Le Blog d'Olivier Berruyer
19Nov
Je reprends aujourd’hui deux excellents articles de MediaPart, sur le traitement par l’AMF du scandale EADS en 2008/2009
08 avril 2008 |
Par Martine Orange
Mediapart s’est procuré le rapport d’enquête de l’Autorité des marchés financiers sur EADS, dont la synthèse est téléchargeable sur notre site. Les enquêteurs y relèvent les ventes massives d’actions réalisées par la plupart des dirigeants d’EADS et ses actionnaires de contrôle, Lagardère et DaimlerChrysler. Des cessions qu’ils auraient dû s’abstenir de faire, alors qu’ils étaient détenteurs d’au moins trois informations privilégiées : un budget-plan qui montrait une nette dégradation de la rentabilité future d’Airbus dès juin 2005, des problèmes d’industrialisation de l’A 380, une révision complète du programme de l’A 350.
C’est le rapport que tout le monde attend. Un long rapport de quatre-vingt-quatorze pages, dont Mediapart a pu prendre connaissance. Dans un style précis, les enquêteurs de l’autorité des marchés financiers (AMF) y retracent toutes les informations qui ont circulé chez EADS au cours de cette période décisive, entre le 1er mai 2005 et le 13 juin 2006 (lire en pièce jointe, la synthèse du rapport de l’AMF).
Ils s’efforcent de démêler les écheveaux du connu et du plausible pour retrouver les faits. Avec une préoccupation constante : « Les actionnaires de contrôle et les principaux dirigeants du groupe EADS disposaient-ils, lorsqu’ils ont cédé leurs titres, d’informations que le marché n’avait pas et qui auraient dû les conduire à s’en abstenir ? Le cas échéant, le marché aurait-il dû, ou non, avoir ces informations ? »
Car il faut bien tenter d’élucider les ventes d’actions par les dirigeants et les actionnaires d’EADS entre novembre 2005 et avril 2006, deux mois avant que le groupe ne fasse état des ses problèmes sur l’A380 et l’A350. Des cessions massives, comme le constate le rapport. «Entre le 19 juillet 2005 et le 13 juin 2006, sur les 21 membres des comités exécutifs d’EADS et d’Airbus, 17 ont cédé un montant total de 1.708.600 actions issues de l’exercice de leurs stock-options pour une plus-value brute de près de 20 millions d’euros. Parmi eux, 11 des dirigeants du groupe ont exercé l’intégralité de leurs options exerçables au 13 juin 2006, c’est-à-dire celles issues des plans d’attribution des exercices 2000 à 2003.»
Avant de relever une étrangeté: « Pourtant, pour les dirigeants imposables en France, les options issues des plans de 2002 et 2003 étaient fiscalement indisponibles, puisqu’elles avaient été attribuées moins de quatre ans auparavant, si bien que la plus-value résultant de leur vente fut imposée en tant que salaire. » Une incongruité en regard des trésors d’imagination auxquels peuvent avoir recours les dirigeants pour ne pas payer un centime de trop au fisc.
Autre observation surprenante : « 95% des titres cédés l’ont été soit entre le 9 et le 29 novembre, soit entre le 8 et le 24 mars [...] Aucune transaction n’est intervenue, en revanche, lors de la fenêtre suivante, ouverte du 16 mai au 5 juin 2006, et la fenêtre d’exercice précédente, ouverte du 27 juillet au 16 août 2005, n’a été que marginalement utilisée. » Interrogés lors de leur audition, plusieurs dirigeants ont avancé que lever leurs options à ces dates n’aurait pas été intéressant, le cours de l’action étant inférieur à celui de l’option.
Ce que contestent partiellement les enquêteurs de l’AMF, au moins pour les options attribuées en 2000 et 2002. Ils remarquent aussi que si le cours du titre rendait la vente plus attractive à partir de novembre 2005, « le caractère massif des cessions observées pourrait aussi a contrario témoigner d’une absence de confiance dans la poursuite de la progression du cours».
2 milliards pour chacun des deux actionnaires de contrôle
Le comportement des deux actionnaires principaux, les groupes Lagardère et DaimlerChrysler, suscite encore plus d’interrogations chez les enquêteurs de l’AMF. En avril 2006, chacun d’entre eux a réalisé une vente à terme « de plus de 61 millions d’actions EADS pour un montant proche de 2 milliards d’euros », écrit le rapport.
Ces opérations, envisagées dès la fin du printemps 2005, ont été retardées en raison des discussions« avec le gouvernement français et la présidence de la République mais aussi avec le gouvernement allemand ». Finalement, ce n’est que fin mars 2006 que les deux groupes ont obtenu le feu vert.
Le 4 avril, ils annonçaient leur désengagement partiel. Lagardère faisait sa cession à cinq institutionnels par le biais d’une opération montée par la banque Ixis. DaimlerChrysler vendait dans le cadre d’un placement privé, organisé par JP Morgan et Morgan Stanley. Les ventes se sont pour chacun réalisées au prix de 32,60 euros par titre.
« Dans un cas comme dans l’autre, l’enquête a permis d’établir que l’engagement d’opérations à terme a été motivé par la volonté de bénéficier d’une fiscalité plus favorable à compter de 2007. Dans ces conditions et alors qu’aucun des deux groupes n’avait à faire face à un besoin de trésorerie pressant en 2006, la décision de DaimlerChrysler et de Lagardère de procéder à des opérations à terme assises sur le prix du marché d’EADS de 2006, plutôt que d’attendre 2007 pour réaliser une cession au comptant, pourrait témoigner d’une anticipation par les deux actionnaires de contrôle privés d’EADS d’une baisse future du cours du titre, interprétation que ni l’analyse détaillée de la chronologie et des modalités des opérations ni les explications recueillies auprès des deux groupes n’ont permis d’écarter. »
Ces ventes massives, ces actions qui semblent brusquement brûler les doigts amènent à une question. Qui savait quoi et à quelle date ? Les conclusions du rapport à ce sujet sont sans réserve. « Les investigations ont permis d’identifier trois informations privilégiées, détenues, en totalité ou en partie par les dirigeants d’EADS et ses actionnaires de contrôle, antérieurement à leurs interventions directes ou indirectes sur le marché du titre EADS ».
Une dégradation à venir d’Airbus notée dès juin 2005
La première est relative au budget-plan établi par EADS afin d’avoir une vision prévisionnelle sur trois ans. « L’enquête a mis en évidence le fait dès le mois de juin 2005, alors même que l’annonce par Airbus au cours du salon du Bourget d’un nombre de commandes exceptionnel marquait le début d’une phase de hausse significative du titre EADS, les principaux dirigeants et les actionnaires de contrôle du groupe ont pris conscience, à l’inverse, de la probable dégradation à moyen et long terme de la rentabilité prévisionnelle d’Airbus et du groupe », souligne le rapport d’enquête.
A la fin du premier semestre 2005, Airbus se rend compte en effet que l’augmentation des frais de recherche et développement induits par l’A350, les pénalités de retard liées à la première révision en mai 2005 du calendrier de livraison de l’A380, l’augmentation des coûts de production, la dégradation constatée des prix de vente de l’ensemble de la gamme vont avoir des effets négatifs sur son résultat d’exploitation (EBIT).
Lors du conseil d’administration d’EADS, le 7 juin 2005, Airbus présente des prévisions sensiblement en baisse pour 2007 : son résultat d’exploitation prévisionnel ne serait plus que 1,7 milliard d’euros contre 2,6 milliards prévus dans le plan élaboré six mois auparavant et sa marge opérationnelle ne s’établirait plus qu’à 6,5% au lieu de 9,9%.
«Consécutivement, indique le rapport, l’Ebit prévisionnel d’EADS pour 2007 est estimé, en juillet 2005, à 2,6 milliards d’euros contre 3,5 milliards» six mois plus tôt. « Selon les déclarations concordantes d’Arnaud Lagardère et de Manfred Bischoff [représentant du groupe DaimlerChrysler], c’est précisément à la fin du printemps ou au début de l’été 2005 qu’a été entamée la concertation entre les deux actionnaires de contrôle privés d’EADS, en vue de la réalisation d’une opération de désengagement partiel simultanée du capital du groupe », relève incidemment le rapporteur de l’enquête.
Cette dégradation des perspectives futures ne pourra pas être corrigée au fil des mois. Dans le même temps, le marché continue lui à parier sur une amélioration des résultats à venir. Les directions financières d’EADS et d’Airbus insisteront plusieurs fois sur les divergences d’appréciation entre les prévisions du groupe et les estimations du marché. « Sans qu’il y soit remédié », insistent les enquêteurs.
Le devoir d’abstention
La deuxième information porte sur l’A380. « Au plus tard le 1er mars, les membres du comité exécutif d’Airbus et de son comité d’actionnaires avaient été informés [...] que la livraison des sections de l’appareil à la chaîne d’assemblage finale de Toulouse avait été interrompue et qu’une replanification du programme de production avait été engagée. »
La troisième information privilégiée, selon le rapport, est relative à l’A350. D’après l’enquête, les actionnaires et les dirigeants ont su «au plus tard le 7 mars» que les coûts de développement de programme avaient augmenté de près de 30%, et que sa part de marché attendue s’était dégradée face à l’avion concurrent de Boeing, le B 787 Dreamliner, «conduisant à la constatation de ce que la valeur actuelle nette du programme était devenue négative ».
Toutes ces informations auraient-elles dues être rendues publiques ? Le rapport de l’AMF à ce sujet est nuancé. Pour certaines, comme l’A 380, oui, assurément. Pour d’autres, comme le budget prévisionnel, il est moins définitif. Il constate, en tout cas, que jamais le groupe EADS n’aurait dû laisser s’installer une telle différence d’appréciation de la situation avec le marché.
Les dirigeants et les actionnaires qui ont vendu pendant cette période cruciale, eux, auraient dû y renoncer, car ils étaient détenteurs d’informations privilégiées. Il note, à ce titre, que Hans-Peter Ring, directeur financier, et qui devait donner son accord pour toute levée d’options, « ne leur a pas interdit de céder leurs titres, comme il en avait pourtant le pouvoir ».
Dix-sept personnes se retrouvent soupçonnées d’avoir manqué à l’obligation d’abstention définie par le règlement de l’AMF.
Parmi les membres du comité exécutif d’Airbus sont ainsi mis en cause Olivier Andriès, Charles Champion, Henri Coupron, Alain Flourens, Gustav Humbert, John Leahy, Erik Pillet, Andreas Spert, Thomas Williams. Comme membres du comité exécutif d’EADS et du comité des actionnaires d’Airbus, on retrouve Thomas Enders, Noël Forgeard, Jean-Paul Gut. En tant que membres du seul comité exécutif sont soupçonnés François Auque, Fabrice Brégier, Ralph Crosby, Jussi Itavuori et Stefan Zoller.
Et, enfin, les deux actionnaires de contrôle, DaimlerChrysler et Lagardère.
18 décembre 2009 | Par Martine Orange
L’annonce de la décision de la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers a été accueillie avec incrédulité : tous les dirigeants et actionnaires d’EADS, sur qui pesaient des soupçons de délit d’initiés, sont mis hors de cause. Cette décision pourrait se révéler être une bombe à fragmentation, déstabilisant l’AMF et EADS.
Cela se murmurait depuis quelque temps: tous les protagonistes de l’affaire du délit d’initiés d’EADS allaient être blanchis. Trop d’enjeux étaient en cause, trop d’influence politique était à la manœuvre. Par-dessus tout, il y avait le fameux intérêt supérieur de l’Etat: la moindre sanction pouvait bousculer l’équilibre précaire trouvé au sein d’EADS en juillet 2007 et relancer la querelle franco-allemande. Pourtant, malgré tous ces arguments avancés, c’est l’incrédulité qui a saisi les observateurs quand ils ont découvert la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Elle avait osé. Les dix-sept dirigeants d’EADS et les deux actionnaires soupçonnés de délit d’initiés sont mis hors de cause.
«Scandaleux, n’a pu s’empêcher de relever Colette Neuville, présidente de l’association des actionnaires minoritaires. Si dans cette affaire on ne peut caractériser un délit d’initiés, cela signifie qu’il faut revoir les critères de ce délit. Quand il y a un écart aussi grand entre la perception des faits par l’opinion publique et la décision finale, il est inévitable qu’il y ait un grand sentiment de malaise et d’injustice.»
Mais dans cette affaire, les faits ont été passés au second plan. Pendant trois ans, une multitude d’avocats ont travaillé pour vider de son contenu toute l’enquête conduite par l’AMF. Les recherches de l’autorité ont aussi été soigneusement cantonnées. Ainsi, elle ne s’est jamais intéressée à ce qui s’est passé sur les marchés des dérivés sur l’action EADS entre mars et juillet 2006. Pendant cette période, ceux-ci vont pourtant connaître une étrange suractivité. Si le gendarme boursier l’avait voulu, il aurait pu savoir quels noms se cachaient derrière les opérations. Il ne l’a pas fait. Craignait-il des mauvaises surprises ou des résultats dérangeants?
La priorité était d’abord de sortir les deux principaux actionnaires, les deux principaux bénéficiaires dans cette affaire: la vente de 7,5% du capital d’EADS a rapporté à chacun une plus-value de 2 milliards d’euros.
Dans le pré-rapport d’enquête publié par Le Figaro en 2007, ceux-ci sont directement mis en cause: mauvaise information financière, révision du programme A 350 et surtout le point le plus délicat, celui par qui le scandale arrive: parfaite connaissance des retards du A380. Leur responsabilité est pointée à chaque étape.
Lagardère et Daimler effacés dès le rapport d’enquête
Mais dès le rapport d’enquête achevé en mars 2008, les noms de Lagardère et Daimler ne sont plus cités sur ce dernier grief. Le rapporteur pointe bien de curieuses coïncidences. Ainsi il remarque l’absence de la moindre allusion à l’A 380 et même à la situation d’Airbus, «principale division du groupe», dans le procès-verbal du conseil d’administration du 7 mars 2006, alors que le sujet revenait constamment dans les conseils précédents et suivants. Il s’étonne aussi du délai que met Noël Forgeard à transmettre aux actionnaires une information sur les problèmes de câblage de l’A 380 – information qu’il reçoit le 28 mars mais qui ne sera consignée dans une note adressée à Arnaud Lagardère et Manfred Bischof que le 14 avril, entre-temps les deux groupes avaient l’un et l’autre vendu 7,5% de leurs participations (le 4 avril).
Mais il conclut: «Quand bien même les deux co-présidents du conseil d’administration d’EADS pourraient donc, à l’époque, avoir été informés de la situation industrielle d’Airbus et plus particulièrement de celle du programme A 380 en dehors du canal d’information apporté par les réunions statutaires du groupe, l’enquête n’a pas permis d’établir avec un degré d’assurance suffisant que tel avait été le cas.»
Dès lors, les plus gros risques sont écartés. Mis hors de cause sur le point le plus sensible de l’enquête, il n’est pas difficile de les exonérer sur les autres. Le non-respect des prévisions des résultats opérationnels ou la remise à plat du programme A 350 ne sont que peccadilles par rapport à l’A 380. C’est l’annonce des retards du gros porteur qui déclencha le 13 juin 2006 la chute de 26% du cours en une journée. Dès juillet 2009, le rapporteur de la Commission des sanctions, l’équivalent du procureur, déclarait donc qu’il fallait mettre totalement hors de cause les deux principaux actionnaires.
Mais il restait les dix-sept autres dirigeants. Difficile de les poursuivre pour manquement au délit d’initiés pour avoir vendu des stock-options en mars, alors que les deux principaux actionnaires vendant un mois plus tard ne l’étaient pas. De plus, les responsables d’EADS mis en cause ont jusqu’au bout fait preuve d’une totale solidarité avec le groupe, avec ses actionnaires. A aucun moment, l’un d’entre eux n’a évoqué des faits ou des signaux d’alarme. Ils ne savaient rien, n’avaient rien vu, bien qu’à Toulouse et à Hambourg, les salariés, eux, savaient dès novembre 2005 que le programme A 380 rencontrait de plus en plus de problèmes.
La Commission des sanctions a retenu totalement les arguments des dirigeants. Enterrant rapidement les autres griefs, elle a concentré tout son argumentaire sur les retards de l’A 380. Selon elle, «il ne résulte pas de l’instruction que, dans le contexte existant à la date des faits reprochés, l’information invoquée par les notifications de griefs ait (…) été susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre EADS». Bref, les dirigeants ne savaient rien, et il n’y a pas de délit d’initiés.
Bombe à fragmentation
Aujourd’hui, les dirigeants d’EADS comme les pouvoirs publics peuvent se féliciter de cette affaire habilement menée. Même s’il y a quelques protestations, même si l’opinion publique est choquée, tout, selon eux, se termine au mieux.
Cette décision de la commission des sanctions, pourtant, risque d’être une bombe à fragmentation, plus destructrice qu’il n’y paraît. La première victime en est l’AMF elle-même. Accusée d’être «dure avec les faibles, complaisante avec les puissants», d’avoir déjà enterré magistralement des scandales comme Vivendi et Rhodia, l’autorité boursière était fort attendue sur ce dossier. Son président, Jean-Pierre Jouyet, qui a succédé à Michel Prada il y a un an, avait promis de restaurer la crédibilité du gendarme boursier.
Après la décision de la commission des sanctions, cet objectif est désormais presque inatteignable. Dans un communiqué, l’AMF s’est empressée de prendre ses distances avec la décision, rappelant que la Commission des sanctions ne dépendait pas d’elle, et qu’elle demandait à l’avenir d’avoir un droit d’appel, ce dont elle ne dispose pas aujourd’hui. Les explications et les nuances juridiques ne suffiront pas à convaincre l’opinion. Le mal est fait: le gendarme boursier a annulé d’un coup ses prétentions de justice et d’indépendance. Tout semble n’être que fiction. Et le projet, caressé par le gouvernement en 2007, de lui retirer tout pouvoir de sanction pour en confier la responsabilité à la justice risque de rapidement refaire surface.
Avant même les attaques externes, il lui faudra répondre au malaise interne. La commission des sanctions désavoue totalement les méthodes et les conclusions de l’enquête AMF. Le gendarme boursier, qui avait déjà beaucoup de mal depuis quelques années à attirer des compétences – magistrats, fiscalistes, experts refusant de venir dans une institution où leur travail a toutes les chances d’être enterré en grande pompe –, risque de voir s’accélérer cette fuite des cerveaux. D’autant que le monde des affaires va saisir l’occasion de cette décision pour demander une remise en cause des enquêtes de l’AMF jugées trop contraignantes encore à son goût.
Sans gendarme crédible, la place de Paris, si chère au monde des affaires parisien, ne le sera pas non plus. Que vaut une place qui ménage les petits intérêts particuliers par peur de déranger les convenances. D’autant que, dans le même temps, d’autres affaires comme celle qui oppose Vivendi à l’ADAM, tendent à démontrer que les actionnaires français sont des actionnaires de seconde zone. Dès lors, il pourrait être plus tentant pour beaucoup d’aller investir ailleurs, là où les réglementations et les protections sont plus sûres, tous les obstacles matériels ayant disparu avec la fusion des places boursières.
Des responsables ignorants, des actionnaires aux abonnés absents
Même si l’entreprise se félicite aujourd’hui du dénouement de l’affaire, EADS risque aussi de le payer au prix fort. D’abord ses dirigeants. Les salariés du groupe aéronautique ne font pas mystère de leur profonde réprobation face au comportement de leurs dirigeants actuels et passés, qui se sont fourvoyés dans cette affaire. Ceux-ci sont, dans l’esprit de nombre d’entre eux, les grands responsables des malheurs d’Airbus, mais aussi de la corruption de l’état d’esprit du groupe, où l’argent a pris le pas sur la fierté industrielle, la prouesse technique de construire des avions. Les voir aujourd’hui mis hors de cause, sous le prétexte qu’ils ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir ce qui se passait dans l’entreprise, laisse rêveur. A quoi servent des dirigeants, chèrement payés, s’ils ne connaissent pas leur métier, s’ils supervisent de loin les choses ? Avoir plaidé l’ignorance peut très vite se transformer en procès en incompétence.
Mais les déflagrations les plus fortes vont se porter sur les deux actionnaires. Depuis 2004, le comportement d’Arnaud Lagardère et Daimler, captant les richesses qu’ils n’ont pas créées tout en montrant le plus grand désintérêt pour EADS au point de ne pas cacher leur volonté de se désengager dès qu’il leur sera possible de faire à nouveau de l’argent, révulse au plus haut point les salariés du groupe. Les milliards de plus-values réalisées en 2004 leur paraissent à tous points de vue usurpés. Les dividendes qu’ils réclament chaque année quand, dans le même temps, le groupe fait plan d’économie sur plan d’économie indignent.
Mais le point de non-retour semble avoir été franchi il y a quinze jours. En raison des difficultés rencontrées pour mener à bien le programme du nouvel avion militaire A 400M, EADS doit faire face à un surcoût de plus de 5 milliards d’euros, lié aux retards et au dépassement des frais de développement. Le groupe espère que les gouvernements accepteront d’en prendre une partie à leur charge. Mais rien n’est assuré. Evoquant ces négociations avec les Etats, le président d’EADS, Louis Gallois a tenté de rassurer en affirmant que le groupe avait la trésorerie pour payer l’addition et qu’en aucun cas il n’envisageait de faire appel à ses actionnaires.
Dans le groupe, tous ont compris : alors qu’Airbus traverse une passe financière très tendue, à cause de la crise mais aussi des difficultés accumulées dans tous ses programmes, ses deux actionnaires ne veulent pas l’aider. Prêts à prendre l’argent aux beaux jours, ils s’esquivent dans les mauvais. En quoi réside alors leur rôle d’actionnaires ? Déjà largement déconsidérés, ils perdent la dernière justification de leur présence en refusant par avance toute aide capitalistique. Dès lors, la question de leur présence au sein du capital d’EADS risque à nouveau de se poser, et cette fois sans ménagement, si les problèmes du groupe aéronautique s’amplifient.
NB. : ils ne sont pas fous chez Lagardère et Daimler, ils ne font pas de blogs, eux ! Donc pas de souci avec l’Autorité des Magouilles Financières…
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