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REPRIS SUR
EL DIABLO 

Il faut visiter

le Musée de la Résistance Nationale

de Champigny-sur-Marne 

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photos: Henri et Diablo lors de leur visite au musée le 1er décembre 2012 

Les objets du courage

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Champigny-sur-Marne, vous connaissez ?

C’est dans la grande banlieue parisienne

J’y ai fait une découverte inattendue, cette semaine ; un musée passionnant et bien trop ignoré des médias et du grand public.

Vous prenez le RER A en direction de Boissy-Saint-Léger et puis le bus 208. Ou alors, en voiture, par l’autoroute A4, sortie Champigny Centre. Il faut emprunter des rues sans attrait particulier, qui grimpent vers une hauteur et, dans une sorte de courbe de l’avenue Max-Dormoy, au numéro 88, se trouve un ancien hôtel particulier du XIXe siècle transforme en Musée de la Résistance nationale Le ciel est blanc et froid, ce matin-là, et malgré la brume, la vue sur la vallée de la Marne est belle. On imagine, quelque part, plus bas, au milieu de ces maisons gris pastel, la présence de quelques « guinguettes » au bord de l’eau. Dans cette municipalité communiste sont nés – ou bien ont vécu ou vivent – des personnalités très diverses. Parmi les « Campinois » de naissance ou d’adoption on relève les noms d’Alain Mimoun, le champion olympique, Étienne Brûlé qui fut « coureur des bois » au Canada au XVIIe siècle, Georges Marchais, le saxophoniste Manu Dibango, Sarah Bernhard.

On peut toucher

Aujourd’hui, et depuis 1985, Champigny abrite un musée, une sorte de trésor de l’histoire de la Résistance ? Il en existe sept autres, appartenant au même réseau, contrôles par la Direction des musées de France. À mesure qu’on s’avance dans les 500 mètres carrés des six niveaux du bâtiment principal, ou que l’on pénètre dans le « silo » (un bâtiment de 80 m2 sur 4 niveaux comprenant toutes les archives), on prend conscience de l’ampleur des collections d’éditions clandestines – tracts, affiches, revues, lettres et documents venus de donations privés –, d’objets ou d’accessoires de cette Résistance dont on s’aperçoit à quel point, encore aujourd’hui, son histoire, véritablement complète, n’a pas été écrite.

À quel point aussi, ce fut une aventure d’hommes et de femmes de toutes sortes qui, peu à peu, s’organisèrent, mais dont, au départ, le choix de résister fut individuel, spontané.

On touche du doigt, littéralement le côté improvisé, « voire bricolo » des premières initiatives. Car on peut toucher, contrairement à la règle de tous les musées : « On ne touche pas ! » les gens peuvent poser leurs mains sur les objets du courage. Cela permet, selon les responsables (trois hommes qui m’ont guidé, Georges Duffau-Eptein, Guy Krivopissko Fatih Ramadani) de mieux faire comprendre aux écoliers (les visiteurs sont en en majorité des scolaires) la quotidienneté des gestes, la simplicité et la vétusté des choses.

À l’âge d’Internet qui abolit le temps et l’espace, qui transforme les distances et contacts, une nouvelle génération doit apprendre ceci : la Résistance, ce fut une affaire de menues tâches, humbles travaux, un artisanat de bravoure délibérée, puisque toute initiative, aussi minine fût-elle, pouvait conduire à l’emprisonnement et à l’exécution.

On peut toucher :

Un tandem-vélo – gros machin rouillé, aux deux selles usées, aux pédales, roues et guidon d’un autre âge –, celui d’un jeune couple, tout juste marié, Paulette et Marc Mérignat, qui risquèrent leur vie dans la région de Vierzon pour transporter des messages.

Un conteneur parachuté au-dessus de Melun par les Anglais d’un réseau. Dans cet habitacle, il y avait des pigeons que la Résistance baguait pour les renvoyer, porteurs d’informations. Cet aspect insolite a fait l’objet d’un dessin animé en 2005,Vaillant, pigeon de combat.

Encastrés dans un mur en béton, les armes – celles envoyées par les Alliés (dont la fameuse mitraillette Sten) ou volées à l’ennemi ou récupérées de la débâcle de l’armée française. Vieux fusils ou pistolets, grenades de fabrication artisanale conçues dans le Haut-Doubs, par un inconnu qui deviendra le colonel Fabien.

Imprimante pour enfants

Je découvre onze rayons mobiles de couleur verte sur trois étagères : des volumes entiers de la presse clandestine. Quelques vérités essentielles apparaissent alors : d’abord il y eut une incroyable efflorescence de journaux, ronéotypés en cachette, comme cette revue Valmy – il fallut plus d’un mois pour imprimer 50 exemplaires, car la première imprimante n’était qu’un jouet pour enfants.

Ou cette petite feuille intitulée Pantagruel : des informations et un éditorial appelant au combat faite par un éditeur de livres musicaux, un certain Raymond Deiss, qui fut arrêté, déporté, exécuté.

Partout, dans chaque région, on écrivait, on imprimait, sans réelle concertation ou connexion – un travail de fourmi, une myriade d’actions modestes et, cependant, toutes périlleuses.

Grâce à des documents parfaitement conservés, on mesure l’immense et permanente activité de sabotage au niveau ferroviaire. La célèbre « bataille du rail » prend, ici, toute son ampleur. Ironie de ces années, l’ingénieur SNCF responsable des ouvrages d’art recevait régulièrement, les compte-rendus des autorités rie Vichy : « Pont avarié – déraillement – voie coupée – pont déboulonné – individus armés qui ont pénétré en gare et détruit le téléphone », etc. Le récipiendaire de tous ces « actes de malveillance », André Delage, en était, en réalité, l’un des instigateurs !

On voit poindre comme une sorte d’industrie secrète de destruction. Peu à peu, ce qui, à l’origine, fut éparpillé, sera unifié et structuré par des hommes comme Jean Moulin et tant d’autres.

Le destin des fusillés

Voici enfin que surgissent l’émotion et le recueillement. D’abord, quand on vous tend le manuscrit original du merveilleux poème d’Eluard : Liberté. Deux feuillets sans ratures, de la belle main du poète, avec ces « pleins et déliés » comme on écrivait autrefois, au stylo-plume et à l’encre, du temps de l’école communale.

Soudain, au vu de ce document, la splendide simplicité du chef-d’œuvre d’Eluard souligne celle autre vérité : il y eut des poètes, des artistes, des écrivains, des peintres et des musiciens, des intellectuels qui osèrent dire non.

La France, ce ne fut pas seulement Brasillac et Drieu La Rochelle.

Reste ce qui bouleverse : le plus : le destin des fusillés. Ça commence par la mallette en carton de Paul Keller (un de ces noms gravés dans le monument du Mont-Valérien), et qui fut renvoyée à sa famille : un crucifix, un béret, des crayons, un mot : « Je vais mourir tout à l’heure. Je mourrai en bon Français et en bon chrétien ».

Les lettres des condamnés étaient toutes relues par la censure. Il fallait donc ne s’en tenir qu’à un message d’ordre intime. Georges Duffau-Epstein, administrateur du musée qui œuvre pour qu’une extension du musée, plus accessible, soit construite près de la gare, avait 10 ans lorsque son père, Joseph, qui fut l’un des plus grands tacticiens de la guerre secrète, lui écrivit, depuis Fresnes, un 11 avril 1944 :

« Mon petit Microbe, mon fils, quand tu seras grand, tu liras cette lettre de ton papa. Il l’a écrite 3 heures avant de tomber sous les balles du peloton d’exécution. Je t’aime tellement, mon petit garçon, tellement, tellement. »

II existe un recueil de 75 lettres de 57 fusillés : A vous et à la vie. II m’a été remis par les responsables du musée. Leurs auteurs, les jeunes soldats de « l’Armée des ombres » furent de simples citoyens qui « sacrifièrent un long soir vide pour mieux remplir le matin » selon la formule d’hommage du général de Gaulle à Jean Moulin.

Elles méritent d’être lues et relues – de même qu’il faut visiter ce musée.

On y a rendez-vous avec la pureté de l’héroïsme anonyme.

Ce n’est pas très difficile.

II suffit de prendre l’A4 et de sortir à Champigny.

Philippe Labro

article publié dans "Le Figaro" 


 

Tag(s) : #Histoire
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