait que rétablir des privilèges, à l'intention des groupes bourgeois ou petits-bourgeois qui dirigent ces minorités : les quotas dans les universités de la Côte Est américaine, par exemple, ont servi à ce recrutement, et les individus doués sélectionnés, au lieu de renforcer l'avant garde du prolétariat, viennent apporter un sang neuf à la société bourgeoise et freiner sa décadence historique. En France, la politique de recrutement direct d'étudiants en IEP dans les "quartiers" poursuit le même objectif.

La revendication du droit des minorités est antidémocratique et antisociale. Dit comme cela , cela peut sembler abrupt ! Mais... 

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Tag(s) : #Idéologie
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