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Mardi 4 mai 2010 

HISTOIRE:

Pétain, l'exception ordinaire

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http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/petain-ou-le-regime-de-l-exception-74088


Et puisque Jean-Marie Le Pen a remis ça sur Pétain, eh bien je vais y revenir aussi. Pour bien montrer ce qu’état le régime de Pétain. Celui d’un fascisme qui ne disait pas son nom. Et à quoi distingue-t-on un quelconque fascisme ? A son arbitraire.

Et de cela, j’ai un superbe exemple, en ce qui concerne Pétain extrait d’un livre rare sorti en 1972 : pendant longtemps, en France, on a rien su de cette sombre histoire (1). Autant vous la rappeler aujourd’hui où un leader d’extrême droite se prenant pour Xavier Vallat tente de redorer le blason du vieux maréchal qui a entraîné la France dans ce qu’elle a de pire. Ce que je vais vous décrire aujourd’hui, c’est l’horreur d’un tel régime, qui ne fait aucun cas de l’individu, au profit de sa seule gloriole. Un régime qui s’est situé au-delà des règles démocratiques, un régime, qui ce faisant, était bien devenu fasciste et dictatorial. 

 

Le livre dont je vous parle commence tout de suite par une surprenante copie : celle de la réponse du ministre de l’intérieur de l’époque, René Pleven, ancien président du Conseil (en juillet 1950), à la demande de l’auteur, Hervé Villeré, d’enquêter sur cette sombre affaire et d’accéder au dossier. Sa réponse fut significative : c’était non, et son excuse celle-ci :

"il importe en effet d’éviter au plus haut point de porter préjudice à des intérêts privés, et de réveiller des passions dans l"opinion publique".

 

Qu’y avait-il de si douloureux à dire, ou quels pouvaient bien être ces fameux intérêts privés ?

 

Trente années après les faits, on avait toujours pas le DROIT d’en parler ?

Et pourquoi donc ?  

Nous sommes déjà en 1941, et les allemands sont en France depuis l’été 1940. Les petits français ont beau chanter "Maréchal, nous voilà  !"dans les écoles, par obligation, la radio de Paris chanter tous les jours les louanges de l’occupant (avec l’ineffable Jean Hérold-Paquis), le Maréchal s’afficher partout en sauveur de la patrie, en créateur de la "France Nouvelle", la mayonnaise ne prend pas.

 

Certains s’obstinent à résister. Le vilain mot. Résister à ce vieillard à la voix rassurante ?

Oui, car derrière lui se cache un régime où des individus fort peu recommandable sont apparus. Tel Pierre Pucheu, un entrepreneur (c’est lui derrière la marque de machines à écrire Japy) venu des Croix de Feu et du PPF de Jacques Doriot, un homme dévoré d’ambition qui a vu dans l’arrivée des allemands la chance de sa vie. Son arrivisme est sans limites, et il franchit donc vite les échelons ministériels : tout d’abord simple secrétaire d’État à la Production industrielle, choisi par Darlan, il devient secrétaire d’État à l’Intérieur le 18 juillet 1941. Puis ministre de l’intérieur moins d’un mois après, le 11 août.

Jusqu’alors, note Villeré dans son livre, il n’avait jamais voté... ce qui en fait un parfait ministre chez Pétain !   L’homme, en bon industriel, a une certaine vision des choses sur le travail, qui n’est pas sans rappeler certains discours actuels, vision que l’on trouve dans les "Nouveaux cahiers", une revue créée par son ami Jacques Barnaud, lui aussi issu de la Banque-collaborationiste- Worms  :

"on ne peut pas avec un pays de 40 millions d’habitants dans le désordre, faire les armements d’un pays de 8o millions d’habitants, militarisé. On ne peut pas être puissants si l’on travaille quarante heures ; quand en face on travaille soixante heures ; si l’on tient à manger à sa faim, quand en face on se prive de tout ; si l’on se dispute quand en face on obéit ; si l’on ne veut pas d’enfants quand en face on interdit le célibat ; si l’on exporte son argent, quand en face la sortie des capitaux est punie de mort ; si l’on est en paix quand en face on est en guerre..."

 On voit tout de suite à quoi rime sa défense du capitalisme : à vilipender le monde ouvrier, les années 36 et les communistes. Et au passage "le manque d’obéissance"...

Pucheu règle avant tout des comptes. Avec le Front Populaire.   Le pays soumis aux restrictions d’un état allemand qui va littéralement et systématiquement le piller, ça gronde chez les Français.

Certains s’enhardissent même, et vont commettre les premiers assassinats d’allemands. La résistance s’organise, qui oblige Pétain à sortir du bois

Pour faire passer la pilule d’une dictature déguisée, Pétain va faire en août 1941 un des discours dont il avait le secret : celui du "vent mauvais", où il fustige ce qui selon lui se passe en France à ce moment là : "L’autorité de mon gouvernement est discutée", dit-il, avant de serrer la vis.

Se présentant comme l’homme nouveau, il s’en prend aux "partisans de l’ancien régime et des serviteurs des trusts" : bizarrement, cette phrase fait écho parfaitement avec la mise en garde de René Pleven ! Le "vent mauvais" dont parle Pétain a une odeur en effet nauséabonde : c’est celle de son fascisme, qui n’arrive plus à se cacher sous la casquette d’un vieux maréchal débonnaire.  

Dans la foulée, Pétain annonce en effet la dissolution des mouvements politiques : on est bien en dictature : les fonctionnaires doivent désormais lui prêter serment de fidélité. La république à vécu. Remplacée par de l’idolâtrie, ou pas beaucoup moins.

Beaucoup ont également retenu le volet "hitlérien" de ce discours de Pétain :

"Quant à la collaboration offerte au mois d’octobre 1940 par le chancelier du Reich, dans des conditions dont j’ai apprécié la grande courtoisie, elle est une oeuvre de longue haleine et n’a pu porter encore tous ses fruits. D’autres tâches absorbent le gouvernement allemand, des tâches gigantesques où se développe, à l’Est, la défense d’une civilisation, et qui peuvent changer la face du monde...".

Ceci pour Hitler, et cela pour Mussolini  :

"à l’égard de l’Italie, nos rapports sont également régis par une convention d’armistice. Ici encore nos voeux sont d’échapper à ces relations provisoires, pour créer des liens plus stables, sans lesquels l’Ordre européen ne pourrait se construire... " 

C’est clair, Pétain en souhaite davantage, de collaboration. A en surprendre les Allemands eux-mêmes, comme le relèvera Paxton, qui note bien le projet de Vichy d’en finir avec la République..

Et Pétain de brandir au final la menace :

"un long délai sera nécessaire pour vaincre la résistance de tous ces adversaires de l’ordre nouveau, mais il nous faut, dès à présent, briser leurs entreprises, en décimant les chefs". 

A défaut de décimer, ce pourquoi il avait déjà montré un talent certain en 1917, Pétain choisira au hasard de pauvres individus déguisés en responsables : c’est ainsi que l’on fait en dictature. C’est ainsi qu’il fera.  

Aussi, quand les premiers officiers allemands tombent sous les balles des résistants, en plein Paris, notre bruiner ses rêves on vieux Maréchal sent bien que cela peut "d’ordre européen", de fascisme européen, de "civilisation qui peut changer la face du monde".

 

Aussi trouve-t-il que les 32 condamnations à mort prononcées et les 18 éxécutées l’année précédente ne sont peut-être pas assez aux yeux de l’occupant. Fernand de Brinon, sympathisant hitlérien, "ambassadeur de France auprès des Allemands" (qui sera fusillé en 1947) se fait remonter les bretelles dans ce sens par Otto von Stülpnagel (2), le commandant militaire de la Wehrmacht à Paris. L’homme est un militaire autoritaire, et souhaite que Vichy règle ces problèmes de police seul, tout en arrêtant lui-même à tour de bras (ce qui nourrit la résistance, exacerbée par ses exactions !). Les actions de résistance continuent, donc. Parfois, ce sont de simples démonstrations de ras-le-bol. Parfois faites par des très jeunes gens, bien courageux, souhaitant carrément provoquer les occupants, du haut de leurs quinze ans, pour certains d’entre eux !

"Le mercredi 13 août, à 19 heures, un groupe d’une centaine de jeunes gens, garçons et filles, de quinze à vingt-cinq ans, a débouché du métro Strasbourg- Saint-Denis, et s’est dirigé vers la place de la République,entraîné par un drapeau tricolore que porte l’étudiant Olivier Souef. Ils chantent la Marseillaise, et crient « A bas Hitler ,« Vive la France », « Vive l’Angleterre », « Vive l’Union soviétique ». La police française établit des barrages. Les troupes allemandes interviennent. Le cortège est dispersé boulevard Saint-Martin entre le théâtre de la Renaissance et celui de l’Ambigu. Dix-huit manifestants sont arrêtés. Plusieurs d’entre eux, blessés, dont Henri Gautherot, sont transportés à l’Hôtel-Dieu, et gardés par la police française. Les autres, dont Samuel Tyszelman, sont emprisonnés au quartier allemand de, la prison de la Santé. Le surlendemain, 15 août, le Tribunal spécial militaire allemand siège dans les salons de l’Automobile Club, place de la Concorde, et prononce sept condamnations à mort, dont deux frappent des manifestants du 13 août : Gautherot, tourneur sur métaux, qui a jeté par terre un Allemand et a aussitôt reçu deux balles dans la cuisse ; Tyszelman artisan chapelier qui, pris en chasse, a été découvert dans la cave d’un immeuble où il s’était réfugié. D’origine polonaise, il était naturalisé français, mais il restait juif (3)." 

 

Les deux seront tués dans le bois de Verrières. Henri Gautherot, blessé, sera fusillé sanglé à sa civière, dressée sur le poteau... comme Pétain avait fait fusiller en 1917.    Le 21 août, en plein Métro de Barbès, une officier allemand, Alfons Moser, est assassiné par "Fredo", alias Pierre Georges (4)....plus connu sous le nom du "colonel Fabien", qui sort du métro en disant à son complice Gilbert Brutstein "Tyszelman est vengé".

A l’annonce de la nouvelle, Pucheu éclate de rage, et les Allemands exigent aussitôt six morts d’otages en représailles, et pour les choisir, réclament la création d’un "tribunal extraordinaire". Pour être extraordinaire, il va être hors-normes. On va créer de toutes pièces et en une journée seulement une juridiction à part, les "sections spéciales", qui va décider de guillotiner (pour faire plus "civil" que de fusiller) des personnes choisies au hasard (enfin pas exactement) puisque les véritables assassins n’ont pas été arrêtés. Pour ce faire, on va créer une loi à effet rétro-actif, qui permet de puiser dans les geôles qui on veut et de rendre la loi effective avant l’assassinat de Moser. Une loi signée par Maurice Gabolde, totalement inféodé à Pétain, et cosignée par le Garde des Sceaux du moment, Joseph Barthélemy (5). Gabolde remplacera Barthélémy en 1943.

Elle vise essentiellement les communistes, l’ennemi juré du Pétainisme. En effet, les communistes, la bête noire de Pétain : "

C’est un député français, François Chasseigne (qui sera chargé de mission à la Propagande au Secrétariat général de l’Information sous Vichy), qui le 16 janvier 1940, demande la peine de mort contre les communistes. Il précise que cela doit se faire, je cite, «  sans autre forme de procès » et avec « pour certains d’entre eux, le coup de pistolet derrière la nuque ». C’est un autre député français, Georges Barthélemy, président de la commission chargé de la « déchéance » des députés du PCF, qui précise le 20 février, toujours de la tribune du parlement :

« Thorez, Catelas et tant d’autres devraient non pas subir le feu d’un peloton d’exécution, ce serait leur faire trop d’honneur, mais être poussés sous le couperet de M. de Paris ».

Un an plus tard, il pourra être satisfait : Catelas est guillotiné sur décision des juges de Pétain et de Laval.   Car pour parfaire le tout, Pucheu va émettre une recommandation aux magistrats nommés pour l’occasion : il lui faut au final au moins un communiste, un ouvrier... et un juif. 

Le résumé qu’en fait Pierre Dux à Pierre Tchernia, lors de l’interview sur le film de Costa GavrasDux joue le rôle du procureur général Cavarroc est un très bon résumé de cette pratique de la loi rétroactive. Et décrit encore mieux l’engrenage qui mène à la généralisation du système : l’exception devient alors ordinaire. Les juges vont se convaincre eux-mêmes que de faire ainsi évite d’autres morts. Maurice Gabolde, lui, suit son mentor, Philippe Pétain (6).

 

Ils ont tort. Les Allemands l’ont bien compris, qui n’auront la première fois que trois guillotinés sur les six réclamés. Le 1er septembre, le colonel Speidel, affirme que « M. Pucheu a décidé d’accélérer les procédures de justice. Les exécutions françaises continueront à avoir plus d’effet que les exécutions allemandes », et qu’il « est souhaitable de renforcer les pouvoirs du ministre français de l’Intérieur ».

A l’étranger, Roosevelt a bien compris ce qui se passe. Tuer des otages innocents renforce la résistance, c’est le signe, quelque part, selon lui, d’une profonde faiblesse : celle du rejet du projet allemand et Vichyste "d’ordre nouveau".

 

Comme le dit aussi Paxton, " la crise d’août 1941 montre aussi comment Vichy, pris au piège de l’armistice, en vient à se faire de plus en plus complice de la répression ennemie". (in "La France de Vichy", p.218)  

Comment va-t-on les choisir et qui va le faire ? Le procédé, purement pifométrique, sera infect (7) : 

"Mais alors, qui prendre ? demande Dupuich à Dayras.

« Je n’ai pas entendu ce que Dayras a répondu à Dupuich, raconte Gabolde. Quand il a raccroché, le chef du service central du Parquet m’a seulement dit :

« Dayras fait confiance « au Parquet général. »« Et Dupuich a recommencé à brasser les dossiers. Il en a relevé deux, je ne me souviens pas des noms, mais c’étaientdes noms juifs, et il a alors ajouté « - Il faut prendre des juifs, au moins un juif... ». La sélection dure à peine vingt minutes. Finalement Dupuich dépose deux piles sur le bureau de M. Cavarroc, treize dossiers, qui portent chacun sur leur première page un nom coché d’un trait bleu par l’avocat général. « J’ai fait un tri, monsieur le procureur général. Ici, à gauche, les affaires qui m’ont paru les plus graves ; le reste est moins sérieux. » Cavarroc regarde les deux piles, la plupart des dossiers sont minces ; deux ou trois seulement ont quelque volume. « Quels sont les cas graves ? » Dupuich soulève, un par un, les dossiers :« Sampaix... dit-il ... Woog et Trzebrucki.. et puis... Bastard... Bréchet... Guyot..". (Villeré, page 294).

 Lucien Sampaix, grande figure de la résistance, qui avait si bien dénoncé le caractère antisémite du régime, avant même son accession au pouvoir, arrêté par des français, sera fusillé par les allemands au Mont Valérien avec Bernard Friedman le 15 décembre 1941, en même temps que Gabriel Péri. Les juges des sections spéciales l’avaient écarté de la guillotine car ils craignaient une trop grande réaction des communistes si des Français le guillotinaient...   Abraham Tzebrucki avait été arrêté le 25 mai 1941 : motif : "a envoyé de l’argent en faveur d’organismes contrôlés par la IIIe internationale"  : il possède en fait des timbres de l’association polonaise caritative "Solidarité" (pas celle des années 60).

Le 9 juillet, il est condamné à 5 ans de prison pour cela : on se doute bien que son statut de juif ne l’a pas aidé : il portait l’étoile jaune. André Brechet, militant communiste l’a été le 27 juin. Il sera passé à tabac à trois reprises par la police française, puis envoyé à la Santé le 3 juillet.

 

Le 18 août, après s’être défendu seul il écope de 15 mois de prison pour avoir détenu un tampon et une machine à écrire Ronéo. Il pense alors l’avoir échappé belle. Emile Bastard, qui a eu maille à partir avec la justice dans les années trente pour de menus délits est arrêté le 11 janvier 1941 gare Montparnasse où il devait prendre un train pour Lorient, où il avait trouvé un travail. Il est déféré pour "menées et propagande communiste", alors qu’il n’a jamais participé à quoi que ce soit de la sorte : il écope de deux ans d’enfermement. Il se mariera à la prison de la Santé. Le 26 août, malade, il est admis à l’hôpital de la prison. Le 27 août, les trois, choisis au hasard en 20 minutes, mais en respectant la directive de Pucheu, sont condamnés expéditivement à mort, et guillotinés dès le lendemain, le 28. Leurs proches l’apprendront plus tard. Le jour même, les allemands fusillent toujours de leur côté, notamment à Lille ou meurent Alfred Delattre, Marcel Delfly et André Lefebvre, pour sabotages. Le 29, l’admirable Henri Louis Honoré d’Estienne d’Orves (8), jeune polytechnicien talentueux, résistant sous le nom de "Châteauvieux", chef du réseau Nemrod, avec ses camarades Maurice Barlier et Yann Doornik, est fusillé au Mont-Valérien.  

Ça ne suffit toujours pas.

Les Allemands réclament toujours trois têtes de plus : Vichy leur offre sur un plateau le 23 septembre, où sont guillotinés Adolphe Guyot, Jacques Woog, et Jean Catelas, député communiste de la Somme qui s’était engagé en 1936 dans les Brigades Internationales. Tous trois condamnés à mort, pour "reconstitution de cellules communistes dissoutes et activités criminelles contre la sûreté du pays". Vichy guillotine des représentants élus de la République : ça n’en est donc plus une !

Horreur des horreurs, ce jour-là, un charbonnier, Foscardi, est condamné aussi à mort (mais son nom ne figure pas sur la plaque : a-t-il été considéré de droit commun seul ?).

Un magistrat affirmera cyniquement qu’il représentait une "prime au retard" pour les Allemands ! Des Allemands eux aussi cyniques, mais perspicaces, note Villeré :

"Plus tard, le 14 novembre, le colonel Speidel, puis le général von Stulpnagel s’étonneront auprès de M. de Brinon que les Français « n’exécutent, ni ne condamnent des personnes de condition aisée, appartenant aux classes supérieures de la nation »".

Vichy avait choisi ses victimes : des communistes, des ouvriers, et des juifs. Le résumé à rebours de son régime, celle d’une "révolution nationale" dédiée à la petite et grande bourgeoisie, lorgnant vers l’ancien régime. 

Le 23 juillet 1942, trois autres seront exécutés, et le 30 avril 1944 neuf autres encore.

Dix-huit au total. "Morts pour que vive la France" dit la plaque de la Santé.

Pour qu’elle vive, sans que Pétain ne revienne jamais, ou que l’on vienne l’encenser à nouveau.   Je laisse Hervé Villeré rédiger l’épilogue :

"Les corps de Bastard, de Bréchet et de Trzebrucki ne sont pas encore mis en terre, que le maréchal Pétain arrive, à 10heures 15, à Auch. Après la réception à l’Hôtel de ville, le chef de l’État assiste à des danses régionales. Puis, à la cathédrale Sainte-Marie, l’archevêque d’Auch l’accueille sous le porche. :"Grâce à vous, monsieur le Maréchal, la France s’est ressaisie. Elle s’est détournée des doctrines funestes que de mauvais bergers lui avaient enseignées." Ensuite le Maréchal va déjeuner. Au menu : des truites, du canard, et un saint-honoré".

Voilà ce qu’était Pétain, et les gens qui le soutenaient : des gens sans conscience.   Marcel Bertone, fusillé à 21 ans au Mont Valérien avait laissé une lettre à sa fille : 

"Ne baisse pas la tête parce que ton papa a été fusillé" (préface du livre de Villeré). Quand on meurt debout à cet âge sans baisser les yeux face au peloton d’exécution, et que l’on veille à garder la même tête haute à ses proches, c’est qu’on a une haute idée de ce qu’est un Etat, qui ne veut pas se soumettre au fascisme et à la dictature. Pour lui, et pour les autres, je ne laisserai jamais dire, ici ou ailleurs, que le Maréchal Pétain aurait pu être un bienfaiteur de la France, ou qu’il aurait pu "aider" les juifs.

Le petit chapelier guillotiné ne peut être oublié de la sorte. Une démocratie véritable n’agît pas comme il a agit, en faisant devenir l’exception la règle de son gouvernement abject qui a guillotiné au hasard des innocents.

En leur nom, et au nom d’un fusillé de 21 ans, je ne peux laisser salir ces mémoires.    

 

PS : J’ai habité Paris six ans, dans le XIV ème, pas très loin d’où habitait Coluche (il habitait rue Gazan). Un jour, je suis tombé à l’angle de la rue de la Santé et de la rue Jean Dolent sur une plaque qui m’avait bien intrigué. Apposée en fait sur un des murs de la prison de la Santé. Celle où l’on célébrait la mémoire de "18 antifacistes". Tous guillotinés, mais cela je ne le savais pas encore. J’ai noté sur un calepin le nom des trois premiers, qui bizarrement été séparés des autres : Brechet, Trzebrucki (9), Bastard. Un communiste, un juif, un ouvrier, fils de forgeron : tout ce que haïssait Vichy, tout ce que détestait Pucheu.

Rentré chez moi j’ai cherché qui ils étaient. Sans rien trouver : à l’époque, il y avait peu de documents disponibles. Puis, par hasard, je suis tombé sur le livre de Villeré, quelques semaines à peine après. Je l’ai toujours. Je n’avais pas vu, à sa sortie, hélas, le film de Gavras. Je me suis rattrapé depuis.  

 

Re-PS : quand à élucider le mystère de la phrase de Pleven, il ne faut pas chercher très loin... dans la magistrature. Lisez-donc cet édifiant hommage rend au procureur Raoul Cavarroc, écrit en 1961 par un dénommé Fénié, "avocat général à la Cour de cassation"... vous y trouverez pourquoi aussi longtemps le sujet avait été rendu tabou. L’homme a tranquillement continué sa carrière malgré sa participation aux sections spéciales.    

 

(1) C’est grâce au réalisateur Costa Gavras que les Français découvriront ce que furent les "sections spéciales", en 1975, dans le film du même nom : l’adaptation très fidèle du livre de Villeré. Il faudra encore attendre six années de plus pour qu’un universitaire, Michel Bergès, découvre des papiers attestant de l’implication de Maurice Papon dans la déportation des juifs de Gironde. La France a découvert fort tardivement ce qu’avait été réellement le Pétainisme : on comprend mieux la phrase de Pleven qui ouvre le livre de Villeré : pendant longtemps, près de 40 ans, le sujet est resté tabou. Plusieurs magistrats restés en activité avaient fait partie de ses sections spéciales. Quant au rôle des machines mécanographiques, il ne sera connu qu’en 2001 seulement....  

 

(2) Otto von Stülpnagel est le cousin d’Heinrich von Stülpnagel, qui lui succédera à Paris, ce dernier fera partie du complot pour assassiner Hitler, et en tant que tel sera lui-même pendu à un croc de boucher le 30 août 1944, après une tentative ratée de suicide !

Otto, lui, ramené en France en 1948 pour y être jugé pour ses exactions sera retrouvé pendu à la prison du Cherche-midi.

Pour mémoire, c’est lui qui avait fait arrêter et fusillé... Guy Moquet, parmi les vingt-sept fusillés du camp de Châteaubriant.  

 

(3) Hervé Villeré, "L’affaire de la section spéciale" p.154  

 

(4) La fille de Georges témoigne dans son livre : 

"Une histoire familiale dont le drame des camps de la mort n’est pas exclu puisque Andrée, l’épouse de Pierre Georges fut déportée au camp de Ravensbruck (juillet 43) .... Raymonde, l’épouse de Daniel Georges (frère de Pierre) périra quant à elle dans le camp d’Auschwitz en mai 43. "  

 

(5) Barthélémy mourra d’un cancer de la gorge le 26 mai 1945.  

 

(6) Gabolde fuira en Allemagne durant l’Eté 1944, puis en Espagne avec Laval et Abel Bonnard. Il sera condamné à mort par contumace le 13 Mars 1946. Il mourra en Espagne en 1972, où il avait bénéficié de l’asile politique (Franco mourra en 1975). Un autre personnage aura le même réflexe : Léon Degrelle.     

 

(7) Georges Dayras, secrétaire général du ministère de la justice, pourtant condamné à mort le 15 mars 1946, deviendra plus tard administrateur de la Compagnie Fermière de Vichy (voir aujourd’hui) et mourra en 1968. Sa peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité, et en1951, il bénéficiera d’une liberation conditionnelle. 

Victor Dupuich, avocat général, chef du service central du Parquet Général ne sera jamais poursuivi et mourra en 1957.

Vous avez dans la carrière d’après guerre du premier une partie de la réponse de Pleven sur les "porter préjudice à des intérêts privés"... Sur Dupuich, le discours d’Henri Gégout, Avocat général, à l’annonce de son décès vaut aussi largement celui sur Cavarroc :

"Ce rôle de direction, il l’assume aux jours sombres de l’occupation allemande : sans se départir de sa bonne grâce naturelle, il adopte, pour le bien général, une attitude de prudente réserve envers les suspects, je veux dire ceux qui composent avec les maîtres de l’heure, mais, à ses familiers, à ceux qui témoignent de leur patriotisme, il confie tous ses sentiments : ses sympathies sont acquises à la Résistance".

C’est un peu gros, là... Les guillotinés ont été passés à la trappe par l’avocat général.... son "au moins un juif", tout le monde l’a oublié...  

 

(8) D’Estienne d’Orves, avant de mourir, laissera ce formidable message d’espoir derrière lui : 

"N’ayez à cause de moi de haine pour personne, chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaître et à comprendre mieux le caractère des peuples voisins de la France".   (

9) Vichy aura la guillotine facile avouera Gabolde à Villeré 

"Sous la 3ème République, on ne guillotinait jamais les femmes. Or, en janvier 1941, on en a guillotiné une (Elisabeth Lamouly) à Bordeaux. Le Maréchal avait refusé d’accorder sa grâce. Je m’en souviens, parce que toute la magistrature fut surprise. Le 6 février 1942, aussi, on a guillotiné une femme (Georgette Monneron), à la Petite Roquette. Et quand je suis devenu garde des Sceaux, il y en a eu trois, d’un coup, en juin et enjuillet 1943, deux pour meurtres (Marie Legrand-Besse et Czeslawa Sirski), et une pour avortements. Je me souviens très bien de celle-là. Elle s’appelait Marie-Louise Giraud. Elle était de Quimper, je crois. Elle faisait ça pour rendre service, plus que pour de l’argent. Le Maréchal a refusé la grâce. Son cabinet m’a renvoyé le recours, avec la décision du chef de l’État. On avait laissé un blanc pour que le garde des Sceaux porte son avis.

"J’ai écrit : « Conforme. » Je ne pouvais pas faire autrement. Vous ne pouvez pas comprendre ce qu’était le Maréchal pour moi..."

 

Voilà qui écorne sérieusement l’image du Maréchal "protégeant la femme"... la veuve, et l’orphelin !

 

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