LES ETATS-UNIS ET LA CHINE
(Deuxième partie de l’article de Peter Franssen)
Le monde se tourne contre l’Amérique
Robert Zoellick, Hank Paulson et John Ikenberry ne croient pas qu’en ce moment la Chine soit « une coparticipante qui se comporte de façon responsable ». Mais ils sont toutefois convaincus qu’il n’y a pas d’autre alternative que d’essayer de pousser la Chine sur cette voie.
Aujourd’hui, la situation, disent-ils, est différente de ce qu’elle était dans les années 90, lorsque l’Union soviétique avait éclaté et que le PNAC avait été créé. Les Américains sont dans une impasse en Afghanistan.
Voilà sept ans qu’ils y font la guerre, sans la moindre perspective de victoire. En Irak, la situation n’offre pas la moindre perspective non plus. Les États-Unis injectent sans succès des centaines de milliards de dollars dans une guerre qu’on a justifiée par une série de mensonges à propos d’armes de destruction massive. La guerre a balayé Saddam Hussein, mais bien plus encore l’autorité morale des États-Unis dans le monde. Le Financial Times écrit :
« L’érosion de l’autorité morale des Américains a commencé avec la guerre en Irak. Depuis lors, cette érosion n’a cessé de gagner du terrain. »
De même, dans son livre, The Post-American World, Fareed Zakaria, qui est également le rédacteur en chef de Newsweek, décrit comment l’antipathie éprouvée dans le monde envers les États-Unis n’a jamais été aussi forte.
Durant les 45 années de la guerre froide, l’antiaméricanisme était une affaire de gauche et de militantisme traditionnel, mais il restait toujours néanmoins un centre et une droite qui étaient anticommunistes et, de ce fait, proaméricains.
Aujourd’hui, toutefois, l’aversion à l ‘égard des États-Unis est générale. Même pendant la guerre du Vietnam ou durant les années 80, lorsqu’il avait été décidé d’installer des missiles nucléaires Pershing en territoire européen, les sentiments antiaméricains en Europe n’avaient jamais été aussi forts qu’aujourd’hui. D’ailleurs, cela ne vaut pas que pour l’Europe, mais pour l’ensemble de la planète aussi. Lorsque le président vénézuélien Hugo Chávez monte à la tribune des Nations unies, un jour après que Bush y est monté, il peut dire : « Cela pue encore le soufre, ici ! » Dans la salle, les représentants du tiers monde accueillent la phrase avec rires et ricanements. Chávez bénéficie de la sympathie du tiers monde quand il déculotte en plein public le président américain, le propre envoyé de Dieu ! Au diable la recette de Washington L’Amérique latine, l’Afrique et l’Asie en ont soupé, du concept de Washington.
C’est la recette du Fonds monétaire international : dérégulation, démantèlement du secteur social, diminution des salaires et des allocations sociales, liberté maximale et impôts minimaux pour les entreprises occidentales.
Cette recette n’a amené aucune amélioration à la situation économique de ces pays. C’est l’inverse, qui s’est produit : l’Argentine a presque connu la faillite et, dans plusieurs pays asiatiques, une crise dévastatrice a éclaté en 1997.
Face au concept de Washington, s’est développé dans le tiers monde un consensus vis-à-vis de Beijing (Pékin), une approbation générale de ce qui se passe en Chine.
Ce que la Chine réalise sur le plan international.
La Chine a tiré un demi-milliard d’humains de la pauvreté ; elle a construit annuellement de l’espace urbain pour 20 millions de personnes et sans bidonvilles ; elle a réalisé des chiffres de croissance industrielle de 20 à 25 pour cent par an. La Chine a également conclu avec des dizaines de pays du tiers monde des contrats commerciaux qui se sont avérés bien plus efficaces et qui rapportent aux pays concernés bien davantage que les contrats signés avec les États-Unis et l’Europe occidentale. En novembre 2006, pas moins de 48 chefs d’État et chefs de gouvernement africains se réunissaient, à Beijing, pour le plus important sommet africain ayant jamais eu lieu hors de l’Afrique.
La Chine y promettait de doubler l’aide au développement en Afrique dans les deux ans, de libérer immédiatement 5 milliards de dollars pour des prêts et des crédits, de placer 5 autres milliards dans un fonds destiné à des investissements en Afrique, de déclarer les pays africains quittes du gros de leur dette, de permettre un accès plus facile du marché chinois aux produits africains, de former 15.000 enseignants, médecins et ingénieurs africains et de construire de nouveaux hôpitaux et établissements d’enseignements sur le continent africain. A l’issue de la conférence, Meles Zenawi, le Premier ministre de l’Éthiopie, déclarait : « La Chine est une source d’inspiration pour nous tous. »
Un an plus tard, après la signature d’un gigantesque accord entre Kinshasa et Beijing, le président congolais Joseph Kabila disait :
« Les banques chinoises sont disposées à financer nos infrastructures de l’eau, de l’électricité, de l’enseignement, des soins de santé et des transports. Pour la première fois dans l’histoire, les Congolais vont se rendre compte vraiment à quoi peuvent servir le cuivre, le cobalt et le nickel. »
Abdoulaye Wade, le président du Sénégal, confirme :
« La façon dont la Chine approche nos problèmes nous convient mieux que l’attitude tout en lenteur et souvent paternaliste et néocoloniale des investisseurs, organisations donatrices et autres organisations non gouvernementales de l’Europe. Le modèle chinois de développement économique rapide est une école d’apprentissage, pour l’Afrique. »
La crise financière accélère l’évolution
Ainsi, ces cinq dernières années, la Chine a-t-elle été de plus en plus aux premières loges, sur le plan international. De ce fait, la tactique de Robert Zoellick et consorts visant à faire de ce pays un coparticipant responsable n’a cessé de gagner des partisans, aux États-Unis.
Maintenant que le monde politique et les milieux des affaires des États-Unis regardent avec effroi et désespoir les tableaux des cours de Wall Street, c’est encore davantage le cas. Le 1er octobre dernier, la Chine avait une réserve de 1.900 milliards de dollars en devises étrangères. La majeure partie, 1.300 milliards, était constituée de dollars. (Ce sont d’ailleurs ces réserves qui, en grande partie, protègent la Chine contre la crise qui sévit en Occident.) Cette masse d’argent viendrait bien à point pour aider les autorités américaines et ouest-européennes via des injections de centaines de milliards de dollars dans le système financier.
Le 9 octobre, le chroniqueur Philip Stephens écrivait dans le Financial Times :
« L’actuelle crise financière annonce le début d’un nouvel ordre politique mondial. Durant deux siècles, les États-Unis et l’Europe occidentale ont pu dominer sur le plan économique, politique et culturel. Ce temps est révolu. » Philip Stephens répétait ainsi ce que le Frankfurter Allgemeine Zeitung écrivait un peu plus tôt cette année :
« Alors que l’Occident glisse de plus en plus vers une récession, les communistes de Beijing volent de succès en succès. La Chine pourrait-elle sauver le monde ? »
Dans les années 90, Francis Fukuyama devint célèbre lorsqu’il déclara, après l’effondrement de l’Union soviétique, que « l’histoire était arrivée à sa fin » car : « Il est prouvé maintenant qu’aucun autre système de société n’est aussi bon que le libre marché dont les États-Unis sont les champions. »
Mais, aujourd’hui, Fukuyama, qui était également présent lors du lancement du PNAC, dit ceci :
« Les États-Unis ont perdu leur hégémonie. Dans de nombreuses parties du monde, les idées américaines, leur bon conseil et même leur aide ne sont plus les bienvenues. »
John Ikenberry fait le même constat : « La période unipolaire des États-Unis est arrivée à son terme. »
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