03 JANVIER 2014
Même dans l’adversité, les Grecs arrivent à garder le sens de l’humour : dans l’escalier qui mène aux étages du très moderne centre des impôts du quartier chic de Neo Psyhiko, à Athènes, la cloison du mur a été défoncée comme par un coup de poing.
Quelqu’un a écrit au-dessus du trou :« tapez votre tête ici si vous avez voté pour Antonis » (Samaras, le premier ministre grec)…
Et il en faut, de l’humour, pour supporter la tourmente fiscale qui s’est abattue sur les Grecs depuis 2010, surtout lorsqu’elle s’allie à l’incompétence de l’administration locale.
Un exemple ?
En septembre, au retour des vacances, tous les propriétaires ont trouvé un avis de paiement d’un nouvel impôt foncier décidé en… 2010. « On a eu des problèmes avec l’informatique si bien qu’on a dû envoyer les avis de paiement 2011-2012-2013 en même temps », explique un ministre grec, un tantinet gêné. L’impôt annuel n’est déjà pas négligeable, mais sur trois ans, il devient carrément insupportable pour une bonne partie de la classe moyenne, celle qui est déjà la plus touchée par l’austérité. Ainsi, une institutrice qui a reçu un appartement donné par son riche père voit quasiment tout son salaire annuel passer dans le paiement de cet impôt : elle va devoir le vendre pour louer un plus petit appartement. Accorder un délai de paiement aux contribuables ? Réponse d’un responsable gouvernemental : « vous n’y pensez pas : on a besoin d’argent et 80 % des Grecs sont propriétaires d’un logement qui a généralement été acquis avec de l’argent noir voir construit sans permis sur le domaine de l’État. Ils doivent payer maintenant… » Ambiance.
Il est vrai que si beaucoup de Grecs se plaignent, c’est aussi parce qu’ils avaient perdu l’habitude de payer des impôts. La fraude et l’évasion fiscale et sociale atteignaient et atteint encore des sommets qui expliquent en grande partie la crise grecque : le FMI et la Commission l’estimaient, en 2012, entre 40 et 45 milliards par an, soit entre 12 et 15 % du PIB. Harry Theoharis, le secrétaire général chargé des recettes fiscales, pense qu’elle se situe plutôt « entre 20 et 25 milliards d’euros par an. Mais il est certain que si on arrivait à collecter vraiment l’impôt, une grande partie du problème de la dette grecque disparaitrait ».
Un avis que partage Tryphon Alexiadis, vice président du syndicat des agents du fisc, proche de Syriza, le parti de la gauche radicale : « la fiscalité est la clef de la crise grecque : si on avait réussi à collecter 5 milliards d’euros de plus au cours des douze dernières années, on aurait eu 60 milliards de plus, c’est-à-dire aucun problème de dette ! »
Mais, en Grèce, c’est plus simple à dire qu’à faire. « La question fiscale reste un sujet d’inquiétude, car l’augmentation de la collecte des impôts n’est pas très impressionnante en dépit des réformes mises en place », reconnaît Horst Reichenbach, le patron de la « Task force » de l’Union chargée d’aider la Grèce à bâtir une administration.
Le pays part de très loin il est vrai. En débarquant en 2010, les agents du FMI n’en ont pas cru leurs yeux : « si on avait voulu inventer une administration qui ne pouvait pas fonctionner, on n’aurait pas fait mieux que le fisc grec », raconte l’un d’eux. « Dans le genre, c’est de l’intelligence design », s’amuse-t-il : « ordre juridique byzantin », « autonomie quasi-complète des centres des impôts par rapport au centre », « corruption ». « On peut dire que le paiement des impôts et des cotisations sociales se faisaient sur la base du volontariat avant 2010 », poursuit un fonctionnaire européen présent à Athènes. « Comme le contrôle fiscal individuel n’existait pas, on aurait eu tort de se gêner ».
Depuis 2010, « l’État a commencé à restructurer le fisc », raconte Harry Theoharis. « On a fait partir 1500 agents et on a réduit le nombre de centres des impôts de 290 à 120. Maintenant, il y a peu de contact entre les agents et les citoyens : ces derniers font leur déclaration par internet et payent l’impôt dû auprès des banques, ce qui limite les possibilités de corruption ».
Mais ce n’est pas en quatre ans qu’on bâtit une administration fiscale efficace, surtout avec le même personnel. Et c’est d’autant plus vrai que les résistances politiques sont très fortes : « il a fallu se battre pour créer des structures indépendantes du pouvoir politique comme le secrétariat général chargé des recettes fiscales, que dirige Theoharis », raconte un diplomate européen.
Et le bras de fer continue : « la Commission a demandé que 80 % du SDOE (l’élite du contrôle fiscal qui s’attaque aux grandes fortunes, NDLR) soit placé sous les ordres de Theoharis, mais le premier ministre Antonis Samaras et le ministre des Finances Yannis Stournaras ne nous ont accordé que 10 %, car ils veulent garder la main sur les contrôles fiscaux ».
Sans la présence de l’Union et du FMI,« Theoharis sait que ses jours seraient comptés »…
C’est ce contrôle politique du fisc qui explique en grande partie la frustration des Grecs : l’égalité devant l’impôt reste très théorique.
Si les fonctionnaires et les retraités ont vu leurs revenus amputés de 30 % en moyenne et leurs impôts augmenter sans pouvoir y échapper, si les propriétaires ont été passés par le fil de l’épée, ni les armateurs, protégés par une Constitution extrêmement difficile à amender, ni l’Eglise Orthodoxe n’ont été mis à contribution.
De même, « le contrôle des particuliers à fort enjeu », comme le dit un fonctionnaire européen, c’est-à-dire les médecins, les avocats, les pharmaciens, etc., « est l’un des domaines où les progrès sont les plus lents ». Les contrôles fiscaux restent rares et débouchent encore plus rarement sur des redressements et des condamnations.
Enfin, les très gros fraudeurs (entreprises, grandes familles) continuent à bénéficier de fortes protections. « Par exemple, l’un des problèmes majeurs est celui du trafic de carburant qui permet d’éluder des milliards d’euros de taxes. Mais on n’y touche pas, car les intérêts en jeu sont trop puissants ».
Un diagnostic que partage Tryphon Alexiadis : « le manque de volonté politique est le mal principal dont souffre le fisc grec. Les amis politiques de ceux qui sont au pouvoir sont toujours protégés ».