EN LISANT LE JOURNAL…
A CONDITION DE LIRE ENTRE LES LIGNES
par Jean LEVY
Précisons que ce journal est Le Monde, daté des 21 et 22 août 2011.
Un reportage, « Retour sur les émeutes en Grande-Bretagne », occupe deux pages entières du quotidien. Différentes enquêtes – cinq au total - ciblent « La révolte des laissés-pour-compte britanniques ».
Elles sont toutes signées par la même journaliste, Elise Vincent.
Selon les titres de ces diverses rubriques, l’attention du lecteur est attirée par différents éléments, qui tentent d’expliciter les raisons multiples de ces troubles, le tout sous un chapeau commun : « les émeutiers…se recrutaient aux marges de la société de consommation ».
Et qui se situait ainsi « aux marges » ?
« Les gangs, acteurs-clés des désordres » ? « Des années de relation conflictuelles entre la communauté noire et la police anglaise » ? Le fait d’être « un enfant de la ‘broken society’ » ?
Ces titres peuvent égarer le lecteur, si celui-ci ne prend pas la peine de lire attentivement les articles. Car ceux-ci attestent qu’il ne s’agit pas, pour l’essentiel, de « gangs » ou de « communautés noires » responsables des émeutes.
Ainsi, « le profil de ceux qu ont été interpellés montre qu’ils venaient pour la plupart des quartiers où les taux de chômage sont les plus forts. Des jeunes d’une certaine ‘working class’ anglaise, en souffrance (…) du fait de la disparition des emplois peu qualifiés du secteur industriel »… « Des émeutes de la part de ceux qui sont ‘le plus exclus de la société de consommation’ et rêvent d’en être ».
Et Elise Vincent de préciser que sur 1000 jeunes « émeutiers présumés » vivaient, « 66% des cas », dans des endroits « où la situation de pauvreté s’est aggravée entre 2007 et 2010 ». La journaliste ajoute « Des émeutiers aux origines ethniques diverses même si les Blancs et les Antillais étaient surreprésentés ».
Encore, fallait-il prendre son temps et ne pas s’en tenir aux titres, pour comprendre le caractère social des émeutes. La misère, donc, constitue la première cause de celles-ci. Ce qui est, n’en doutons pas, une raison aggravante de la sauvage répression ordonnée par le Premier ministre, David Cameron. Fidèle aux solides traditions de la gentry britannique, la pauvreté est un délit outre-manche et ses manifestations de colère doivent être sévèrement châtiées.
Que des « gangs » se soient mêlés aux jeunes désespérés, c’est possible. On peut même penser que l’entrée en scène d’éléments « bien connus de la police » ait été orchestrée par le pouvoir pour dénaturer le sens de la révolte et se concilier ainsi l’opinion publique en réprimant violemment, c’est probable.
Le Monde note cependant que « la polémique monte outre-Manche autour des mesures répressives décidées par le gouvernement », thèse reprise page 13 du journal, par Michel Marcus, un magistrat en retraite, « expert en sécurité urbaine », qui écrit :
« Bien sûr, il est plus simple de contrer l’émeutier de la rue, de le réprimer à la mesure de la pauvreté de son statut social, de son poids dans la société. Toutes les justices compensent leur impuissance à atteindre l’internationale des émeutiers en col blanc. Le personnel politique accompagne l’émeute, se modèle sur sa brutalité, retrouve un ‘volontarisme’ à coups de ‘Karchérisation’ et de leçons de morale. Terme par terme, les discours de Cameron et de Sarkozy s’entrelacent, dessinant une figure d’épouvante, de catastrophisme social et de moralisme ».
C’est ce qu’on appelle la lutte de classe !