On ne peut pas tout à la fois se prétendre anti-impérialiste et nier, ou tout au moins relativiser l'existence des chambres à gaz et l'importance des génocides des peuples juifs et tsiganes du siècle dernier … En omettant de citer les massacres dans les régions de l'URSS et d'Europe de l'Est, les révisionnistes essaient de prouver ainsi que le nombre de juifs exterminés dans les chambres à gaz ne peut-être celui qu'on affirme, ils arrivent par un tour de passe-passe à faire croire que la shoah ne fut qu'un épisode n'ayant pas l'importance qu'on lui donne. Ils parviennent à semer le doute … Un revisionnisme sournois, pire que le négationnisme, est en train de polluer les esprits et surtout celui des "anti-impérialistes ".
Mais on ne peut pas se prétendre anti-impérialiste et accepter sans sourciller de s'allier avec ceux qui, niant la shoah, nient dans la foulée tout ce dont l'impérialisme est capable.
Dans la foulée de Primo Levi, Jean François Billeter réaffirme que le génocide du peuple juif est la conséquence inéluctable et effroyable d'un impérialisme qui assume sa logique jusqu'à son accomplissement : la solution finale …
Maryvonne Leray
La Shoah par balles
Le texte ci dessous est une longue note extraite du livre "la Chine trois fois muette" de JF Billeter
Il est des moments où il ne s'agit plus d'augmenter les connaissances que l'on a déjà, mais d'exercer son jugement. Le raccourci sert alors à dégager ce que l'on tient pour l'essentiel.
[...]
Devant cette période de l'histoire, il faut en outre surmonter de puissantes résistances pour exercer son jugement.
Tout se ligue en effet depuis un demi-siècle pour nier une vérité qui devrait sauter aux yeux, et que voici : la faute des nazis et de beaucoup d'Allemands n'est pas d'avoir commis des crimes aussi monstrueux qu'inexplicables, mais d'avoir franchi un dernier pas dans l'assujettissement de l'homme à la logique de la révolution industrielle, c'est-à-dire à la raison économique. Ils ont commis la faute de révéler où mène cette raison quand elle est laissée à elle-même.
On les a diabolisés afin que reste cachée cette continuité entre leurs méfaits et l'organisation économique imposée aux sociétés européennes au XIXe et au XXe siècle.
Car de deux choses l'une : soit ils ont agi de façon totalement irrationnelle et ce système économique est hors de cause, soit ils ont été cohérents dans leur folie même et c'est le système qui est la source du mal.
C'est à la première des deux visions que se sont spontanément ralliés, après la guerre, les maîtres de l'économie, les gouvernements, les principaux penseurs et l'opinion du "monde libre", la gauche comprise.
Cette vision s'est maintenue en dépit des témoignages des survivants, des travaux des historiens, des débats que ces travaux ont suscités, de l'apport des philosophes et des écrivains, de quelques grands procès. Il ne pouvait en aller autrement tant que la seconde interprétation n'était pas prise en considération.
Peu de personnes ont été assez lucides et courageuses pour l'admettre, et elles sont restées incomprises ou isolées. Primo Levi a été l'une d'elles. La continuité entre le système économique et les camps de concentration était évidente pour lui : il faut observer les comportements et les relations sociales qui se développent dans les camps, écrit-il, "si nous voulons simplement nous rendre compte de ce qui se passe dans un grand établissement industriel" {Les Naufragés et les rescapés, Paris, Gallimard, 1989, p. 40). Il faut les observer, ajoute-t-il, "si nous voulons connaître l'espèce humaine".
Le refus de la seconde interprétation a des causes intellectuelles, mais aussi morales. Parmi les causes morales, il y a celle que je viens d'évoquer : il faut que les nazis et leurs complices soient coupables, abstraitement et absolument, pour que le système que nous servons et dont nous profitons à des degrés divers soit innocent, et que nous le soyons donc aussi. On m'objectera qu'ils sont coupables absolument puisque c'est un crime absolu d'avoir entrepris la destruction des Juifs. Mais en hypostasiant ce crime ainsi, on le place au-delà de toute explication historique.
Or il n'échappe nullement à une telle explication. Dans le crime commis contre les Juifs aussi, les nazis n'ont fait que franchir un pas qui ne devait pas être franchi. Ils ont poussé jusque dans son ultime conséquence un antisémitisme politique qu'ils n'ont pas inventé. Il leur fallait des victimes qui fussent l'incarnation du mal pour qu'eux-mêmes et leurs complices puissent se croire innocents et par conséquent libres de poursuivre de façon systématique leur entreprise de domination. Drumont et l'Okhrana ont inventé avant eux l'antisémitisme politico-policier, mais ils n'ont pas inventé l'antisémitisme. C'est le christianisme naissant qui a recouru à ce moyen lorsqu'il a commencé à se constituer en puissance organisée.
L'antisémitisme (ou l'antijudaïsme, si l'on préfère), est dès l'origine au cœur de l'identité chrétienne. Sur la façon dont il a été introduit dans la rédaction des Evangiles, surtout dans celui de Jean, et les raisons pour lesquelles cela s'est fait, voir Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, Jésus contre Jésus, récente synthèse des travaux érudits sur la genèse du Nouveau Testament (Paris, Éd. du Seuil, 1999).
Une autre difficulté tient à l'abjection des crimes nazis. Nous n'osons pas les imaginer. Quelque chose en nous refuse cette épreuve. Mais cette résistance est de nature morale, elle aussi, car l'abjection fait peur tant qu'on ne l'a pas reconnue en soi-même - ne serait-ce que sous la forme bénigne des menus reniements, des inconséquences que l'on commet quotidiennement. Elle fait peur tant qu'on ne s'est pas reconnu soi-même comme faillible - non par goût de la faute, mais par sobriété dans le jugement. Primo Levi est remarquable parce qu'il a cette sobriété-là.
Sur le mensonge organisé qu'a été l'antisémitisme du XXe siècle, lire, à titre d'introduction, L'État retors de Michel Bounan (Paris, Allia, 1992). Sur l'imposture des Protocoles des Sages de Sion, voir Henri Rollin, L'Apocalypse de notre temps (1939, réédité chez Allia en 1991).
Jean François Billeter
Chine trois fois muette (p 24-26-27-28-29)
essai sur l'histoire contemporaine de la Chine
suivi de essai sur l'histoire chinoise d'après Spinoza
Edition Allia
Cri du Peuple : http://www.mleray.info/article-negationnisme-et-revisionnisme-sont-l-anti-these-de-l-anti-imperialisme-105095692.html