Joëlle Fontaine nous livre avec De la résistance à la guerre civile en Grèce 1941-1946 un livre indispensable sur l'histoire contemporaine de la Grèce. Histoire fort mal connue en France. Histoire tragique et héroïque.
Avant la guerre le Parti communiste de Grèce (KKE) a adopté la ligne de Front populaire du VIIe congrès de l’Internationale Communiste avec succès. Les bases politiques de la Résistance anti-fasciste et patriotique que sera le Front de Libération Nationale (EAM) se construisit alors, y compris dans la clandestinité sous le régime fasciste de Métaxas. Y compris en 1941 quand Mussolini attaque la Grèce et que, depuis sa cellule de la prison où Metaxas l'a jeté avec des centaines d'autres communistes, Nikos Zachariadis, secrétaire général du KKE, appelle à la lutte contre l’envahisseur fasciste.
Héroïque car le peuple grec fut le premier à faire mordre la poussière à l'une des puissances de l'Axe, l'Italie mussolinienne, et sa résistance aux troupes fascistes puis hitlériennes fit perdre un temps précieux à Hitler dont profita l'Union Soviétique car elle retarda l'opération Barbarossa. Enfin il mit en place une Résistance qui fut l'une des plus massive de l'Europe occupée. Le Parti communiste de Grèce (KKE) en fut l'animateur, en étant l’initiateur du Front de Libération National (EAM) et son armée, l'ELAS (Armée Populaire de Libération Nationale) forte de 50.000 andartés (partisans). Dès l’été 1943, l’ ELAS a libéré un tiers du territoire de la Grèce et cela malgré un climat de terreur indescriptible.
Le Grèce entière est libérée par l’ EAM-ELAS en 1944, et sans intervention étrangère, l’armée hitlérienne étant prise en étau par la Résistance grecque et l’avancée fulgurante de l’ Armée rouge. Un seul exemple de l'exemplarité de la Résistance grecque : le 22 juillet 1943 l'EAM décrète la grève générale et 300.000 manifestants se déversent dans les rues d'Athènes. La Résistance crée le 10 mars 1944 le PEEA ( Comité politique de libération nationale ou Gouvernement des montagnes) qui dirige les territoires libérés et dont le bilan social, démocratique, culturel, féministe est immense. Le pays tout entier, à l’exception des villes et de l’artère Athènes-Salonique, était contrôlé par les partisans. Le rapport de l’occupant allemand est éloquent "Situation politique de la Grèce, juillet 1943 : 90 % des Grecs sont aujourd’hui unanimement hostiles aux puissances de l’Axe et sont prêts à se révolter ouvertement.
L’EAM, avec ses organisations de combat, est le pilier de tout le mouvement de résistance". L'EAM (avec l'ELAS et EA - la croix-rouge de l'EAM-) c'est 2 millions de membres sur une population totale de 7 millions.
Tragique car la Résistance subie une terrible répression des occupants hitlériens, fascistes italiens et bulgares. Les Oradour se comptent par centaines en Grèce. A titre de comparaison les victimes grecques de la Seconde guerre représentent 5,7% de la population contre 1,5 en France,0,2% aux Etats-Unis et 1% en Italie. La Grèce à peine libérée, Churchill exige le désarmement de la Résistance, multiplie les provocations, tire sur des manifestants pacifiques de l'EAM qui est sauvagement attaquée par l’armée britannique qui bombarde Athènes et sa banlieue.
Une nouvelle occupation commence s’appuyant sur les collabos grecs monarcho-fascistes. Les Résistants et le KKE tentent de sauver la paix mais la terreur blanche obligera le KKE à reprendre les armes. La guerre civile commence.
Depuis la défaite subie par la Résistance et le KKE en 1949 des débats ont lieu pour expliquer cette défaite alors que le rapport de forces en Grèce était largement favorable à l'EAM. Hélas toute une série de règlements de compte eurent lieu au sein du KKE en exil dans le camp socialiste, influencés par les changements de cap de la direction soviétique. Chaque groupe accusant l'autre d'être responsable de la défaite. Mais en réalité la défaite du peuple grec et de sa Résistance était inscrite dans le rapport international des forces. Quelque fut la tactique ou la stratégie adoptée par l'EAM ou/et le KKE, que la Résistance ait ou non signé les Accords de Caserte ou de Varkiza, la défaite était inéluctable.
Comme le destin dans les tragédies grecques, le rapport de force implacable, entre l'URSS et les Anglo-américains, condamnait la Grèce à demeurer dans la sphère d'influence impérialiste. Il n'y a là aucune trahison de qui que ce soit, il n'y a que l'expression d'un rapport de forces qui s'imposait à tous les protagonistes.
Sensible à cette histoire, mon père était un responsable de l'EAM du Pirée, je peux confirmer que Joëlle Fontaine a fait un travail d'une remarquable qualité et a contribué à faire connaître cette page de l'histoire grecque largement méconnue. Une histoire qui détermine bien sûr le présent de la Grèce sur laquelle les nouveaux dieux de l'Olympe semblent s'acharner.
Antoine Manessis.