
Quand le bloc élitaire investi son fondé de pouvoir
Deux événements évocateurs se sont déroulés, l’un le 7 mai avec la prise de fonction d’Emmanuel Macron pour son deuxième mandat, l’autre le 9 mai avec le prononcé de l’arrêt d’appel condamnant François Fillon pour l’affaire des « attachés parlementaires ». L’un comme l’autre raconte la poursuite de la mise en place du « totalitarisme bourgeois » enclenché en 2017 avec le coup d’État ayant porté Emmanuel Macron au pouvoir.
Ce système politique vise à installer une démocratie sans démos, c’est-à-dire en privant la souveraineté populaire de sa légitimité et de son efficacité dans la gestion des affaires publiques. L’ossification dans les traités irréformables de l’UE de ce qui relevait auparavant de la délibération souveraine du peuple français, combinée avec la perte de substance interne des institutions démocratiques, tout cela met en place un système autoritaire qui n’a plus grand-chose à voir avec une république de démocratie représentative.
Le spectacle de la cérémonie d’investiture d’Emmanuel Macron en était, de ce point de vue, une illustration quasi parfaite. Il ne manquait personne de ce « bloc bourgeois », toutes les composantes étaient représentées avec, il convient de le noter, une surreprésentation des éminences socialistes, celles qui ont choisi et porté Macron au pouvoir.
Ce sont d’ailleurs deux de ces éminences qui ont rappelé au président le cadre politique et juridique de son mandat.
C’est tout d’abord Marisol Touraine, extatique, lui glissant « Félicitations ! Maintenant tu as les mains libres. Tu peux faire ce que tu veux. Ce pays tu peux l’embarquer ».
Était-il possible d’être plus cynique dans l’énoncé des consignes, par cette représentante de la caste dont toute l’activité politique a consisté à démolir l’État social pour imposer le pire néolibéralisme à la France ?
Il y a eu ensuite les propos d’un autre démolisseur, Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel rappelant à Emmanuel Macron que la souveraineté politique n’appartient plus au peuple, mais bien aux instances de contrôle chargées de veiller sur le soi-disant respect de « l’État de droit ».
Écoutons Laurent Fabius : « C’est pourquoi, je complèterai volontiers aujourd’hui les mots de Chateaubriand par ceux de Victor Hugo : « en ces temps troublés, soyons les serviteurs du droit et les esclaves du devoir ». Le droit, c’est d’abord respecter l’État de droit, ce patrimoine précieux de principes essentiels à nos démocraties, y compris si la Constitution elle-même devait être révisée. C’est en effet la condition première de la préservation de nos libertés. »
Il faut bien prendre la mesure de ce rappel. Il notifie au président que les instances chargées, dans une démocratie représentative, de contrôler et d’équilibrer les pouvoirs de ceux que le suffrage universel a choisis, eh bien ce sont eux désormais, les titulaires de ces pouvoirs. On l’avait dit dans ces colonnes, le dépositaire du pouvoir législatif en France n’est plus le Parlement, mais bien le Conseil constitutionnel de Laurent Fabius et d’Alain Juppé.
François Fillon et la poursuite du chemin de croix
La cour d’appel de Paris a donc quasiment confirmé la décision de première instance condamnant lourdement François Fillon et son entourage pour les emplois d’attaché parlementaire occupés par les membres de sa famille. Cet arrêt lui aussi raconte l’affaiblissement drastique des pouvoirs législatifs et exécutifs au profit de ces institutions judiciaires devenues dépositaires de véritables pouvoirs directement politiques.
On ne reviendra pas en détail sur ce qui s’est passé au début de l’année 2017 et sur la façon dont l’appareil judiciaire est intervenu dans l’élection présidentielle pour favoriser l’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir(On renverra pour cela à la lecture de notre ouvrage). Mais il convient de rappeler un certain nombre de données qui permettent d’éclairer ce nouvel épisode. Tout d’abord, il y a bien évidemment, le caractère anormalement fulgurant de la procédure initiale accompagné des manipulations médiatiques organisées par l’appareil judiciaire lui-même. Les violations du droit et des principes et en particulier l’application d’une jurisprudence permettant au juge de contrôler l’activité des parlementaires, en piétinant la séparation des pouvoirs.
Ensuite, cette intervention initiale a été confirmée par la mise en place d’un triptyque caractérisant le soutien de la justice à Emmanuel Macron. Ses concurrents et ses adversaires sont en général soumis à une pression judiciaire constante, ses amis sont soigneusement préservés, et les mouvements sociaux font l’objet d’une répression brutale.
Mais il ne faut pas se tromper, les magistrats n’agissent pas sur ordre, ils ont conquis leur indépendance. Mais pour la mettre au service de leur partialité politique et idéologique. Le signe le plus clair de cette dérive se retrouve par exemple dans les procédures intentées contre la droite politique comme autant de vendettas. Nicolas Sarkozy en sait quelque chose et il est probable qu’il a quelques soucis à se faire pour la suite.
Les signaux envoyés par la condamnation de François Fillon en appel ne sont pas rassurants pour lui. On rappellera aussi la condamnation de Bernard Tapie post-mortem en appel malgré un jugement de relaxe initial difficilement réfutable.
La France a un problème avec sa justice
Enfin, il faut être clair, la décision qui frappe François Fillon dans ses fondements juridiques et sa sévérité, n’a en fait qu’une signification : valider l’opération du printemps 2017. On aurait pu se contenter de la réélection, légitime celle-là, d’Emmanuel Macron le 24 avril dernier. Mais non, il a fallu réaffirmer la volonté d’une justice décidée à développer son emprise sur la société. On invitera à faire l’effort de lire les jugements et arrêts correctionnels, pour y voir la rigueur juridique saccagée et disparaître derrière d’interminables et intempestifs cours de morale.
Emmanuel Macron, obnubilé par la communication, a commis une erreur de casting en juillet 2020, en nommant Éric Dupond Moretti Garde des Sceaux en lieu et place de la calamiteuse Nicole Belloubet. Le corps des magistrats attendait la nomination du procureur général auprès de la Cour de cassation François Molins.
La contrariété qui en a résulté a été à l’origine des soucis judiciaires de Dupond-Moretti, la charge étant menée par les organisations syndicales et François Molins himself. Qui rêvant probablement toujours d’être Garde des Sceaux n’a pas hésité à demander en urgence le renvoi de son concurrent devant la CJR, envoyant ainsi un missile médiatique pour lui savonner la planche et être sûr de son départ.
Il est peu probable que l’avocat médiatique soit reconduit, et s’il veut conserver la bienveillance judiciaire qui ne lui a pas manqué pendant son premier mandat, on conseillera à Emmanuel Macron de ne pas commettre la même erreur. Et de nommer François Molins place Vendôme.
La France a désormais un problème avec sa justice. Un service public, sinistré au plan matériel, est devenu un pouvoir politique. Ce qui serait normalement à proscrire dans une véritable démocratie représentative. Pour des raisons de sociologie, d’organisation, de fonctionnement et de recrutement, la magistrature s’attribue un magistère moral sur la société. Devenant de ce fait un des outils de l’illibéralisme autoritaire dont Emmanuel Macron est le représentant.