Notre Prince tenait à délivrer un message royal au bon peuple. A cette fin, son choix s’est porté, pour cause de magnificence, dans ce lieu royal par excellence, Versailles et son château. La salle du Jeu de Paume (avec son Serment), avait mauvaise réputation, depuis 220 ans, dans la noblesse d'or et d'argent. Les basses classes et les faubourgs, quartiers sensibles, n’étaient, naturellement, point invités. Pas la moindre trace de roture en cette circonstance. Seule la Cour et ses courtisans, les barons et les petits marquis, la noblesse de robe, et, bien sûr, les agioteurs, étaient conviés à entendre les divines paroles du souverain. Cette journée de juin s’annonçait belle, grandiose, même. Mais en ces temps difficiles, alors que les manouvriers s’agitent, que la populace murmure, le guet, la garde suisse, flanquée du Royal-Allemand, suffiraient-ils à maintenir la décence et l’ordre ?
Par précaution, le « cabinet noir » avait suggéré de substituer à la personne de notre Prince, un habile batteur d’estrade, le célèbre Baratintin de Matuvu, expert en magie et illusions de toutes sortes. Cette offre, faite à l’intéressé, fut acceptée avec une infinie reconnaissance. Ce « show » serait pour lui l’accomplissement de ses vœux intimes les plus profonds : tenir, ne fusse que quelques heures, la place du souverain, quel artiste n’a-t-il pas désiré ce rôle superbe ?
Baratin de Matuvu traversait justement une passe difficile. Sa tournée européenne s’était terminée, devant des salles vides, par un échec retentissant. Comment, dans ces conditions, refuser Versailles et le rôle du Prince ?
Il fallait donc réussir l’aventure et donner une représentation qui ferait date dans les annales du théâtre. Notre Matuvu se souvint, à point nommé, d’un spectacle des temps anciens de lanterne magique, nommé « La Soupe au Canard ». Notre siècle, féru de gazettes, y verrait peut-être une allusion aux activités courtisanes des écrivaillons d’aujourd’hui…
Cette « Soupe au canard », jouée par les frères Marx, nous contait les aventures d’un quidam , parvenu à la plus haute marche du pouvoir suprême. Un jour, s’adressant à la foule, de plus en plus enthousiaste, le Chef égrenait son programme social : celui-ci promettait une baisse drastique des salaires, des sacrifices de plus en plus lourds pour les plus malchanceux, la fermeture des hospices, devenus trop coûteux, les galères pour la canaille, le doublement des privilèges en faveur de l’élite dorée. Et le public d’applaudir de plus en plus frénétiquement à chaque mesure entendue.
Quoi de plus adapté à a situation d’aujourd’hui ?
Baratintin de Matuvu, déguisé en Prince-président – l’artiste connaissait bien son métier – teint aux courtisans rassemblés à Versailles, un discours, digne de son modèle. Ce fut l’enthousiasme. L’auditoire, tout aux paroles, n’y voyait goutte, quant au subterfuge. Certes, quelques députés firent mine d’être requis par d’autres devoirs dans la capitale, et s’esquivèrent, dès la fin du discours. Les autres se trémoussaient sur leurs chaises dorées et en demandaient encore.
Ce jour-là, séjournant à quelques pas du château, à la Lanterne – notre Prince n’était pas superstitieux - trouva le discours bon, et notre histrion fut récompensé comme il se doit.
Le « discours de Versailles » fut intégralement reproduit par les gazettes.
Le peuple s’apprêtait à danser.
Nous étions à quelques jours du 14 juillet.
On connaît la suite.
Bertrand Delanoë, dans Le Monde, 26 Août 2008.
en tire sa morale...
"La gauche française a trop longtemps raisonné ainsi : la révolution de 1848 se voulait la reproduction de 1789, la Commune était conçue comme la dernière secousse de 1848, le Front populaire était la victoire posthume des communards, etc. Aujourd'hui, c'est fini : après François Furet, nous proclamons que "la Révolution française est terminée"".
ibid., De l'Audace!, p.25.