Depuis la disparition des DS, Refondation Communiste est la dernière organisation politique italienne de taille significative issue du mouvement ouvrier. Il est donc d’autant plus indispensable de revenir sur la question de ce parti, de son bilan et des perspectives qu’on peut envisager.
On sait qu’en 1991, lors de la constitution du PDS, une minorité significative de militants communistes dirigés par A. Cossutta, refusa le nouveau parti. Désireux de perpétuer la tradition communiste (quoiqu’elle soit), ils fondèrent donc le PRC dont Bertinotti, militant réformiste de gauche de longue date, prit rapidement la tête. Cossutta devint quant à lui président du nouveau parti.
Durant ces premières années, le parti attira à lui l’essentiel de ceux qui désiraient combattre Berlusconi - dès décembre 1991, il comptait plusieurs dizaines de milliers de membresv. Rifondazione devint un creuset où coexistaient toutes sortes de générations politiques, nostalgiques du vieux PCI, trotskystes, rescapés de l’extrême-gauche des années 70, etc. Son ouverture aux questions « sociétales » (féminisme, écologie…) lui donna aussi un caractère proche du vieux PSU français.
Le PRC avait à cette époque la caractère d’un parti permettant « une naïve collaboration de toutes les fractions », selon la formule connue de Engels. Cette coexistence était d’autant plus aisée que sur bien des questions, la position du parti demeurait vague.
Ainsi, le rapport au pouvoir du parti restait vague. Était-il prêt ou pas à participer un gouvernement bourgeois, ou au contraire son objectif était-il exclusivement de mettre en place un gouvernement des travailleurs, prenant des mesures anti-capitalistes radicales ? La réponse restait floue, encore qu’aucun doute ne soit permis. En tout cas, aucune position de principe n’était donnée, ce qui suffit à caractériser ce parti comme réformiste.
Évidemment, ce flou ne pouvait persister durablement. Dès 1996, l’Histoire obligea la direction du PRC à sortir du bois.
On a vu qu’à la suite des élections de 1996, L’Olivier remporta les élections - on notera qu’à cet occasion Rifondazione accepta des accords de désistement électoral avec cette coalition, donc avec des partis bourgeois. Au lieu d’éclairer par avance les travailleurs sur le rôle de cette coalition, de Prodi, cet accord signifiait à tous que le PRC préférait ce dernier à Berlusconi….1
Un premier gouvernement Prodi fut constitué – le cœur de son programme étant l’assainissement indispensable à l’entrée dans l’Union Économique Européenne, bref l’adaptation du pays aux critères de Maastricht.
Mais la couverture parlementaire de cette coalition était si faible que les voix des députés communistes étaient indispensables au gouvernement Prodi pour se maintenir. Bertinotti et Cossutta s’exécutèrent donc, mais la situation allait vite s’avérer intenable pour eux (sur le long terme, cela revenait à un suicide politique).
En octobre 1997, premier avertissement : Bertinotti refuse de voter un budget dont le caractère anti-ouvrier est incontestable. Soumis à d’intenses pressions, il se ravise et le gouvernement Prodi est finalement sauvé. Mais un an plus tard, même scénario. Or cette fois Bertinotti maintient sa position : le gouvernement Prodi chute. Parallèlement, l’aile la plus ouvertement réformiste, nostalgique du vieux PCI, quitte le PRC : avec Cossutta à sa tête, elle fonde le Parti des Communistes d’Italie, qui s’engage dans le soutien au nouveau gouvernement D’Alema (tout aussi réactionnaire que celui de Prodi).
Pour Bertinotti, cette scission est du pain béni. Les voix du PRC n’étant plus indispensables à l’Olivier, la pression se relâche. Le secrétaire du PRC peut avoir recours à un langage « gauche », et il ne se gêne pas.
Ce sont ces déclarations qui permirent à certains observateurs d’extrême-gauche (qu’ils soient de la LCR française ou du SWP britanniquevi) de parler de « tournant à gauche ». Ultérieurement, L. Maitan alla jusquà évoquer « processus de mutation historique » du PRC.
En fait, il s’agissait simplement d’une manœuvre en retrait : Bertinotti avait compris que son soutien au gouvernement de Prodi le menait au suicide pur et simple - il reculait donc pour un temps, rien de plus.
Mais il n’y avait aucune « mutation historique » du PRC, qui demeurait une organisation de type réformiste. Et si la participation à un tel parti n’avait rien de condamnable en soi (contrairement à ce que pensent de nombreux militants de la LCR a posteriori), cette participation ne pouvait se faire que sur une ligne d’indépendance face à la direction du PRC. Notamment, la question du rapport du parti au pouvoir, la question du gouvernement des travailleurs, le refus par principe de la participation à un gouvernement capitaliste, de la moindre collaboration électorale avec un parti de ce type, était une ligne de séparation absolue entre le groupe Bertinotti et les militants révolutionnaires.
On a vu plus haut qu’à la suite de l’élection de Berlusconi, de gigantesques luttes se déroulèrent en Italie – notamment lors du sommet du G8 de Gênes, à l’occasion duquel des centaines de milliers de participants, surtout jeunes convergèrent vers cette ville. Incontestablement, le PRC fut le parti qui y fut le plus intimement mêlé à ces luttes, le PDS étant ouvertement conspué – on se souvient des réquisitoires prononcés alors contre ce parti par le cinéaste Moretti.
En ce qui concerne le PRC, l’important est que la question de la définition d’une tactique posant la question du pouvoir, du gouvernement, perdait de son acuité - la question du remplacement du gouvernement Berlusconi n’étant pas une question immédiate. Faire d’interminables déclarations sur « la centralité du mouvement altermondialiste », le « nouveau » mouvement ouvrier, pouvait suffire pour un temps.
Pourtant, dès 2002, qui voulait comprendre le pouvait. Dans le cadre du débat préparatoire au V° congrès du PRC (2002), la presse se fit l’écho des positions de du courant trotskyste « Projet Communiste » :
« Marco Ferrando a opposé un net refus à toute ouverture de Refondation au centre-gauche. Selon lui l’Olivier n’est qu’une forme différente d’organisation politique de la bourgeoisie. Seule l’émancipation du mouvement face à l’Olivier peut permettre de battre Berlusconi : des résultats concrets ne sauront être obtenus que par une lutte radicale. (…) Un gouvernement de l’Olivier ne serait qu’un nouveau gouvernement néolibéral : le seul gouvernement auquel des communistes puissent participer est un gouvernement basé sur les travailleurs et leur force. »vii
Ferrando voyait juste sur l’essentiel.
Quelques mois plus tard, les choses se précisèrent avec la perspective des élections de 2006. Les Thèses soumises au vote du VI° congrès du parti (2005) indiquent :
« le PRC et la gauche d’alternative doivent savoir passer aussi par l’expérience de gouvernement en fonction de la croissance qualitative des mouvements et de la possibilité de déployer une action politique plus vaste, plus complexe et plus longue dans la société »viii
Avec 60 % des mandats, Bertinotti embarqua donc le PRC au sein de l’Unione, nouvelle coalition dominée par le PDS et sur la ligne de Prodi. L’Humanité reproduit ses « explications » :
« tout a changé par rapport à 1998, « les mouvements sociaux sont au centre de la scène, l’Olivier n’existe plus et le centre gauche ne pourra pas faire la même politique ». Quant à la bourgeoisie, « certaines de ses composantes savent que la financiarisation des marchés ne suffit pas, et elles ont accepté le principe de l’intervention publique dans l’économie »ix
Pour que les choses soient claires Ferrando et son courant furent rapidement expulsés du parti, suite à une déclaration où celui-ci se solidarisait avec les insurgés irakiens face aux forces impérialistes (y compris italiennes).
Bertinotti alla même jusqu’à accepter le cadre des « référendum citoyens » typiques des machines électorales bourgeoises : en octobre 2005, Prodi fut désigné leader officiel de la coalition contre Bertinotti qui lui fit allégeance.
Vint l’élection de 2006, gagnée de justesse par l’Unione et aboutissant à un nouveau gouvernement dirigé par Prodi. On a vu que la politique suivie par celui-ci ne fut guère différente guère de celle suivie en 1996. En fait,elle se situait dans la continuité de celle menée par Berlusconi.
Les choses étaient d’ailleurs claires dès le départ, puisque le programme de gouvernement de Prodi prévoyait de baisser immédiatement la fiscalité sur le travail de 5%. Pourtant, Bertinotti, ne mégota pas sur son enthousiasme, caractérisant ce document comme :
« un programme réussi au-delà des prévisions les plus optimistes »x
A la suite de quoi le secrétaire du PRC fut fait président de la Chambre des Députés. Et durant les mois qui suivirent, la direction du PRC colla à Prodi sans faillir. Bertinotti alla jusqu’à déclarer :
« nos soldats au Liban sont la vitrine du pays »xi
Concernant, la réforme sur les retraites, le responsable communiste au Travail, Ziponi, parla d’un accord « obligé »xii. On pourrait multiplier les exemples.
L’utlime cabriole de la direction de Refondation Communiste fut la constitution de la coalition « Arc-en-ciel ».
Initialement déclenchée par la recherche de jonction avec le courant du PDS qui refusait sa destruction, la Gauche Démocratique (Sinistra Democratica), cette coalition se constitua autour du PRC avec le PdCI, les verts et SD. Au-delà de la rodomontade (« contester l’hégémonie au Parti Démocrate » - sans blagues !), l’acte de naissance de ce regroupement était le soutien au gouvernement Prodi.
Très rapidement Bertinotti commença à prendre se rêves pour des réalités. Ainsi, les militants communistes virent leurs appréhensions confirmés. Ils iraient à la bataille électorale sans les symboles du parti (marteau et faucilles, drapeaux rouges…). Ces « vieilleries » seraient remplacées par un arc-en-ciel …
N. Vendola, président PRC de la région des Pouilles, servit aux militants qui regimbaient la réponse convenue lors d’un interview prévisible :
« Pour moi, un communiste ne peut être un fétichiste du communisme, ni quelqu’un qui aurait des obsessions de gardien de musée. Le passé doit faire l’objet d’une analyse critique, et le communisme n’est pas un projet de répétition. »
Mais au détour d’une phrase, son projet politique apparait sans détours :
« J’ai par ailleurs de bonnes relations avec le monde de l’entreprise et avec l’Eglise catholique. »xiii
Puis la fusion des composantes de la coalition fut envisagée. Dans ce cadre, pour Bertinotti, le communisme deviendrait une « composante culturelle », bref une vieillerie décorative.
Visiblement, la défense de cette orientation rencontra plus que des résistances. Ainsi un appel de 125 militants de Florence (décembre 2007) se prononce pour « la pleine autonomie » du Parti dans un texte qui explique auparavant que :
« Pour l’essentiel, notre gouvernement a paru et paraît davantage soumis aux puissants (Confindustria, Etats-Unis, Union européenne, Vatican) qu’attentif aux mouvements de lutte et aux intérêts populaires.
De là une crise dans la coalition qui profite dangereusement à la droite fasciste, raciste, à la Ligue du Nord et qui nourrit le résignation et la crise de la politique elle-même. Ainsi, le bilan de plus d’une année de participation au gouvernement est globalement négatif. Puisque pour nous, à la différence d’autres, le gouvernement est un moyen et non une fin en soi, nous estimons que la participation du PRC à cet exécutif ne peut qu’être subordonnée à l’obtention, maintenant et dans les prochains mois, d’un tournant réel dans les contenus de la politique du gouvernement, à partir d’objectifs et de mesures définis précisément. »
Sans aller explicitement jusqu’au bout, ce texte indiquait bien les processus à l’œuvre. Le temps aura manqué pour qu’il ne se concrétise.
En février 2008, suite au retournement d’un groupuscule bourgeois, le gouvernement Prodi sautait. De nouvelles élections étaient alors convoquées.
Dans la foulée, Veltroni et le PD annonçaient leur décision de refuser toute alliance avec la « gauche radicale ». Leur objectif était de favoriser l’émergence d’une majorité permettant d’accoucher d’une réforme électorale permettant d’assurer une réelle stabilité politique en Italie.
Pour le PRC, cette élection était lourde de dangers. En effet, vu le cours suivi par le parti face à Prodi, on pouvait se douter que nombre d’électeurs communistes iraient voter « utile » (donc PD), d’autres se dispersant sur telle ou telle liste et enfin d’autres s’abstenant. C’est exactement ce qui se déroula mais avec une ampleur encore pire que ce qui était redouté.
Avec moins de 4% des voix, l’Arc-en-Ciel est pulvérisé. Le PRC voit sa représentation parlementaire démantelée suite à une division par plus de 2 du nombre de ses électeurs !
| 1996 | 2001 | 2006 | 2008 |
PRC | 3 213 846 | 1 868 113 | 2 229 604 |
|
PdCI |
| 619 912 | 884 912 |
|
PCL |
|
|
| 208 394 |
Sinistra Critica |
|
|
| 167 673 |
Arc en Ciel |
|
|
| 1 124 418 |
Total communistes | 3 213 846 | 2 488 025 | 3 114 516 | 1 500 485 |
L’évènement est fondamental : dans un des pays qui fut le berceau du mouvement ouvrier, celui-ci est renvoyé sur la banc de touche.
Ne disposant plus de parti apte à représenter une alternative gouvernementale, même imparfaite, le mouvement ouvrier italien est marginalisé, réduit à la lutte pour la défense des conditions d’existence élémentaires des travailleurs de ce pays. Sa situation est d’autant plus difficile que les syndicats ont subi une évolution comparable à celle des partis du mouvement ouvrier.
Ajoutons que les processus décrits plus haut ne peuvent qu’avoir eu de profondes répercussions sur la conscience même du prolétariat.
La tâche de l’heure, en Italie, est donc de reconstruire ce qui peut l’être, en s’appuyant sur l’expérience du PRC. Celle-ci montre qu’il ne peut exister de parti ouvrier solide que s’il refuse le capitalisme et ses exigences, s’il se déclare partisan de l’abolition de l’économie de profit, du socialisme. Il n’existera durablement de parti ouvrier que s’il est viscéralement anti-système, tant il est vrai que les discours réformistes ne sont plus que des bavardages creux menant à l’auto-liquidation.
Un dernier point. On sait que l’analyse de la nature du PS et donc de la politique à suivre vis-à-vis de celui-ci est un débat quasi-permanent au sein du mouvement ouvrier.
De ce point de vue, ce qui se prépare au sein du PS français est essentiel. Or, on sait qu’en France, la politique D’Alema-Veltroni a trouvé d’ardents défenseurs. Ils se concentrent bien sûr autour de S. Royal et ceux qui ont soutenu sa campagne, bref l’aile « moderniste » (tu parles !) du PS. Récemment encore, S. Royal faisait part à la presse de son enthousiasme à propos de la politique de Veltroni :
« Ce qui se passe en Italie montre bien que des recompositions sont nécessaires. L’alliance, contre la droite, entre un parti issu du parti communiste et un parti du centre, d’inspiration chrétienne, est très intéressante. Il y aura forcément, en France aussi, des recompositions entre centre et PS. Et ce ne sera pas en laissant de côté les militants venus de l’extrême gauche ou du PC. »i
Tout le monde peut désormais comprendre où tout ceci mène, et gageons que les positions des partisans de Royal vont encore reculer tant l’expérience italienne fait office de repoussoir. En tout cas, chacun pourra mesurer combien nous étions fondés à parler de liquidationnisme à propos de la ligne Royal.
Pascal Morsu
30 avril 2008
iLibération , 22 octobre 2008.
1Malheureusement, cet accord semble avoir été soutenu par le groupe Bandiera Rossa, devenu ensuite Sinistra Critica.
iL’Express, 5 avril 2008.
iiLe Point, 10/04/2008.
iiiLe Monde, 7 avril 2008.
ivEl Pais, mars 2007.
vEn janvier 2005, le PRC revendiquait 97 5000 ahérents,
viRegroupment, reorganization and the revolutionnary left, 2002.
viiLiberazione, cité in Inprecor n° 475-476.
viiiVI° congrès du PRC, Thèse § 11.
ixL’Humanité, 04/03/2005,