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ou comment rayer ce qui dérange de l’histoire,

par Caroline Andréani


A propos du film de Philippe Rostan diffusé sur France Ô

Dimanche 11 juillet passait du France Ô un film intitulé « Les Trois guerres de Madeleine Riffaud ». Comme toute militante communiste passionnée d’histoire, je me suis donc précipitée pour regarder ce qui était présenté partout, de L’Humanité à Télérama, comme un très bon documentaire.
 

Tout de suite, j’ai été un peu mal à l’aise dans le traitement de la « première guerre ».
 

Le metteur en scène nous fait passer par la première guerre mondiale. Pourquoi pas : la génération des parents de Madeleine Riffaud, comme elle le dit elle-même, a été profondément marquée par cette guerre meurtrière. De là, saut de puce sur l’exode et l’épisode en zone occupée où elle prend un mémorable coup de pied aux fesses d’un officier allemand. Nouveau saut de puce pour aller au massacre d’Oradour-sur-Glane – 10 juin 1944 –qui motive sa décision d’exécuter un officier allemand. Entre les deux épisodes, rien, sauf qu’elle est devenue agent de liaison dans « la résistance ». Dans quel mouvement, cela reste un mystère : il s’agit des Francs Tireurs et Partisans, mouvement de résistance communiste. Le témoignage sur les séances de torture rue des Saussaies est certes bouleversant, mais il n’a aucun intérêt intrinsèque. Tous les hommes et les femmes torturés dans quelque conflit que ce soit font peu ou prou le même.


La jeune femme torturée et condamnée à mort y échappe de manière extraordinaire : ce n’est pas le seul cas, mais bien entendu, cela reste de l’ordre de l’exceptionnel. Puis vient la Libération et le refus de l’armée française de l’incorporer. D’accord. On suit un itinéraire psychologique individuel, qui n’est pas forcément dénué d’intérêt, mais qui reste somme toute secondaire.


Et là, deuxième tour de passe-passe. Le documentaire ne donne pas d’explication, mais elle a la chance de rencontrer Paul Eluard. Tout de même, dans l’après-guerre, Paul Eluard n’est pas n’importe qui. C’est une figure marquante et engagée de la Résistance. Paul Eluard la fait rentrer au journal Ce Soir. Là encore, aucune explication : qu’est-ce que ce journal, qui était son rédacteur en chef, son lectorat ? Rien. Le documentaire se garde de bien de nous faire partager cela. Elle y rencontre Picasso. Pourquoi Picasso, quel est son engagement, dans quel contexte rencontre-t-il cette jeune femme qui certes est résistante, comme des milliers d’autres, et pourquoi fait-il son portrait ? Mystère… Il n’est tout de même pas bien sérieux d’aborder cette période de l’après-guerre, si riche, si foisonnante intellectuellement et politiquement, et de ne pas mettre le doigt sur ce qui est essentiel. Madeleine Riffaud entre dans journal communiste, côtoie des intellectuels communistes ou sympathisants communistes. Mais ça, c’est ce qui ne sera surtout pas dit.


Ensuite, la jeune femme va au Festival mondial de la jeunesse. Là encore, merveilleux tour de passe : c’est histoire d’un festival mondial, qui se tient à Berlin, et où on peut rencontrer des jeunes de partout. Un festival mondial de la jeunesse en 1946, sans contenu politique, sans enjeu international en terme de lutte pour la paix ?

Etonnant.

A entendre le documentaire, ce serait presque les « JMJ ». Et Nazim Hikmet, le grand poète, qui se fait entremetteur entre deux jeunes. Pourquoi pas, mais est-ce vraiment l’anecdote essentielle à relater sur cet épisode ?

Ensuite, nouveau saut de puce : on passe à la répression des troupes coloniales française en Indochine. Evidemment, cela peut se comprendre chronologiquement. Mais n’y a-t-il pas matière à fait la liaison entre d’une part, la Libération de la France du joug nazi, et d’autre part, l’émergence en Indochine d’une volonté populaire d’indépendance suite à la défaite de l’occupant japonais à laquelle les Vietnamiens ont largement contribué ?

La présentation qui est faite d’Hô Chi Minh est confondante. Une sorte de père de substitution, à la fois prévenant et protecteur. Non pas un dirigeant politique de premier plan, un militant communiste internationaliste éprouvé, non pas l’incarnation de la révolution et de la volonté d’indépendance des Vietnamiens. Non, un brave homme, qui protège les amours de Madeleine et du ministre de la culture de l’époque. Mais quelle misère intellectuelle !

A moins que ce soit toujours le même révisionnisme. Quant aux raisons pour lesquelles une journaliste française d’un journal communiste est envoyée en plein conflit, motus et bouche cousue. La lutte contre la guerre en Indochine, ou le mouvement pour la libération d’Henri Martin sont à peine cités, en passant, comme des faits annexes.


Puis on en arrive au tremblement de terre d’Orléansville en 1954. Madeleine Riffaud, transformée pour l’occasion en auxiliaire médicale, décrit la misère des réfugiés d’Orléansville. Envoyée par qui et pour quoi ?

Là, on nous montre des reportages publiés par La Vie Ouvrière. Encore une fois, c’est motus et bouche cousue sur la nature de ce journal. La Vie Ouvrière, ce n’est tout de même pas le Figaro

C’est oublier aussi que toute une campagne de soutien aux Algériens et de sensibilisation en France est alors menée par les parlementaires communistes qui dénoncent sans relâche le traitement infligé aux victimes du tremblement de terre. C’est oublier l’investissement d’associations de solidarité comme le Secours Populaire Français. Car ce n’est pas Madeleine Riffaud qui, avec Vercors, sent que tout un peuple est au bord de l’explosion. Ce sont les militants et les responsables politiques et syndicaux qui savent que l’on est à la veille d’une révolte populaire.

 

En France, les Algériens organisés à la CGT ont été sévèrement réprimés le 14 juillet 1953 parce qu’ils défilaient avec le drapeau algérien : la police a tiré, faisant 6 morts et 40 blessés.

 

En Algérie, les militants syndicaux et politiques communistes savent que la situation coloniale ne continuera pas longtemps comme ça. On n’est donc pas la veille d’une surprise. La surprise, c’est que rien n’ait éclaté plus tôt.
Je ne m’étendrai pas sur le reste du film. Madeleine Riffaud y est présentée pour ce qu’elle est : une femme courageuse, une journaliste qui n’a jamais eu peur de se confronter au danger, bravant y compris les militaires français et les menaces de l’OAS, n’hésitant pas à partir au Viêt-nam après que les Américains aient déclenché leur offensive contre le nord Viêt-nam. Tout cela est à mettre au crédit de cette femme au destin, il est vrai, exceptionnel.

Mais pourquoi avoir tu son engagement politique ? Pourquoi avoir passé délibérément sous silence le fait qu’elle était correspondante de guerre pour des journaux communistes, qui furent notamment pendant la guerre d’Algérie, systématiquement censurés ?


C’est une nouvelle face du révisionnisme : mentir en cachant le faits, réécrire l’histoire pour qu’elle soit politiquement acceptable, dans une période où l’on veut inculquer que le communisme et le fascisme sont les deux faces d’une même médaille.

Au mépris de la vérité.


Il y a quelques années, le cinéaste René Vautier expliquait qu’il croyait que le premier film « Afrique 50 », qu’il avait tourné au début des années 50 et qui dénonçait le colonialisme, avait été totalement détruit. Quelle ne fut pas sa surprise quand il fut contacté 40 ans plus tard par l’armée elle-même, lui expliquant qu’elle avait conservé le film, et qu’elle désirait le diffuser en Afrique pour montrer que tous les Français n’avaient été colonialistes !
J’ai le même sentiment fort désagréable avec ce film. Oui, il y eu des gens courageux, qui ont bravé le colonialisme et l’impérialisme. Mais surtout, ne dites pas qu’ils étaient communistes !

Caroline ANDREANI

TEXTE REPRIS

sur
Réveil Communiste
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