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Zemmour chez Orban

 
UN REGARD JURIDIQUE SUR L'ACTUALITÉ AVEC RÉGIS DE CASTELNAU

Fabienne Keller est une femme politique strasbourgeoise à la carrière particulièrement sinueuse, rythmée par de sévères défaites électorales, aujourd’hui ralliée à Macron. Elle s’est permis, sans peur du ridicule, de faire la leçon à Éric Zemmour : « Au lieu de rencontrer Viktor Orbán à huis clos, Éric Zemmour aurait dû aller voir et parler avec le peuple hongrois qui subit directement les décisions anti-démocratiques de son Premier ministre». On dirait pourtant que le peuple hongrois y trouve son compte puisqu’il a déjà réélu démocratiquement Orban à quatre reprises…

Effectivement, le dirigeant hongrois occupe, entre Hitler et Staline, une place particulière dans l’imaginaire de la bien-pensance petite-bourgeoise. Situation qui a probablement motivé le déplacement à Budapest d’Éric Zemmour, qui raffole de la provocation. Mais pas seulement, il existe probablement, entre le polémiste et Marion Maréchal qui l’accompagnait d’une part, et Viktor Orbán d’autre part, quelques connivences significatives.

Que peut-on dire du premier ministre hongrois pour mieux le situer ?

Le jeune Viktor Orbán a « crevé l’écran » en 1989 à Oxford, où il s’est rendu à l’âge de 26 ans pour étudier grâce à une bourse octroyée par Georges Soros qui est d’origine hongroise. Orbán s’était fait connaître quelques mois plus tôt en devenant le porte-parole d’une organisation étudiante, la Fidesz, et en adressant à la foule un discours enflammé demandant le départ des troupes soviétiques lors de la cérémonie de funérailles officielles d’Imre Nagy, organisée en 1989 par le PC Hongrois reconnaissant le caractère illégal de l’exécution de celui-ci en 1958.

L’étudiant Viktor Orbán commencera alors une thèse sur… le libéralisme britannique pour très tôt l’interrompre afin de de participer aux premières élections de la « transition » hongroise. Élu député, il s’était déclaré libéral avant d’orienter son mouvement, le Fidesz, sur la voie du nationalisme ethnique. Il fera l’objet de critiques pour des détournements réguliers des fonds du parti, et son mode de vie est celui des nouveaux riches de la « transition », à base voitures de luxe, et autres signes extérieurs de richesse.

Cela ne l’empêchera pas de devenir Premier ministre en 1998, poste qu’il occupera jusqu’en 2002 faisant de l’adhésion de la Hongrie à l’OTAN et à l’UE la grande affaire de son mandat. La Hongrie a rejoint l’OTAN en 1999 en même temps que celle des autres pays du « groupe de Visegrad ».

Il sera battu en 2002 par l’ancien Parti communiste après une campagne au cours de laquelle il travailla à rassembler toutes les forces d’extrême-droite – y compris néo-nazies. Le PC hongrois prendra quant à lui un tour nettement social-démocrate, néolibéral et pro-européen, en continuant d’ailleurs la politique de privatisations engagée par Orbán.

En 2010, celui-ci revient au pouvoir grâce à une campagne faisant converger euroscepticisme et anticommunisme, Bruxelles étant présenté comme la nouvelle Moscou… Il fera adopter, en 2012, une nouvelle Constitution affaiblissant les pouvoirs de la Cour constitutionnelle et instaurant le contrôle de la magistrature.

Contrairement à ce qu’affirment les partisans de ce régime à l’intérieur et à l’extérieur de la Hongrie, le système Orbán est loin de mettre en œuvre une orientation sociale. De manière croissante, celui-ci a remplacé les aides sociales matérielles et financières par des accès à des prêts assortis de garanties hypothécaires. Il substitue ainsi aux aides sociales des facultés accrues d’endettement, caractéristique typiquement néolibérale. Par ailleurs, ces « aides » sont essentiellement concentrées sur la nouvelle classe moyenne urbaine, alors que, paradoxalement, c’est largement un électorat rural et traditionnellement de droite (souvent antisémite) qui élit Orbán. Dans les discours du pouvoir, on parle des pauvres comme de « parasites sociaux ».

C’est ainsi qu’ Orbán a pu réaliser des réformes présentées comme protectionnistes, notamment en remettant la monnaie hongroise, le forint, au centre des échanges et en renationalisant les fonds de pension gérant les retraites. La politique nataliste qui recueille l’admiration d’Éric Zemmour est elle aussi concentrée sur la nouvelle classe moyenne et exclut les « parasites sociaux ». Elle a en outre pour dessein de renvoyer les femmes à la maison, et la déclinaison hongroise de la règle des trois K : « Kinder, Kirche, Küche » (enfants, église, cuisine).

En réalité, derrière le discours présenté par les belles âmes comme illibéral, il y a bien en fait une politique d’austérité, dissimulé derrière un brouillard discursif et un recours permanent à la confusion : un jour Orbán se dira « keynésien », le lendemain il citera Thatcher, sachant qu’il fut un des rares leaders européens à assister à ses funérailles. Sur le plan économique, les spécialistes constatent que la Hongrie demeure une économie d’exportation, très dépendante des fonds européens et de son intégration à l’UE, ce qu’aucune mesure protectionniste ne cherche à corriger. Constat auquel il faut ajouter une inféodation à l’Allemagne qu’ Orbán s’emploie très régulièrement à rassurer sur la pérennité de ses investissements. Allemagne qui n’a pas se plaindre puisqu’elle est le premier investisseur en Hongrie, avec à elle seule 30% des investissements étrangers dans le cadre d’une stratégie qui n’a jamais changé depuis 1990 : favoriser les investissements étrangers.

Cela a incontestablement permis une certaine croissance, mais dont les produits ont été largement accaparés par l’élite du business qui gravite autour d’Orbán, et a aussi rendu le pays particulièrement vulnérable à la crise – comme ce fut notamment le cas en 2008. Il faut noter également que la Hongrie affiche la taxe sur les entreprises étrangères la plus faible d’Europe, ce qui profite notamment à l’industrie (et surtout à la finance) allemande.

Conséquence de cette politique : un million de Hongrois ont émigré entre 2006 et 2019 (avec un pic d’émigration entre 2016 et 2017. L’immigration en Hongrie est très réduite, majoritairement issue des pays encore plus pauvres de la zone : Ukraine, Roumanie, Bulgarie. La préoccupation réelle d’Orbán consiste à empêcher les gens de sortir plutôt que de rentrer. Quant aux musulmans, ils représentent 0,050% de la population ! A noter sur le chapitre de l’islam qu’Orbán pratique lui aussi le même temps puisqu’il est le principal soutien de Erdogan au sein de l’UE, toujours partisan de la candidature turque à l’entrée dans l’UE, et que la Hongrie est pays observateur au Conseil turcique… On pourrait évoquer aussi la contradiction entre les positions pro-familiales d’Orbán et le rôle décisif des « Orbanomics » dans la transformation de la Hongrie en studio porno à ciel ouvert, basé sur le dumping du travail des actrices et un slogan commercial particulièrement élégant : « tout peut être fait aux femmes hongroises ».

Viktor Orbán, n’est pas le dictateur loup-garou si utile repoussoir pour les belles âmes euro-béates de chez nous, soucieuses d’afficher leur anti-extrême-droite comme signe extérieur de richesse. Pour autant, son système relève d’un populisme autoritaire voir autocratique sur le plan de la pratique politique d’une part. Et d’un néolibéralisme économique antisocial fort classique d’autre part.

Un modèle pour Eric Zemmour ?

Tag(s) : #Zemmour Orban
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