Le Monde, daté du 4 février, donne la parole à Lilian Thuram, l'ancien championdu ballon rond, au sujet de la grève générale en Guadeloupe.
Nous en publions des extraits.
QUE VOUS INSPIRE CETTE GREVE ?
Concernant les revendications sur 'la vie chère', elles me semblent dautant plus légitimes qu'elles sont justifiées par l'Etat lui-même : lorsqu'un fonctionnaire est muté de métropole aux Antilles, il touche en effet une 'prime de vie chère' qui augmente son salaire de 40%.
C'est bien la preuve que le coût de la vie est exorbitant là-bas.
CE MOUVEMENT NE VA-T-IL PAS AU-DELA DE LA SINGULARITE ANTILLAISE ?
Si, bien sûr. Il s'inscrit dans la continuité de la crise qui commencé aux Etats-Unis et qui se répand en Europe et dans d'autres régions du monde. Il s'agit d'un mouvement d'ensemble dont la caractéristique est qu'il touche de plein fouet ceux qui ont le moins d'argent. Or la précarité gagne du terrain dans nos sociétés depuis des années. Notre pays n'arrive plus à satisfaire ce qui ce qui est de l'ordre du dû : des gens meurent de froid en France; d'autres dorment dans leur voiture alors qu'ils ont un emploi ; et jamais les Restos du coeur n'ont servi autant de repas. Allons-nous vers une société qui est capable de penser aux plus faibles ? Telle est la question que se posent les Français aujourd'hui, et notemment les Guadeloupéens. On peut d'ailleurs se demander si ce mouvement n'est pas avant-coureur de ce qui pourrait se passer sur le continent.
QUE VOULEZ-VOUS DIRE ?
Une situation comparable à celle qui bloque l'île auourd'hui peut parfaitement se mettre en place sur le continent. La Guadeloupe est souvent en avance sur la métropole en matière de conflit social. Si je vous demande ce que vous inspire "mai 67", vous allez me répondre que je me trompe d'une année ou que je ne connais pas l'histoire de France.
Peu de gens se souviennent de mai 67 en Guadeloupe : trois jours d'émeute, réprimée par les forces de l'ordre, 87 morts parce que les ouvriers réclamaient une augmentation salariale. Dans les manifestations se trouvaient également des étudiant : cela ne vous rappelle rien ?
On aurait tort de minimiser la grève générale qui se déroule actuellement en Guadeloupe ou de penser qu'elle n'est le fait que d'une seule organisation indépendantiste. Tous les syndicats sont derrière.. Exactement comme en Fance, le jeudi 29 janvier.
CETTE CRISE GUADELOUPEENNE NE REVELE-T-ELLE PAS TOUTEFOIS UN MALAISE PLUS PROFOND AU SEIN DE LA SOCIETE ANTILLAISE ?
Si. Quand on regarde la situation économique de l'île, on se rend compte que la majorité des richesses est détenue par les "békés" (les descendants des esclavagistes), lesquels, blancs, représentent moins de 1% de la population. Ce sont eux qui possèdent la majorité des terres, les supermarchés, les sociétés pétrolières, et qui fixent les prix partout aujourd'hui.
Ils détiennent 90% de l'économie guadeloupéenne. Imaginez le ressenti de la population noire à 90%, et donc descndant des esclaves, qui subit l'hégémonie des enfants de ceux qui les fouettaient, il y a encore cent soixante ans !Si on ajoute que les patrons des grandes entreprises, le préfet, les grands décidurs de l'île sont presque tous blancs, dans un territoire dont l'histoire est profondément marquée par l'esclavagisme, cette sous-représentation peut créer des malentendus et un grand sentiment d'injustice.
Les Guadeloupéens montrent le chemin.
En France aussi, une minorité - 100 familles, les politiciens à leur service et leurs médias zélés- impose sa loi, celle de l'argent et du profit, à la majorité de la population. Celle-ci passe du mécontentement à la colère. Il faut que cette colère s'exprime, haut et fort.
Comme à Pointe-à Pître !