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Beaucoup d'ouvrages ont traité de l'Allemagne nazie. Histoires  générales de la la période historique, biographies d'Hitler et de ses principaux lieutenants, études diverses sur les différents aspects du régime, dénonciation de la Shoah, relation des évènements militaires pris dans leur ensemble ou réservés à une bataille spécifique,  valorisation d'un acte de résistance, tous ces livres tentent d'explorer, de l'extérieur,l'Allemagne durant ces douze ans d'hitlérisme.

Pourtant, il existe au moins un document qui, au fil des jours, de 1933 à 1945, nous apporte le témoignage, d'un Allemand qui a vécu, de l'intérieur, ces années de sang et de mort.
Il s'agit de Victor Klemperer. Cet universitaire de Dresde, amoureux du siècle des Lumières français, juif de naissance, centriste de conviction, marié à une non-juive, a tenu son journal quotidien pour "écrire contre l'oubli". Ainsi, Victor Klemperer, le 11 juin 1942, note dans son journal :
"Je veux porter témoignage jusqu'au bout, pour rendre compte de l'oppression dans ses moindre détails", devenir ainsi "l'historiographe de la catastrophe". 
Klemperer, dernier enfant d'un rabbin libéral (au sens politique du terme), naît le 9 octobre 1881, à Landsberg, sur la Warta. Il poursuit des études supérieures de langue et de littérature germanique et romane et prépare une thèse sur Voltaire, et ultérieurement, une autre sur Montesquieu. 
Il se marie civilement, à l'insu de ses proches, en 1906, avec une pianiste, Eva Schlemmer, de famille protestante. Il sera nommé professeur titulaire à l'Ecole supérieure technique de Dresde en 1920.

Victor Klemperer est donc dans sa cinquante-deuxième  annnée quand Hitler devient chancelier du Reich, en janvier 1933.
Il va donc, jour après jour, décrire le quotidien d'un Allemand juif de naissance, à partir de ce qu'il pense, de ce qu'il ressent, tout au long de son odyssée personnelle, face à  la répression, au fil des mesures antisémites croissantes qui bouleversent sa vie et celle de son épouse.
Le 10 mars 1933, il écrit :
"30 janvier : Hitler chancelier. Ce que j'avais appelé terreur jusqu'au jour de l'élection, le dimanche 5 mars, n'était qu'un doux prélude (...) Il est étonnant de voir comment tout s'effondre sans la moindre résistance (...) L'incendie du Reichstag - je ne puis m'imaginer un instantque quiconque puisse croire vraiment à une action des communistes plutôt qu'à un coup monté à l'instigation et à la solde des nazis.Puis les interdictions sauvages et les violences. Et dans les rues, à la radio,etc..., la propagande sans borne. Samedi, le 4, entendu un fragment du discours d'Hitler à Königsberg. Façade d'hôtel illuminé devant la gare, défilé aux flambeaux, porteurs de flambeaux et de drapeaux à croix gammée aux balcons, et haut-parleurs. Mais ce ton! Ces hurlements...! (...) Dimanche, j'ai voté démocrate, Eva Zentrum".

Ainsi commence la tragédie. Des milliers et de milliers de militants antifascistes, surout des communistes, peuplent déjà les premiers camps de concentration.
Victor Klemperer, année après année,  va subir, et nous décrire par le menu,  la dégradation progressives de ses conditions d'existence. En 1935, il est révoqué de son poste de professeur. La situation matérielle du couple lui cause des soucis lancinants. Klemperer écrit toujours, d'abord sur une machine à écrire, puis, celle-ci interdite, sur de fins papiers, qu'il cache et remet à des amis moins suspects, pour les sauvegarder.
Il note aussi bien les évènements politiques que militaires, d'abord les victoires saluées à coups de trompe et de communiqués spéciaux, retransmis dans toute la ville par haut-parleur, ensuite les premières défaites de la Whermacht, Stalingrad et la joie que cela procure à Victor et Eva...
Klemperer nous décrit son déménagement dans un pavillon avec un jardin qu'il tente d'aménager pour Eva, dont la santé se fragilise, l'achat et la conduite périlleuse d'une automobile, pour meubler sa retraite forcée et permettre à sa femme de sortir quelques heures de l'enfer. Les tâches domestiques lui coûtent : la vaisselle, les courses, le ménage.
Il note les moindre détails de la vie : le nombre de personnes qui font le salut hitlérien et  celles qui disent simplement bonjour, quand elles entrent dans un magasin, le fleurissement des croix gammées à la boutonnière, le comportement humain de certain voisins vis-à-vis de lui, le proscrit.
Le récit de ces années noires permet de suivre la situation des Klemperer, de sa villa au regroupement de tous les juifs de la ville dans un ghetto où l'habitation est collective. La déportation qui s'accentue et les amis qui disparaissent, les travaux de force, obligatoires, en ville. 
Puis, c'est l'horrible bombardement d'avril 1945 : Dresde, sans objectif militaire, est transformée en une vaste torche, sous un déluge de bombes incendiaires. L'atmosphère dantesque permet aux Klemperer de se délester de leurs papiers d'identité, et de fuir, loin de la ville. Commence une longue errance de quelques semaines. 
Les forces américaines et soviétiques approchent. 
Victor Klemperer note le "27 avril, vendredi, quatorze heures"  :
"Le vieux Tyroller m'a déjà demandé deux fois ce qui va se passer à Berlin quand Russes et Américains se rencontreront. Les deux à la fois, il y avait dans sa voix l'espoir que Russes et US se ruent aussitôt les uns sur les autres et se battent jusqu'au sang. Voilà quelle confusion mentale Goebbels a semée dans les esprits".
Ce sont les Gi's que Klemperer rencontre en premier. 
Il s'interroge sur l'attitude de ses concitoyens :
"
1er mai, mardi
Dans quelle mesure reourne-t-on  maintenant sa veste ? Dans quelle mesure doit-onfaire confiance ? Maintenant, tout le monde ici a 
toujours été ennemi du parti
".

Puis, Victor Klemperer rejoint, avec beaucoup de difficultés, sa bonne ville de Dresde, le 10 juin, où enfin, il retrouve sa maison !
A  l'occupation US, succède celle des Soviétiques. Comment procéder pour 'dénazifier' le pays ?
En août, Klemperer retrouve son poste à l'Université. Klemperer, qui jadis se méfiait des 'extrèmes', lui ancien démocrate libéral, il prend, après des semaines de réflexion et d'hésitation, sa carte au KPD, le Parti communiste allemand. Il justifie ansi son attitude :
"Ce n'est que par l'orientation à gauche la plus résolue que nous pourrons sortir de la misère présente et nous préserver de son retour (...) Le KPD est  le seul parti à rompre radicalement avec le parti nazi".

Victor Klemperer sera élu à l'Assemblée du peuple de RDA, où il s'éteindra en 1960.

La lecture de cet ouvrage nous fait vivre en direct les douze années du nazisme, et nous apprend beaucoup sur une histoire occultée de nos jours. 

Victor KLEMPERER   tome I  - Journal 1933-1941 Mes soldats de papier
                             tome II - Journal 1942-1945
Je veux témoigner jusqu'au bout
Editions du Seuil

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