(Troisième partie de l’article de Peter Franssen)
Qu’attendent les Américains de la Chine ?
Maintenant que l’unipolarité américaine est révolue, une autre approche des États-Unis est nécessaire afin de sauver leur position de leader mondial. D’où le concept de « coparticipant – ou acteur – responsable ». Qu’attendent les Américains de la Chine ?
En bref, ceci : les États-Unis veulent que la Chine s’intègre dans les organisations et les règles du jeu qui déterminent l’ordre international actuel. Cela se concrétise sur de nombreux terrains. L’un des terrains les plus importants est celui du commerce international. Fred Bergsten décrit dans son ouvrage China’s Rise : Challenges and Opportunities (« La montée de la Chine : défis et opportunités ») à quel point les Américains sont irrités au-delà de toute proportion de voir que, dans les négociations pour la poursuite de la libéralisation du marché mondial, la Chine se joint à d’autres pays du tiers monde comme le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Inde. C’est ce qui a mené, prétendent les Américains, à l’échec du sommet de Doha, lors de ces négociations.
Un « coparticipant responsable » ne constitue pas de fronts unis pour pousser d’autres pays (en l’occurrence les États-Unis et l’Union européenne) au pied du mur, ajoute Bergsten. La même critique est formulée à propos de l’attitude de la Chine en Asie, le continent le plus important de la planète. Fred Bergsten :
« La Chine fait du tort au commerce international en œuvrant à la mise en place d’un bloc commercial asiatique. Le réseau des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux comprend aujourd’hui la quasi-totalité des pays asiatiques. Et ce, dans l’intention de créer dans les dix années à venir une zone libre-échangiste est-asiatique sous la direction de la Chine. C’est une menace pour les accords existants et pour la collaboration multilatérale. »
« On dirait (dit le vice-ministre américain Thomas Christensen), que les Chinois ont l’intention de fonder une sorte de Fonds monétaire asiatique qui menacerait le rôle – déjà en net déclin actuellement – du Fonds monétaire international ».
« Et la Chine doit également cesser de traiter sa monnaie autrement qu’on ne peut s’y attendre de la part de pays importants. L’attitude de la Chine en la matière frise la provocation. Le pays refuse toujours aujourd’hui le libre change de sa monnaie. L’attitude de la Chine est une grave infraction aux règles et normes définies par le FMI » disent les Américains, qui ajoutent :.
« Sur le plan de son approvisionnement en énergie, la Chine doit cesser – si elle souhaite devenir une « coparticipante responsable » - de conclure des accords particuliers avec des producteurs de pétrole et de gaz naturel comme l’Iran, le Soudan, l’Angola. Elle doit au contraire garantir la sécurité mondiale de l’approvisionnement en énergie. La Chine doit renoncer à soutenir des régimes comme la Corée du Nord, l’Iran, le Myanmar, la Syrie, le Liban et le Soudan. La Chine est aujourd’hui le plus important donateur sur le plan de l’aide au développement extérieur. C’est très bien mais, en même temps, elle représente une menace pour les règles en matière d’aide internationale, car elle refuse de poser des conditions à son aide comme l’a fait la communauté internationale ces 25 dernières années », surenchérissent les Américains.
Dans son propre pays, la Chine a encore beaucoup de pain sur la planche si elle veut devenir un « coparticipant responsable ». Elle doit tolérer davantage de démocratie, s’améliorer sur les plans des droits de l’homme et accorder la liberté religieuse. Elle doit donner une idée plus claire du financement de son appareil militaire et cesser d’étoffer de plus en plus ce même appareil. Et, par-dessus tout, elle doit mettre définitivement un terme au rôle dirigeant de son Parti communiste. Robert Zoellick le disait déjà en 2005 :
« La Chine a besoin d’une transition politique pacifique. »
Et le ministre Hank Paulson de déclarer :
« Le plus grand danger pour nous n’est pas tellement que l’économie chinoise dépasse la nôtre. Le plus grand danger, c’est que la Chine ne se hâte pas à appliquer les réformes politiques qui sont nécessaires. »
Et le vice-ministre Thomas Christensen y va également de son couplet :
« Au fur et à mesure que la Chine s’approchera du niveau des autres puissances mondiales, ses dirigeants et son peuple apprendront que les pays prospères et stables sont tous des démocraties libérales. »
Le Financial Times résume comme suit le concept de « coparticipant responsable » :
« Les États-Unis veulent que la Chine soit absorbée dans les institutions et forums internationaux. Ils veulent qu’elle n’ait pas la possibilité de défier les normes et standards existants. »
John Ikenberry le dit en ces termes :
« Si un pays veut devenir une puissance mondiale, il n’a pas d’autre choix que de se joindre à l’Organisation mondiale du commerce. La voie vers le pouvoir au niveau mondial passe effectivement par l’ordre occidental et par ses institutions économiques multilatérales. »
L’objectif, de la sorte, est formulé : le concept de « coparticipation responsable » veut se servir de la Chine afin de renforcer l’ordre international existant, un ordre placé sous la direction des États-Unis et qui fonctionne selon les règles énoncées par les États-Unis et l’Europe. Comme l’écrit le vice-ministre Thomas Christensen :
« La Chine ne peut réussir que si elle contribue à la bonne marche du système mondial, auquel elle doit tant. Je pense que la Chine se rend compte et se rendra compte de plus en plus que, plus elle deviendra une composante du système mondial, plus ses intérêts coïncideront avec ceux des autres acteurs, tels les Etats-Unis. »
Des propos en l’air ?
L’Amérique promet à la Chine que, si elle accepte le concept de « coparticipation responsable », elle évoluera du statut de membre de la communauté internationale à celui d’une grande puissance qui aura son mot à dire dans la direction du monde. La Banque mondiale et le FMI sont deux organisations sous le contrôle de l’Union européenne et des États-Unis. L’Union européenne peut désigner 10 des 24 membres du Conseil d’administration. Les États-Unis ont 17 pour cent des voix, au sein du FMI, alors que la Chine en a moins que le Benelux.
La Chine est le principal facteur dans la croissance de l’économie mondiale. Grâce à elle, le chômage en Orient et en Occident n’est pas plus massif qu’il ne l’est aujourd’hui. Et pourtant la Chine ne fait pas partie du G7, le club des pays qui entendent diriger l’économie mondiale. La Chine est le principal et le plus grand pays de l’Asie et des régions baignées par l’océan Pacifique. Pourtant, elle n’a toujours rien à dire dans toutes sortes d’accords militaires qui prétendent vouloir garantir la paix et la tranquillité de la zone. Sur tous ces terrains, le rôle de la Chine sera réévalué. Les États-Unis acceptent la Chine et lui confèrent la place d’une grande puissance au sein de l’ordre international existant. Là, elle pourra compter sur le soutien des États-Unis et de l’Union européenne, dans les questions qui sont spécifiquement d’intérêt chinois. Les Chinois ont accepté avec gratitude ce concept de « coparticipation responsable » parce qu’il signifie la fin du concept de « rivalité stratégique ». Zhu Feng, de l’Institut de recherche des Relations internationales de l’université de Beijing, dit :
« La collaboration renforce toujours la relation gagnant-gagnant. La confrontation renforce le contraire, c’est-à-dire perdant-perdant. »
La nouvelle conception donne à la Chine plus d’espace pour poursuivre son développement économique et social et pour continuer à nouer des liens avec ses voisins asiatiques, les grands pays et le tiers monde. En même temps, les Chinois se rendent compte que les Américains changent de politique afin de pouvoir garder leur propre rôle et ne pas modifier le caractère des relations économiques Nord-Sud. Wang Yiwei, de la section des Études internationales de l’université de Fudan, a déclaré :
« Le concept de ‘coparticipation responsable’, c’est comme une longue ligne de pêche avec laquelle on veut attraper un gros poisson. Ce gros poisson, c’est le rapport à la Chine dans le cadre de l’ordre international dirigée par les États-Unis. »
De son côté, Ruan Zongze, de l’Institut chinois des Études internationales écrit dans le quotidien du Parti communiste :
« Le concept montre clairement que Washington ne veut toujours pas renoncer à ses efforts en vue de faire valoir partout dans le monde sa propre conception de la démocratie. En quel sens s’agit-il alors d’un changement fondamental de la politique étrangère américaine ? Peut-être ne sont-ce après tout que des mots dans le vent, comme Bob Dylan l’a chanté jadis… »