Pas d’accord à l’Eurogroupe ce lundi, malgré des concessions grecques. (Photo: Jean-Claude Juncker accueille Alexis Tsipras à Bruxelles
le 22 juin 2015)

Malgré de nouvelles concessions faites par le gouvernement grec, aucun accord n’est sorti de l’Eurogroupe de ce lundi 22 juin. La cible des ministres des Finances de la zone euro reste la levée des “lignes rouges.”

Les négociations entre la Grèce et ses créanciers ressemblent de plus en plus au paradoxe de la flèche de Zénon d’Elée: plus on se rapproche du but et plus on s’en éloigne. L’Eurogroupe « de la dernière chance » de ce lundi 22 juin devait déboucher sur un accord, il a débouché sur un nouveau report des « discussions » à jeudi 25 juin. Pourtant, encore une fois – et pour la troisième fois en dix jours -, la partie grecque avait fait un gest en faveur des créanciers.

Nouvelles concessions grecques

La dernière proposition grecque ne touche pas aux retraites complémentaires pour les plus pauvres, mais prévoit leur remplacement par un “revenu minimum garanti” en 2020. Aujourd’hui, ce complément concerne 230.000 personnes de plus de 65 ans qui touchent entre 50 et 250 euros supplémentaires par mois. La proposition prévoit de couvrir le maintien des pensions par des hausses de cotisations de 3,9 %, la hausse des contributions santé des retraités de 4 % à 5 %, une contribution des retraites complémentaires à 5 %et la suppression des départs anticipés à la retraites. Les salariés seront donc mis à contribution. Par ailleurs, le gouvernement grec a reculé sur le relèvement de 10 points de la TVA sur l’alimentation. Il a également été décidé de relever l’impôt sur le revenu dès 30.000 euros de revenus annuels et de créer une taxe sur les entreprises de plus de 500.000 euros de chiffres d’affaires de 12 %.

Le gouvernement grec a donc sauvé ses “lignes rouges”, même s’il y a des concessions sur les retraites anticipées qui jusqu’ici devaient être “désincitées” et la TVA.

Un accord dans la semaine, mais sur quelles bases ?

Mais, encore une fois, ces concessions ne sont pas suffisantes aux yeux de l’Eurogroupe. Certes, son président, Jeroen Dijsselbloem, a estimé que la dernière proposition grecque était “un pas en avant”. On parle pour la première fois d’une proposition “complète” et l’on vise un accord “dans la semaine”.

Pour justifier l’incapacité de l’Eurogroupe à trouver un accord dès ce lundi, on explique que les propositions grecques sont arrivées trop tard. L’argument est assez étrange, car la presse mondiale disposait, dès dimanche soir, de ces propositions. Sans doute plus proche de la vérité, le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovskis, a indiqué que la proposition grecque était un « pas dans la bonne direction », mais il affirmait qu’il y avait « beaucoup de travail avec les institutions. »

Bref, il faut encore changer quelque chose. Donc, il faut encore plus de concessions grecques. Du reste, Wolfgang Schäuble avait tué tout suspense avant la réunion en affirmant qu’il ne voyait “pas de différences entre les propositions de ce lundi et celles de jeudi dernier”

La stratégie du « toujours plus » de l’Eurogroupe

On voit donc se dessiner la stratégie de l’Eurogroupe : exiger toujours plus de concessions, pilonner sans cesse les lignes rouges du gouvernement grec pour les abattre. Le but de cette instance n’est pas de trouver un « compromis », c’est de supprimer ces lignes rouges, autrement dit la hausse de la TVA sur l’électricité et l’énergie, et de pratiquer des coupes dans les pensions. Peu importe que la Grèce propose des équivalences, l’Eurogroupe veut profiter du peu de temps qu’il reste jusqu’à la date butoir du 30 juin – date à partir de laquelle le défaut vis-à-vis du FMI deviendra effectif – pour faire céder le plus possible Athènes.

Chaque concession est donc prise comme un aveu de faiblesse d’Athènes et conduit donc à enfonce davantage le clou. C’est la preuve que le but des créanciers n’est pas d’obtenir de simples garanties sur le remboursement de leurs créances, mais d’ouvrir avec l’accord un nouveau front, politique celui-là : mettre en difficulté, par ses concessions, Alexis Tsipras dans son propre camp.

Contrairement à ce que martèle la presse occidentale, ce dernier n’est pas « otage » de son aile gauche, qui a accepté les concessions jusqu’aux lignes rouges, il est bien plutôt otage des créanciers qui le poussent à abandonner ces lignes rouges.

L’intérêt de placer l’Eurogroupe avant le Conseil

Cette stratégie a été rendue possible par un jeu sur le calendrier. Après l’échec de l’Eurogroupe de jeudi dernier, le président du Conseil européen, Donald Tusk, avait convoqué un sommet ce lundi 22 juin. Athènes espérait que ce sommet permettrait de décider d’un accord entre chefs d’Etats et de gouvernements sur des concessions communes. Ces derniers auraient ensuite pu imposer leurs décisions à leurs ministres des Finances. Mais le diable se cache dans les détails. Le calendrier a été inversé. On a continué à donner la priorité à l’Eurogroupe qui a été placé avant le conseil.

Or, l’Eurogroupe est dominé par Wolfgang Schäuble et le très discipliné Jeroen Dijsselbloem qui tente d’arracher actuellement le renouvellement de son mandat. En son sein, aucun accord politique n’est possible puisqu’il ne s’agit que d’un examen en théorie technique des propositions. Or, si l’Eurogroupe a échoué, le conseil qui suit ne peut être qu’inutile, et ne peut que conclure à une attente des négociations au sein de l’Eurogroupe… Du reste, ce report de l’accord est aussi un échec pour les autres pays de la zone euro, en particulier la France. Depuis 24 heures, François Hollande appelait en effet à un accord “maintenant”. Encore une fois, il n’a pas été écouté.

Nouveau bluff d’Angela Merkel ?

Reste à savoir si ce nouveau délai est un nouveau coup de bluff de l’Allemagne. Angela Merkel pourrait bien avoir laissé carte blanche à Wolfgang Schäuble afin d’arracher de nouvelles concessions aux Grecs pour disposer d’un accord « mieux vendable » auprès de son camp au Bundestag. Les signes positifs envoyés ce lundi signifient également que la Chancelière n’est pas prête à prendre le risque d’un défaut sur le FMI le 30 juin. Un accord sur la base de la proposition grecque pourrait donc être trouvé cette semaine. Désormais, il sera bien difficile de servir aux opinions publiques occidentales la litanie de “l’intransigeance grecque”. Mais le but principal de la manoeuvre allemande pourrait bien être d’enterrer toute proposition sur la restructuration de la dette. Ce serait alors le respect de lignes rouges écornées contre le maintien du joug de l’endettement.

Marges de manœuvre réduites pour Alexis Tsipras

Au reste, la marge de manœuvre d’Alexis Tsipras est désormais réduite. On le voit mal rogner encore sur ses lignes rouges. Ses propositions à l’Eurogroupe sont déjà extrêmement éloignées du programme de Syriza. Certaines d’entre elles ressemblent à s’y méprendre à de l’austérité : la hausse de l’impôt sur le revenu dès 30.000 euros de revenus annuels va frapper la classe moyenne, la hausse de la TVA sur l’alimentation et la restauration sera sans doute aussi fortement ressentie par les ménages. Certes, il peut compter sur l’effet de l’intégration de la Grèce au programme de la BCE d’assouplissement quantitatif en cas d’accord, et sur un redémarrage « de rattrapage » de l’économie après cinq mois de blocage. Mais, s’il ne parvient pas à se présenter devant le parlement en pouvant prétendre avoir sauvegardé ses « lignes rouges », il aura du mal à prétendre avoir rompu avec l’austérité. Il avait prévenu ce week-end qu’il s’agissait de la “dernière offre”grecque.

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 22 juin 2015.

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Grèce : pourquoi la question de la dette est désormais centrale

Pour maintenir sa majorité, Alexis Tsipras doit, d’ici à jeudi, éviter de faire de nouvelles concessions aux créanciers, mais aussi obtenir un accord sur la dette. Une tâche difficile.

Les larges concessions acceptées par Alexis Tsipras pour obtenir un accord avec les créanciers dès ce jeudi 25 juin ont conduit la gauche de Syriza à faire part de sa mauvaise humeur, ce mardi matin en Grèce. Dans uneinterview accordée à Die Zeit, le député et économiste Costas Lapavitsas, une des principales figures de cette aile gauche, ne refuse pas explicitement ces concessions, mais il prévient qu’il ne votera pas de « nouvelles mesures d’économies » et fait clairement savoir sa préférence pour une sortie de l’euro. De son côté, le vice-président du parlement Alexios Mitropoulos a prévenu, à la radio ce mardi 23 juin au matin, que la proposition grecque ne sera pas adoptée au parlement telle quelle.

Moins de lignes rouges, moins de majorité

Rien d’étonnant à cette révolte : les « lignes rouges » d’Alexis Tsipras avaient précisément pour vocation de maintenir l’unité interne de Syriza. Une fois ces dernières largement écornées, les tensions internes au parti renaissent logiquement. Le but principal des créanciers, celui de contraindre le premier ministre hellénique à devoir s’allier avec les centristes de To Potami, voire avec la droite au parlement, a donc à nouveau ses chances. Pour éviter un tel scénario, Alexis Tsipras  devra convaincre la gauche de Syriza que ses reculs sont non seulement nécessaires, mais qu’ils permettent de remplir les principaux objectifs du parti.

Comment maintenir la majorité d’Alexis Tsipras

Dans son interview à Die Zeit, Costas Lapavitsas résume ces conditions : pas de politique d’austérité, un plan de restructuration de la dette publique et un plan d’investissement. Alexis Tsipras peut toujours prétendre que, malgré ses concessions, il aura évité le pire en réduisant la facture demandée par les créanciers. A condition que, d’ici à jeudi, aucune nouvelle exigence ne naisse du côté des créanciers. Concernant le plan d’investissement, Jean-Claude Juncker, soucieux de passer pour bienveillant sur la Grèce, propose un plan d’investissement (qui reste à définir, sera-ce de l’argent réel ou inclut-il un « effet de levier ») de 35 milliards d’euros. Reste alors la question, désormais centrale, de la dette.

Les leaders européens, lundi soir, ont exclu toute négociation sur la dette. Or, on le comprend, Alexis Tsipras ne peut réellement « vendre » au parlement un accord sans un plan sur la dette. Selon une source gouvernementale grecque, “nous insistons sur un règlement de la dette, il sera inclus dans l’accord”.

Mais cet optimisme devra être confronté à la logique européenne, notamment allemande, qui, depuis le premier jour, refuse d’évoquer le sujet. Au mieux, Alexis Tsipras pourrait arracher une promesse de restructuration “plus tard, lorsque la confiance sera revenue”. La même qu’avait obtenu son prédécesseur Antonis Samaras en novembre 2012, sans qu’elle ne soit suivie d’effet…

La dette, une question centrale

Pourquoi cette question de la dette est-elle centrale, alors que la dette aux Etats européens n’est remboursable qu’à partir de 2020 ? Parce qu’accepter des mesures d’austérité sans restructuration de la dette ferait revenir la Grèce entièrement à la logique précédente où les excédents budgétaires ne servaient qu’au remboursement éternel des créanciers.

Autrement dit, l’économie grecque serait ponctionnée pendant des années par des taxes et plombée par des mesures budgétaires restrictives (l’excédent primaire doit être de 3,5 % du PIB à partir de 2018 dans le nouvel accord) afin de rembourser les créanciers. Ce serait, en pire, la situation italienne depuis le milieu des années 1990 où les excédents primaires se succèdent et conduisent à un affaiblissement de la croissance qui, à son tour, rend les excédents primaires encore plus nécessaires… Un cercle vicieux qui laisserait l’économie grecque, malgré les investissements Juncker et l’assouplissement quantitatif de la BCE, dans des tourments infinis, la Grèce n’ayant pas, comme l’Italie, un secteur exportateur fort.

Eviter le « coup d’Etat financier »

Mais cette logique ne prévaut guère devant celle des créanciers qui peut se résumer par ces mots : « pas un euro des contribuables aux Grecs. » La tâche désormais du gouvernement grec d’ici à jeudi est d’arracher un accord sur la dette afin de maintenir dans la majorité le plus de députés de Syriza possible et éviter que les créanciers ne réussissent à obtenir ce qu’ils cherchaient depuis le début : la destruction de la majorité du premier ministre. Reste à savoir ce qu’Alexis Tsipras fera s’il n’y parvient pas…

Source : Romaric Godin, pour La Tribune, le 23 juin 2015.