Baisse de l’impôt de solidarité sur la fortune : qui va y gagner ?
le 24 mai 2011
La baisse des taux de l’impôt sur la fortune (ISF) réduit par quatre l’impôt des plus fortunés pour un coût total de 1,8 milliard d’euros, l’équivalent du financement de 70 000 emplois dans les services publics. Une analyse de Noam Leandri de l’Observatoire des inégalités.
Aujourd’hui : qui paie l’impôt de solidarité sur la fortune ?
L’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est un impôt sur le patrimoine [1]. Il touche les personnes dont la fortune dépasse 800 000 euros, soit près de 600 000 contribuables.
De nombreux biens habituellement considérés comme faisant partie du patrimoine ne sont pas taxés, comme les œuvres d’art ou les biens professionnels. Un abattement de 30 % est appliqué pour la résidence principale : il faut donc que la valeur de cette dernière dépasse 1,14 million [2] pour être imposée à l’ISF.
La moitié des contribuables assujettis à l’ISF ont un patrimoine situé entre 0,8 et 1,3 million d’euros. Du fait de la hausse des prix de l’immobilier, le nombre de redevables a presque triplé en 10 ans. Mais ce n’est pas le seul facteur : les actifs financiers (actions, obligations) ont eux aussi augmenté en dépit de la crise financière [3].
L’ISF est un impôt dit « progressif » : le taux d’imposition augmente avec l’assiette [4] taxée, en l’occurrence le patrimoine. Ainsi, par exemple, un ménage possédant deux millions d’euros ne paiera rien sur les 800 000 premiers euros puis 0,55 % entre 0,8 et 1,3 million et enfin 0,75 % sur la partie supérieure à 1,3 million, soit un ISF total de 8 000 euros.
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Comme le patrimoine, le montant de l’ISF collecté est inégalement réparti :
les 2 000 foyers les plus riches, 0,3 % des contribuables, s’acquittent de 22 % du montant total collecté. Le montant moyen acquitté par ces très riches ménages – ils ont au minimum 17 millions d’euros de patrimoine - avoisine 500 000 euros par an, alors que les contribuables de la première tranche de l’impôt sur la fortune paient en moyenne 1 100 euros par an.
Demain : la réforme de l’ISF réduit par quatre l’impôt des plus fortunés
Le gouvernement a annoncé dans la loi de finances rectificative pour 2011 une réduction et une simplification du barème de l’ISF. Tout d’abord, il va supprimer la première tranche d’imposition sur les patrimoines compris entre 800 000 et 1,3 million d’euros. Le nombre de contribuables sera diminué de moitié et le montant collecté baissera de 8 % : cette seule mesure représente une perte de recettes de 308 millions d’euros pour le budget de l’Etat, pour un coût total de la réforme qui atteint 1,8 milliard d’euros en année pleine.
Ensuite, il n’y aura plus que deux tranches et le taux sera uniforme sur l’ensemble du patrimoine : 0,25 % entre 1,3 et 3 millions d’euros et 0,5 % au-delà. Les taux seront donc réduits, mais ils s’appliqueront au premier euro de patrimoine et non sur la partie du patrimoine supérieure à 800 000 euros comme précédemment. En l’état actuel du texte, ces modifications vont créer des effets de seuils importants : dès lors qu’un patrimoine dépassera de un euro les seuils de 1,3 et de 3 millions d’euros, le taux d’imposition passera de 0 à 3 250 euros puis à la seconde tranche du simple au double.
Pour reprendre l’exemple précédent, le ménage dont la fortune s’élève à un million d’euros après abattements ne paiera plus rien… Celui qui dispose de trois millions d’euros paiera 0,25 % sur tout son patrimoine (et non plus de 0,55% à 1% sur la partie supérieure à 800 000 euros) soit 5 000 euros.
Auparavant il en payait 8 000, le gain pour lui n’est pas énorme, mais c’est tout de même un trimestre de travail d’une personne au Smic.
Pour les très riches, le gain est encore plus massif. Comme les premières tranches sont négligeables, leur taux d’imposition maximum passe de 1,8 % à 0,5 %. Un foyer riche de 20 millions d’euros gagnera 182 000 euros d’impôts par an. Pour toucher une telle somme, un salarié au Smic doit travailler 15 ans, un titulaire du RSA lui doit attendre 33 années.
Le gain pour une fortune de 100 millions d’euros représente 1,2 million soit un siècle de Smic.
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Les contreparties : la suppression du bouclier fiscal et la hausse des droits de succession
Cette réduction d’ISF représente 1,8 milliard d’euros de manque à gagner pour le budget de l’Etat chaque année.
De nouvelles recettes sont donc prévues en contrepartie. D’abord, la suppression du bouclier fiscal économisera 293 millions d’euros de restitutions d’impôts en 2012 - et à terme 700 millions d’euros.
Au bout du compte, le cadeau fiscal est considérable pour les très grandes fortunes.
Pour donner un ordre de grandeur, le coût de la mesure équivaut à un dixième du budget des écoles primaires en 2011, au montant des bourses versées à 600 000 étudiants, ou encore 70 000 emplois publics.
NOTES :
[1] Le patrimoine est constitué des biens monétaires durables (immeubles, actions, obligations, etc.) détenus par les ménages, il ne comprend pas les revenus.
[2] Car 1,14 million moins 30 % = 800 000 euros.
[3] voir Évolution du patrimoine des ménages- Insee
[4] La base qui sert de calcul aux services des impôts.