La campagne avait débuté par une banale chronique de Simon Tivolle, sur France Inter. Son "mémo" du dimanche avait été consacré à la "recherche d'air pur par la population aisée de la capitale, au XIX ème siécle". Les familles aristocratiques et bourgeoises recherchaient alors un air plus pur pour édifier leurs hôtels. Ce fut le début de l'essor d'un nouveau quartier, celui de la plaine de Monceau, renommée alors pour la qualité de son air.
Puis, dans les semaines qui ont suivi, la radio publique consacra plusieurs émission à l'air vicié que l'on respire dans les grandes villes, notamment à Paris. Un "téléphone sonne" fut réservé au sujet. Un professeur de médecine, fort renommé, un spécialiste de la vie urbaine, différentes notabilités, répondirent aux auditeurs inquiets, que si les choses ne changeaient pas, d'ici 2040, non seulement l'air de nos villes serait irrespirable, mais que la population serait très majoritairement atteinte de maladies incurables. Plusieurs autres "téléphone sonne" revinrent sur la question, de tonalité de plus en plus alarmante.
C'est alors que Jean-Marc Sylvestre entreprit, dans sa chronique économique du matin, de mesurer le coût social de ce cataclysme programmé. Il revint sur cette question récurrente à de nombreuses reprises. Caroline Cartier, dans son "Cartier libre" rappela que l'histoire de l'air que l'on respirait à l'origine, était pur dans nos campagnes, jusqu'à l'industrialisation de masse de nos territoires. Et de comparer l'histoire de l'air et de l'eau, et pour celle-ci, les stations d'épuration, qui ont permis de garantir la qualité de l'eau utilisée dans nos cités.
Puis ce fut le tour de Nicolas Demorand d'inviter, tour à tour, l'auteur d'un livre consacré à "l'eau à travers les âges", un membre de l'Académie, dissertant sur l'inconséquence de notre civilisation qui "pourrissait l'air que nous respirons". Le dimanche, Roland Milhaïl pris le relais sur le même thème.
Cette campagne fut menée parallèlement par Europe N°1, Radio Luxembourg, et quelques débats furent engagés, sur toutes les chaines, à la télé. Jean-Marie Colombani posa le problème "de l'air, au XXIème siècle", dans son émission de France Culture, "la rumeur du monde". Le Monde 2 consacra à la question plusieurs pages, relayées par des "tribunes" dans le quotidien. Libération, Le Figaro, le Parisien et plusieurs journaux de province ne furent pas en reste. Le Point, le Nouvel Obs', en firent leur Une.
Les Verts firent de "l'air pur pour tous" un mot d'ordre écologique.
L'opinion publique commençait à s'émouvoir. C'est alors que divers instituts de sondages posèrent gravement la question : "Préférez-vous respitez de l'air pur ou de l'air vicié ?".
97,7% des sondés répondirent que leur choix était "l'air pur".
Une société s'était déjà mise à fabriquer un modèle d'appareils, copié de la technique des aérosols, tels qu'ils existent dans les hôpitaux. Encore encombrant, une industrie spécialisée dans la micro technique, se mit à mettre sur le marché, des appareils plus adaptés.
La pub, à la télé, ne manqua pas de montrer la possibilité, dès à présent, de les installer dans les jardins, sur les balcons, pour respirer enfin un air raffiné.
Le problème devint un enjeu national, puis mondial. Bernard Guetta, encore sur France Inter axa plusieurs chroniques sur "l'Europanéisation de l'air pur", des futures conflits engendrés entre les pays où l'air était d'une rare qualité et ceux dont il était pollué.
Nous n'en étions qu'aux balbutiements de l'industrie de l'air.
Une PME française mis au point de "l'air en cachet soluble". Une autre inventa "l'air en poudre".
Fin du fin, on mit sur le marché, diverses spécialités, telle "l'air d'Océan", "l'air des Sommets neigeux", "l'air sidéral", très apréciées par la clientèle des beaux quartiers.
Ces découvertes, fièrtés de l'innovation française, permirent la fabrication d'appareils adaptés, peu encombrants, personnalisés, agréables à porter, jolis à regarder. Des séquences de pub, à la télé, à la radio, dans lesjournaux, firent de ces objets une nécessité recherchée.
Les PME, spécialisées tant dans la fabrication des appareils miniaturisés, que des produits "d'air concentré", furent rapidement absorbées par une grosse entreprise du CAC 40, elle-même, rachetée rapidement par un fond de pension américain.
La généralisation des mini-aérosols portatifs devint un problème politique.
Pouvait-on accepter qu'une masse de gens respirent et rejettent de l'air pollué, à côté d'une minorité appareillée, qui vivait dans un air vivifié ?
De politique, le sujet devint moral.
Tous les médias s'en firent l'écho.
Les uns pestaient contre l'injustice sociale ainsi crée. Les autres dénonçaient les dangers que faisaient courir à la société la population développant en respirant, de l'air vicié. On parla de créer des zones purifiées, interdites aux non-porteurs d'appareils à air purifié, de quartiers sensibles où serait décrètée une interdiction de circuler.
Le Président trancha. Lors d'une visite à l'usine d'air purifié, il décida qu'une commission d'experts trancherait. Et ses conclusions furent traduites en un projet de loi rendant obligatoire le port d'un appareil, muni des solutions d'air pur, en cachets ou en gellules, sur tout le territoire français. En fait, il ne s'agissait que de la transposition de dispositions prises par la Commission de Bruxelles, le problème étant évidemment européen.
C'est ainsi qu'en l'an 2020, l'air qu'on respire devint une marchandise, en concurrence libre et non faussée.