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«Les jeunes veulent rompre avec la décennie noire. Même s’ils ne l’ont pas vécue, pour la plupart ils viennent de familles qui en ont toutes été les victimes», affirme le poète et romancier algérien Karim Akouche, auteur de «La religion de ma mère».

Photo: Ryad Kramdi Agence France-Presse «Les jeunes veulent rompre avec la décennie noire. Même s’ils ne l’ont pas vécue, pour la plupart ils viennent de familles qui en ont toutes été les victimes», affirme le poète et romancier algérien Karim Akouche, auteur de «La religion de ma mère».

Aujourd’hui s’ouvre le procès de Saïd Djabelkhir islamologue , fondateur du “Cercle des lumières pour la pensée libre”. Pour quel crime est-il traîné devant les tribunaux ? Le nommé Bachir Bouyedjra Aberrezak, enseignant à l’université Djillali-Liabès de Sidi Bel-Abbès, spécialisé, rien de moins, en sécurité numérique, mais avant tout islamiste fanatique, a déposé contre lui une plainte pour “atteinte à la religion, aux préceptes de l’islam et à des versets coraniques” en s’appuyant sur une disposition du Code pénal introduite dans les années 2000 qui permet toutes les interprétations arbitraires.

 Qu’est-ce qui a déclenché la colère noire de cet inquisiteur ? Saïd Djabelkhir, universitaire spécialisé dans les questions religieuses avait exercé son droit à mettre les points sur certains « i » en janvier 2020. Il a réfuté les propos catégoriques de ceux qui refusent d’admettre la fête de yennayer, début du nouvel an berbère consacré par la Loi en 2018, et qui la qualifient de pratique païenne, parce que antérieure à la propagation de l’Islam en Algérie, de quoi envoyer à la décapitation ses adeptes si par malheur l’Algérie devenait un clone de l’Arabie Saoudite wahhabite.

En tant que penseur critique fort de sa connaissance de l’histoire de l’Islam il avait jugé bon de leur rappeler qu’à suivre ce raisonnement le pèlerinage de la Mecque et le sacrifice du mouton, pratiques pré-existantes à l’avènement de l’Islam, devraient être aussi déclarés « païens ». Au fond Djabelkhir n’a fait que ramener à jour des aspects historiques connus des anciennes générations de musulmans cultivés avant que le déferlement de l’islamisme rétrograde ne soit parvenu à les enfouir sous la chape de l’ignorance et de mythes. A l’aide des manuels scolaires d’éducation islamique imprégnés d’une interprétation figée de l’Islam que nul n’a le droit d’examiner de façon critique en la resituant dans son contexte historique, comme le revendique le penseur.

C’est de tout cela que le penseur critique devra s’expliquer devant la chambre correctionnelle du tribunal de Sidi M’hamed, à Alger. Le juge qui n’est pas formé pour prendre position sur des questions religieuses et que les lois, en principe, n’ont pas investi de cette attribution, devra décider soit de le jeter en prison soit de prononcer sa relaxe.

C’est la première fois depuis l’indépendance qu’un penseur devra rendre compte de ses opinions sur la religion devant un tribunal. Il y a eu des procès contre des chiites et des ahmadites accusés de diviser la communauté islamique en s’écartant du sunnisme. Il y a eu aussi des arrestations pour non observation du jeûne pendant le ramadhan. Mais jamais de procès pour avoir exprimé une opinion sur des pratiques religieuses.

Cette situation absurde et inimaginable il y a encore quelques mois indique à quel point les courants rétrogrades de la société ont mené le processus de daechisation de la justice et de l’Etat, enhardis par les concessions successives d’un régime qui a jugé bon pour sa survie de s’allier à eux à travers sa loi sur la Concorde nationale. La dernière en date et la plus grave de toutes ces compromissions a été l’abolition de la liberté de conscience dans le texte de la Constitution révisée de Tebboune. Certes il subsiste encore la mention de la liberté d’opinion, dernier garde-fou pour stopper la marche triomphale de l’islamisme vers l’obscurantisme absolu. Néanmoins, les forces de l’obscurantisme pensent pouvoir contourner cet ultime obstacle par l’instrumentalisation d’un autre article de la nouvelle Constitution. Il s’agit de l’article qui subordonne la liberté intellectuelle aux fameuses « constantes nationales » dont le contenu n’est nulle part défini mais qui sert depuis sa première formulation politique lors du tournant réactionnaire opéré par le régime de Chadli à diaboliser tout courant politique ou intellectuel en désaccord avec le régime et ses alliés islamistes. Sauf que les « constantes nationales » se sont enrichies sous la pression des luttes démocratiques d’une nouvelle dimension, celle de l’amazighité. Ce qui n’empêche pas les forces rétrogrades de les couvrir de leurs diatribes inquisitoriales sans qu’aucun procureur ne songe à s’auto-saisir pour les déférer devant la justice.

Encouragé par les complaisances du pouvoir, le « cheikh » Bachir Bouyedjra Aberrezak a poussé l’audace jusqu’à appeler ses affidés à mener campagne contre le penseur. Ses six avocats, pas moins, ne se sont pas contentés de plaider la cause de leur client. Ils se sont érigés aussi en plaignants, ce qui a fait dire à Zoubida Assoul, avocate du penseur critique, que non seulement cette double casquette est interdite par la loi mais que sans s’en rendre compte ils endossent la fonction inédite « d’avocats de Dieu » !
 

Pertinente remarque d’une avocate qui depuis deux ans ne trouve aucune contradiction entre ces réflexions et le fait de s’associer à des actions politiques avec les islamistes ou les propagateurs du « qui-tue-qui », à l’image de son confrère Bouchachi ou de Tabbou pour qui les « 200000 » Algériens tués dans les années 1990, l’ont tous été par l’armée. Une affirmation aussi péremptoire que fallacieuse qui lui permet d’absoudre les islamistes de leurs crimes. Dit autrement, les « djounoud » du FIS n’ont tué personne. Tabbou pourra donc toujours se bercer d’illusions à l’idée qu’il franchira un jour les portes d’El Mouradia juché sur les épaules des islamistes. On notera que ni lui ni Bouchachi, grands démocrates et partisans d’un « Etat ciivl » et « de droit » n’ont dénoncé la cabale ourdie par le « cheikh » de Sidi Bel Abbès contre le fondateur du “Cercle des lumières pour la pensée libre”. Leur silence en dit long sur le contenu de leur « Etat de droit ».

Abdelkader El Fhaïmi

Tag(s) : #Algérie
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