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9 mai – Victoire, quelle Victoire ?

« J’ai honte pour la Patrie »

 

par Jean-Marie Chauvier

 

 

« Le Jour de la Victoire est pour nous une fête familiale », écrit Natalia Oss, journaliste. (Izvestia 6 mai 2011) Pour eux, pour beaucoup en ce pays où la  « grande » et les « petites » histoires se sont confondues en ces temps où pas une famille ne fut épargnée.

Son propre grand père est allé jusqu’à Berlin. En passant par Koursk, le Dniepr, Kiev, Prague, Varsovie, Budapest et jusqu’au Reichstag. Lieux de batailles acharnées et impitoyables avec la Wehrmacht et les SS, leurs armées alliées et leurs auxiliaires fascistes locaux.

 

Sa grand’ mère fit le même chemin. Ils aimaient se réunir le 9 mai à Moscou sur la place devant le Théâtre Bolchoï. Là où convergeaient, de tous les coins du pays, les survivants de cette épopée tragique. En chansons et sous les vivats d’une foule d’enfants et de jeunes aux bras chargés de fleurs. Natalia Oss a compris pourquoi il avait tant besoin de ces enfants, de ces fleurs, de ces compliments. Mais, comme la plupart des vétérans tant vénérés par le peuple et portés aux nues par la propagande d’un état qui tirait légitimité de leur combat, les héros d’hier ne touchent que de misérables retraites.

 

Que valent-ils au regard des fortunes amassées par les oligarques ?

« Je n’ai besoin de rien, disait-il, j’ai tout ce qu’il me faut, mais j’ai honte pour la Patrie ». La « honte », un thème fréquemment entendu en Russie ces derniers temps, où l’on mesure, malgré les progrès matériels récents, la profondeur de la dégradation sociale et humaine.

 « L’amour de ses filles et fils, de ses petits enfants, ne lui suffisait pas. La génération des vétérans a une relation personnelle avec le pays tout entier. ça ? Mais cette guerre, ils savent qu’ils l’ont perdue ».

 

N’empêche, ce 9 mai, comme chaque année, les dirigeants, les militaires vont parader sur la Place Rouge non sans « compromis sur les symboles », nationaux tricolores et rouges soviétiques.

 

Et en marge, dans les rues, défileront des vétérans (il en reste peu !) et leurs sympathisants, les communistes dont certains exhiberont les portraits du« commandant en chef » Joseph Staline, que les caméras des télévisions occidentales guetteront avec impatience, afin de suggérer que la nouvelle « déstalinisation » promise par le président Dmitri Medvedev n’est guère avancée.

 

Il est vrai que cette fête du 9 mai reste la plus populaire, le seul moment où les Russes paraissent encore « rassemblés », en communion avec les Ukrainiens, les Biélorusses et d’autres peuples de l’ancienne URSS, dans la mémoire d’une épreuve commune passée.

 Mais quel rapport entre les fêtes de famille, les rassemblements du souvenir, les parades officielles ?

 

Ce que fut cette guerre terrible, non seulement les statistiques en parlent (26 à 27 millions de vies humaines), mais la littérature, le cinéma, la chanson, les témoignages en leurs vagues successives.

Et les « révélations » qui n’en finissent pas. Les controverses sans cesse renouvelées. Autour du sort, par exemple, des cinq millions de prisonniers de guerre tombés aux mains des nazis et dont 3,5 millions furent exterminés.

Autour du rôle de Staline dont on redira que la Victoire fut obtenue « malgré » ou « grâce à » lui.

On se souviendra aussi que c’est en juin 1941, lors de l’invasion de l’URSS, que commença « la Shoah par balles », première étape du judéocide qui, rien que dans les territoires soviétiques occupés, fit 1,5 millions de victimes.

L’évocation des malheurs et des victimes n’empêchera que, conformément à la tradition soviétique toujours vivace, l’accent soit mis sur les valeurs du combat, de la résistance à l’occupant, de la « Victoire sur le fascisme ».

 

Les célébrations officielles participent, elles, d’une instrumentalisation politique de l’histoire somme toute très ordinaire. On peut la comparer au destin de la « Shoah », la catastrophe qu’ont vécue les Juifs d’Europe et l’instrumentalisation qu’en fait l’état d’Israël.

La « Grande Guerre Patriotique » de l’URSS suit un parcours semblable : de la tragédie, de l’héroïsme réel de la résistance soviétique à l’agression nazie, à la mythologie et à la mise en scène destinées à promouvoir des politiques.

Hier, celle des dirigeants de l’Union soviétique.

Aujourd’hui, celle des dirigeants russes (ou ukrainiens, ou autres) se parant du halo de lumière du combat d’autrefois et se défendant contre ceux qui, à l’Ouest, sur les rives de la Baltique et aux confins galiciens, s’efforcent de jeter le discrédit sur une « Victoire » qui les surpris… ou terrassés et qui n’en finit pas de leur porter ombrage.

 

Jean-Marie Chauvier

9 mai 2011

 

 

Tag(s) : #Histoire
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