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Crise économique ou Covid-19, quelle est la principale crainte des  Français? | CB Expert

Les réactions des gouvernements au choc économique de la crise sanitaire en 2020 – par Jacques Sapir

Comparer l’ampleur des réactions des gouvernements au choc économique de la crise sanitaire en 2020*

 

Jacques Sapir

Directeur d’Etude à l’EHESS

Directeur du CEMI

(Ce papier sera publié en russe et en anglais dans le cours de l’hiver 2021-2022)

Les conséquences de l’épidémie de la COVID-19 ont constitué un choc majeur pour l’ensemble des économies développées et des économies en développement. Ce choc, qui est survenu dans un laps de temps relativement court, aboutit même à relativiser l’effondrement de 2008-2010, dans ce qui fut qualifié de « crises des subprimes ».

Pourtant, cette dernière crise avait sérieusement secoué l’économie mondiale et avait contraint la plupart des gouvernements à prendre des mesures de soutien de l’activité économique qui avaient été considérées comme exceptionnelles à l’époque. Ces mesures avaient d’ailleurs engendré des conséquences importantes, soit au sein des pays émergents, soit au sein des pays développés, et en particulier en Europe. Ces conséquences avaient pesée sur la dynamique économique dans les années qui suivirent.

La question de l’ampleur de la réaction des gouvernements face aux conséquences économiques de la pandémie de la Covid-19 se pose donc à son tour. Comment les gouvernements ont-ils réagi ? La question de la comparaison des réactions des gouvernements se pose donc[1]. Ont-ils privilégié l’action budgétaire (les subventions) ou bien ont-ils plus privilégié les garanties de crédit pour les acteurs financiers et les entreprises non-financières ? Quels sont les gouvernements qui ont largement réagi et quels sont ceux qui ont réagi bien plus petitement ? L’ampleur de ces réactions est-elle le produit de choix politiques ou de conceptions idéologiques ? Ces questions se posent immédiatement.

Certains gouvernants, ceux de la France, mais aussi des Etats-Unis et du Royaume-Uni ont fait à ce sujet des déclarations proclamant que leurs administrations avaient particulièrement bien réagi à la pandémie[2]. On se souvient ainsi du « quoi qu’il en coute » prononcé en mars 2020 par le Président Emmanuel Macron[3], qui a été répété à plusieurs reprises[4].

A partir des résultats, encore provisoire, de l’évolution de l’économie en 2020, et à partir de l’estimation faite par le Fond Monétaire International des montants des aides, tant budgétaires qu’aides en liquidité, on peut se faire une première idée de l’effort et de la fonction de réaction des gouvernements. On propose ici une méthodologie particulière pour procéder à cette évaluation

1. Comment estimer l’effort des gouvernements ?

Dans une étude publiée en 2020 et prévoyant les possibles impacts de la pandémie actuelle, un auteur utilise l’expression « la mère de toutes les récessions » pour souligner l’ampleur du choc[5] et indirectement pour qualifier les mesures de soutien. Il ne fait aucun doute que la crise engendrée par la pandémie de la Covid-19 a atteint des dimensions historiques. Dans le même ordre d’idées, les projections du FMI et les premières estimations provenant de divers instituts nationaux de statistique montrent un effondrement des taux de croissance du PIB qui dépasse celui de la crise de 2008-2010. Ici encore, les données disponibles vont dans le sens d’un choc d’une brutalité exceptionnelle[6].

Depuis l’avènement de la pandémie, un nombre croissant de publications a émergé pour expliquer les conséquences de ce choc d’offre sur la demande, sa persistance potentielle à travers des pièges à stagnation[7], ou le maintien de mesures de confinement, mais aussi pour qualifier l’ampleur des mesures de soutien apportées par les divers gouvernements[8].

On fait ici l’hypothèse que les gouvernements réagissent à l’émergence d’une situation de crise, et réagissent d’autant plus que l’ampleur de la dite crise est importante, pour des raisons économiques mais aussi politiques[9]. La pandémie du Covid-19 a bien constitué, par ses conséquences économiques, une crise majeure. Les mesures prises pour limiter la propagation du virus, et en particulier les mesures de confinement, ont provoqué un choc récessif, via l’offre et la demande, de grande ampleur et sans équivalent dans l’histoire récente[10].

Il s’est agit à la fois d’un choc d’offre, par l’interruption de certaines productions et de demande par le fait que les ménages n’ont pu consommer normalement. Ces chocs ont justifié des réponses plus ou moins importantes de la part des gouvernements, qui ont mis en place de politique budgétaires plus ou moins expansives[11], et des actions de la part des Banques centrales, sous la forme de mesures exceptionnelles concernant la liquidité des banques mais aussi celle des Etats.

La réponse à la crise sanitaire par le confinement de la population dans de nombreux pays[12] a donc réduit fortement l’activité économique[13], a pesé sur l’emploi, mais aussi sur les revenus et la situation financière des entreprises[14]. Certains secteurs ont été plus particulièrement touchés (commerce, restauration, tourisme, construction, etc.), ce qui a nécessité des aides directes (subventions budgétaires) ou des aides indirectes (prêts garantis, aides à la liquidité) qui ont été mises en œuvres par les autorités monétaires (Banques Centrales). La réponse des gouvernements mais aussi des Banques Centrales, a conduit à mettre en parenthèse certaines des réglementations ou des lois en vigueur comme ce fut le cas dans le cadre de l’Union Européenne[15]. Cependant, des voix s’expriment pour s’en inquiéter[16].

Le gouvernement français a, en particulier, mobilisé des « pouvoirs exceptionnels » en période de crise, et de crise économique[17]. Il en a usé, en particulier en décrétant un « état d’urgence sanitaire »[18], à partir du discours d’Emmanuel Macron affirmant l’engagement total du gouvernement et établissant le « quoi qu’il en coûte » comme ligne politique, une position qui a été assumée de la fin mars 2020 à mai 2021. Mais, comment évaluer cette action ?

Cette question est particulièrement importante si l’on veut comprendre le poids résiduel des idéologies et des pratiques en matière de politiques budgétaires et d’action des Banques Centrales. Cela permet de comprendre comment, face à un événement inattendu, les responsables réagissent et jusqu’à quels points ils restent, si ce n’est prisonniers, du moins influencés par l’idéologie et les conceptions du passé.

Divers rapports, tant ceux du Sénat[19], du ministère des finances[20] que ceux d’organismes privés, s’y sont essayés[21]. Néanmoins ces tentatives d’évaluation ont été faites dans l’urgence. Aujourd’hui, avec la publication des données du Fond Monétaire International (fin janvier 2021 pour les données sur les mesures de soutien et avril 2021 pour les données économiques provisoires[22]), il est possible de tenter une première comparaison internationale.

Le cadre de raisonnement

Des études, et en particulier celles du FMI, ont montré le poids, calculé en pourcentage du PIB, des aides et des soutiens à l’économie, que ce soit des aides budgétaires ou des aides à la liquidité des entreprises et des banques. Cela permet de réaliser un premier classement.

On constate alors que quatre pays se situent entre 30% et 45% du PIB (Japon, Italie, Allemagne et Royaume-Uni), cinq autres pays se situent entre 15% et 25% (France, Etats-Unis, Canada, Espagne, Australie), et que les autres pays s’échelonnent entre 15% et moins de 5% pour le niveau total des aides. Mais, ce premier classement est insatisfaisant en ce qu’il ne prend pas en compte l’impact de la Covid-19 sur les économies qui a nécessité les mesures de soutien. Or, cet impact est très différent suivant les économies.

Graphique 0

Classement en fonction de l’ampleur de l’aide à l’économie

 

Source : FMI, IMF-FiscalDataBase, Jan2021up.

Cette insatisfaction conduit à rechercher des méthodes alternatives de calcul. Elles impliquent la définition d’une base de données et l’explicitation des hypothèses qui seront retenues.

On constitue donc une base de 25 pays à partir des données du FMI, sur lesquels ont peut avoir de relatives garanties de robustesse pour les données de l’année 2020. Dans ce groupe de 25 pays ont été inclus les principaux pays de la zone Euro et de l’UE, la Russie, les Etats-Unis et le Canada, l’Australie, le Japon et la Corée du Sud, mais aussi la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Pour des raisons techniques n’ont pas été inclus des pays d’Amérique Latine comme l’Argentine, le Brésil et le Mexique. Si, les données s’améliorent, ils pourraient être inclus dans une vague ultérieure de ce travail ainsi que des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique.

Tableau 1

Présentations des données
En pourcentage du PIB
 
Evolution du PIB
En 2020
Aides budgétaires
Aides en liquidité
Aides totales
Autriche -6,6% 8,6% 2,4% 11,0%
Belgique -6,4% 7,2% 11,9% 19,1%
Finlande -2,9% 3,0% 7,0% 10,0%
France -8,2% 7,7% 15,8% 23,5%
Allemagne -4,9% 11,0% 27,8% 38,9%
Grèce -8,2% 11,0% 4,9% 15,9%
Irlande 2,5% 5,4% 1,5% 6,9%
Italie -8,9% 6,8% 35,5% 42,3%
Pays-Bas -3,8% 4,5% 8,3% 12,8%
Portugal -7,6% 4,7% 6,5% 11,2%
Slovaquie -5,2% 3,8% 4,4% 8,2%
Slovénie -5,5% 5,3% 6,6% 11,9%
Espagne -11,0% 4,1% 14,4% 18,6%
Canada -5,4% 14,6% 4,0% 18,7%
Japon -4,8% 15,6% 28,4% 44,0%
Royaume-Uni -9,9% 16,3% 16,1% 32,4%
Etats-Unis -3,5% 16,7% 2,4% 19,2%
Russie -3,1% 2,9% 1,5% 4,4%
Chine 2,3% 4,7% 1,3% 6,0%
Inde -8,0% 3,1% 5,1% 8,1%
Indonésie -2,1% 2,7% 0,9% 3,5%
Vietnam 2,9% 0,5% 0,5% 1,0%
Australie -2,4% 16,2% 1,8% 18,0%
Corée du Sud -1,0% 3,4% 10,2% 13,6%
Suède -2,8% 5,3% 4,2% 9,5%

Source : FMI, World Economic Outlook, April 2021 et Fiscal Monitor: Database of Country Fiscal Measures in Response to the COVID-19 Pandemic

Ces données incluent donc :

  • L’évolution du PIB pour 2020, marquée par une chute plus ou moins forte suivant les pays concernés, l’écart allant de +2,9% pour le Vietnam à -11% pour l’Espagne.
  • Le montant des aides budgétaires (en pourcentage du PIB)
  • Le montant des aides discrétionnaires en liquidité (en pourcentage du PIB).
  • La somme de deux précédentes données.

Pour pouvoir établir une comparaison, on a retenu les hypothèses et la méthode suivantes :

  1. On suppose que le montant des aides est le résultat de l’évolution du PIB, affecté d’un coefficient représentant la disponibilité plus ou moins importante des gouvernements et des Banques Centrales à réagir à cette évolution, ceci dépendant des choix politiques, mais aussi de contraintes idéologiques propres à chacun des pays, soit Y = ƒ (x), avec ƒ’<0 où Y représente le niveau de l’aide (en pourcentage du PIB), qu’il s’agisse de l’aide budgétaire, de l’aide en liquidité ou de l’aide globale, et (x) l’évolution du PIB en 2020. Le niveau du soutien économique dépend donc de l’ampleur du choc subi, choc qui a été déterminé par l’ampleur de la crise sanitaire et qui échappe donc complètement aux divers gouvernements, tel qu’il est mesuré par l’évolution du PIB pour l’année 2020. Quant à l’impact de ces aides, il ne pourra être mesuré QUE sur le PIB de 2021.
  2. Cette fonction, Y = ƒ (x), est calculée soit dans une hypothèse linéaire dite désormais H1 (Y = a (x) + b), ce qui implique que la réaction est directement en proportion du choc soit dans une hypothèse exponentielle, dite désormais H2 (Y = a (E-(x)), qui suppose quant à elle que plus le choc a été important et plus la réaction des autorités l’a été aussi dans une mesure non-proportionnelle. Ces fonctions seront donc ici estimées sur les données disponibles.
  3. Le sens de ces deux hypothèses est donc le suivant. Dans (H1) on suppose que l’ampleur de la récession subie en 2020 engendre une réaction d’aide proportionnelle à la récession : plus la récession est importante et plus le soutien l’est aussi. Mais on part de l’hypothèse qu’un choc double implique une réaction double. Dans l’hypothèse (H2) on suppose que les d’aides sont plus que proportionnelles à l’ampleur de la récession et qu’un approfondissement de la récession contraint les autorités du pays à accroître bien plus leur soutien à l’économie.
  4. On représente la relation potentielle pour les trois données (aide budgétaire, aide en liquidités et aides totales) sous la forme d’un nuage de point dont on extrait une droite de tendance (trend). On calcule ensuite Y’ qui correspond à la valeur théorique de l’aide obtenue à partir du calcul de l’ajustement des données.
  5. On détermine pour chaque pays l’écart à la valeur théorique de l’aide réelle par la formule Z = Y – Y’ et l’on classe les pays de la valeur la plus importante à la valeur la plus faible. On ne comparera donc pas les chiffres directs des mesures de soutien de chaque pays, comme on à pu le faire dans des publications précédentes[23], mais l’ampleur de l’écart entre la valeur prédite du soutien et sa valeur effective.

Il est ici important de souligner que le montant des aides est décidé soit par le gouvernement (aides budgétaires) soit par les autorités monétaires (Banques Centrales) qui, suivant leur degré d’indépendance par rapport au pouvoir politique, ont une fonction de réaction plus ou moins distincte de ce dernier.

Signalons ici quelques réserves sur les données disponibles.

  • Si le montant des aides en liquidité par la Banque Centrale de la Chine est connu, on ne peut exclure que d’autres aides ait été engagées par les autorités locales. Un même raisonnement s’applique aussi aux aides budgétaires. Le chiffre des aides représente donc un chiffre « à minima ».
  • Ce raisonnement peut s‘appliquer, dans une moindre mesure à un autre pays fédéral qui est l’Inde.
  • Les chiffres du PIB correspondent aux estimations des services statistiques telles qu’elles étaient au début de l’année. Il n’est pas impossible que les chiffres définitifs, qui devraient être connus en 2023 soient légèrement différent des chiffres qui sont utilisés dans cette étude.

Les caractéristiques des trends calculés sont alors les suivantes :

Tableau 2 :
Caractéristiques des trends
  Aides budgétaires Aides à la liquidité

Aides totales

 

 

Trend linéaire ou (H1)

 

 

y = -0,3742x + 0,057 y = -1,2101x + 0,0339 y = -1,5843x + 0,0908

Trend exponentiel (H2)

 

 

 

y = 0,0386e-8,892x

 

y = 0,0199e-20,84x

 

y = 0,0641e-14,36x

Les niveaux des coefficients de corrélation sont faibles, mais apparaissent un petit peu meilleur quand on fait le calcul pour le total des aides (budgétaires et en liquidité). Ceci n’a rien d’étonnant.

En effet on pouvait s’attendre à ce que les réactions de chaque pays soient spécifiques, en fonction, comme on l’a dit, d’un mélange de présupposés idéologiques mais aussi de contraintes politiques et économiques. La dispersion par rapport à la courbe d’alignement n’est donc pas pour surprendre.

De même, l’amélioration relative des résultats avec l’addition des formes d’aides et de soutien nous indique, avant même toute analyse approfondie, que certains pays ont « compensé » un moindre effort budgétaire par un plus grand engagement en liquidité et vice-et-versa.

Graphique 1 – H1 (aides budgétaires)

 

(bleu : France, rouge : Russie)

Graphique 1 – H2 (aides budgétaires)

 

(bleu : France, rouge : Russie)

 

Graphique 2 – H1 (aides en liquidité)

 

Graphique 2 – H2

(aides en liquidité)

 

(bleu : France, rouge : Russie)

 

Graphique 3 H1 (aides totales)

 

(bleu : France, rouge : Russie)

 

Graphique 3 H2 (aides totales)

 

(bleu : France, rouge : Russie)

Plusieurs remarques se dégagent alors. D’une part l’ajustement à un trend exponentiel (H2) semble s’avérer plus réaliste que celui à un trend linéaire, validant ainsi l’hypothèse que, toutes choses étant égales par ailleurs (biais politiques et idéologique), plus la récession a été forte et plus l’effort a été plus que proportionnel par rapport à la récession.

Ensuite, en ce qui concerne les aides budgétaires, un groupe de quatre pays se détache à la fois par le montant modéré de la récession qu’ils ont subie et par le montant élevé des aides budgétaires : l’Australie, le Canada, le Japon et les Etats-Unis. Ce groupe est intéressant car il combine deux îles (Japon et Australie) et deux pays continentaux (Canada et Etats-Unis), deux pays à faible densité de population (Australie et Canada) un pays à moyenne densité (Etats-Unis) et un pays à très forte densité (Japon). Dans l’hypothèse (H1) l’écart moyen est à -0,7% alors qu’il est de +25% dans (H2). Clairement, l’hypothèse (H2) tend à faire remonte le résultat de certains pays.

Tag(s) : #Economie
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