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Jeudi 21 février 2013
"Rien n'embellit autant le passé qu'une mauvaise mémoire" (Oscar Wilde)
Le récent scandale du cheval devenu bœuf par la magie d’un jeu d’écritures a de quoi faire sourire. Ou du moins il pourrait faire sourire si l’on ne retrouvait pas dans cette affaire la logique cent fois répétée de l’indignation gratuite et largement déconnectée de la réalité. Guy Béart dénonçait en son temps cette société du spectacle qui cachait le sang « sous la soie des papiers des mariages princiers ».
Aujourd’hui, un scandale somme toute banal donne le prétexte pour occuper l’essentiel de nos informations télévisées et la une des journaux et reléguer des sujets aussi secondaires que la crise ou le chômage aux pages intérieures.
Car les faits du scandale sont en eux mêmes tellement banaux qu’ils ne méritaient certainement pas un tel déferlement. Pensez-y : de la viande de cheval a été vendue pour du bœuf.
En fait, une banale tromperie sur la marchandise, tromperie aussi ancienne que le commerce lui même. Les auteurs grecs parlent déjà de la tendance de certains marchands à couper le vin ou le lait avec de l’eau pour augmenter leurs profits. Sans parler de ce pauvre Archimède, qui invente la première méthode de contrôle non destructif de l’histoire pour prouver que la couronne fabriquée pour Hiéron II, tyran de Syracuse, était bien en or pur, et non dans un alliage de moindre valeur. On pourrait donner des exemples, de ce genre de procédés dans toutes les époques. Depuis que le monde est monde les marchands ont cherché à faire passer des marchandises médiocres pour des marchandises de prix. Et cela n'a absolument rien à voir avec la mondialisation.
Vous me direz que ces pratiques ont quelquefois produit des résultats tragiques. C’est vrai : pensez aux huiles impropres à la consommation humaine vendues comme des huiles de cuisine qui ont fait plusieurs dizaines de morts en Espagne il y a quelques années. Certains marchands peu scrupuleux ont poussé la tromperie jusqu’à mettre en circulation des marchandises qui non seulement étaient trompeuses, mais dangereuses. Mais rien de tel dans l’affaire qui nous occupe. La viande de cheval vendue à l’insu des consommateurs avait, pour autant qu’on sache, subi les contrôles vétérinaires exigés par la législation et avait été travaillée dans les règles de l’art. La santé des consommateurs n’a jamais été mise en cause. Alors, pourquoi tout ce ramdam ?
Probablement parce que cette affaire permet à chacun d’y retrouver ses marottes. Les eurolâtres profitent pour nous expliquer combien cette affaire montre qu’il faut « plus d’Europe », puisque les contrôles nationaux ne peuvent plus nous protéger à l’ère de la mondialisation. Les altermondialistes nous expliquent au contraire que tout cela c’est la faute de la mondialisation, avec la multiplication des intermédiaires et de la circulation des marchandises, et trouvent des appuis à leur idée de « consommer local ».
Les partis de la « gauche radicale » déclarent que c’est la faute au capitalisme mondialisé et à la recherche du profit. En d’autres termes, il y en a pour tout le monde. Et en plus, chacun peut traiter l’affaire sur le ton de l’indignation morale sans risque d’être contredit : qui ira défendre Spanghero et sa politique d’étiquetage créatif ?
C’est aussi pour tout le monde une opportunité pour proposer des solutions genre « faut que y’a qu’à », ce qui est tout de même plus facile que de s’attaquer à des questions structurelles comme le chômage, la crise économique, la désindustrialisation qui, elles, ne se prêtent pas aux analyses à l’emporte-pièce. Le fait divers sert depuis bien longtemps comme succédané d’information.
Et ce n’est pas près de changer. Il y a cependant derrière toute cette agitation un gros danger : la banalisation d’une idéologie réactionnaire et irrationnelle, celle de la « malbouffe ». En fait, jamais tout au cours de l’histoire nous n’avons mangé aussi bien qu’aujourd’hui. Que ce soit en termes de variété, de quantité, de qualité sanitaire des produits, de goût et même – n’en déplaise à ceux qui prennent l’affaire Spanghero pour une généralité - de traçabilité. C'est d'ailleurs la principale explication, avec les progrès de la médecine, de la progression de l'espérance de vie.
Ceux qui pensent le contraire se réfèrent à une vision idéalisée du passé. Et comme disait Oscar Wilde, rien n’embellit autant le passé qu’une mauvaise mémoire. Essayez de vous rappeler, chers lecteurs, comment vivaient vos grands parents ou vos arrière-grands parents.
Du temps ou l’on ne mangeait de la viande qu’une fois par semaine, des pommes de terre à tous les repas, un fruit de temps en temps... Du temps où le français consommait en moyenne un demi-kilo de pain par jour (c’est dire qu’il n’y avait pas grande chose d’autre sur la table). Vous me parlerez peut-être la larme à l’œil des tomates goûteuses cueillies dans les jardins, du bœuf élevé dans le pré et les poules courant en liberté.
Certes. Mais tout ça vous pouvez l’avoir aussi aujourd’hui, à condition d’en payer le prix. Vous trouverez sans problème des marchands qui se feront un plaisir de vous vendre ces denrées à prix d’or. Et c'est à ce prix là que le payaient nos arrière grands parents quand ils voulaient se les offrir. A côté, vous pouvez acheter des produits industriels, peut-être moins goûteux, mais bien plus accessibles et tout aussi sains. Et chacun peut choisir s’il préfère manger un poulet de batterie tous les jours où un poulet « de luxe », comme celui de nos grands parents, une fois par semaine comme nos grands parents.
Quant à la qualité sanitaire… j’ai encore en mémoire les histoires que racontaient mes parents d’intoxications alimentaires avec des conserves « gonflées » ... Il ne faut pas se faire trop d’illusions : les fromages et les œufs « maison » renfermaient souvent des bactéries assez méchantes, les conserves de grand-mère portaient souvent le botulisme, le cochon qu’on tuait chez soi ne subissait souvent pas de contrôle vétérinaire et la trichinose ou les cistes du porc pouvaient amener des grosses surprises.
Ce que l'affaire Spanghero révèle, c’est le paradoxe des sociétés contemporaines : alors que sur le plan des idées l’individualisme est roi, en réalité nous sommes de plus en plus interdépendants les uns des autres. Recherchant à chaque fois à améliorer l’efficacité du système productif, le capitalisme a poussé la division du travail à un niveau tel que chacun de nous est pratiquement incapable de survivre indépendamment des autres. Et la conséquence est que nous sommes obligés de faire confiance aux autres, ainsi qu'aux mécanismes sociaux de contrôle et de régulation.
Les biens que nous consommons, les appareils que nous utilisons sont beaucoup trop complexes, leurs circuits de fabrication trop variés pour que nous puissions juger par nous-mêmes de leur efficacité et de leur innocuité. Nous sommes obligés de faire confiance à des experts qui les analysent et à l’étiquette qui est sur la boîte, c'est-à-dire, en dernière instance au fabriquant qui la produit et au service de l’Etat qui la contrôle.
Et de temps en temps, forcément, nous serons trompés par un marchand indélicat. C'est inévitable. Le risque est que l’amplificateur médiatique transforme l’exception en généralité. Les lasagnes de cheval déguisé en bœuf sont l’exception, et non la règle. Les médicaments qui tuent sont infimes comparés aux médicaments qui sauvent. La plupart des produits que nous achetons sont fiables et sains, et le système de contrôle, même s’il n’est pas efficace à 100%, ne marche pas si mal que ça. Ne nous laissons pas convaincre du contraire par les marchands de peur dont le faux scandale est le gagne-pain.
Descartes