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Le Front National et les fonctionnaires : statistiques d'influence par catégorie, par Jacques Sapir

Fonctionnaires et Front National

 

par JACQUES SAPIR ·

9 JANVIER 2016

 

Les enquêtes électorales réalisées au moment du premier tour des élections régionales de décembre dernier ont révélé que le vote Front National avait fortement progressé au sein des fonctionnaires français (qu’ils soient d’Etat, de la Fonction Publique Territoriale ou de la Fonction Publique Hospitalière).

Bien entendu, une certaine presse (Libération pour la nommer) s’est empressée de s’inquiéter de taux de votants pour le Front National au sein de fonctionnaires de sécurité (Armée et Police). Il est vrai que le taux de votants pour le Front National est spectaculaire pour ces catégories, dépassant les 51%.

Mais, on constate qu’en réalité la progression depuis 2012, si elle est forte dans ces catégories, est aussi spectaculaire dans d’autres catégories. L’arbre, ici, pourrait bien cacher la forêt. Un deuxième point important réside dans les causes révélées par ces enquêtes de ce vote Front National.

L’enquête publiée par le CEVIPOF [1] doit donc être analysée dans sa globalité. Elle montre qu’aux élections de décembre 2015 le Front National s’est bien implanté dans le « secteur public » au sens large.

 

Tableau 1

Pourcentage de votants pour le Front National au 1er tour

2015

Moyenne nationale 27,3%

Salariés du privé 29,0%

Salariés du public 24,6%

Entreprises publiques 28,6%

Première constatation, le chiffre pour les salariés des entreprises publiques est pratiquement le même que pour les salariés du privé. De ce point de vue, le vote Front National a « unifié » les deux secteurs de l’emploi salarié en France. Quand on regarde les personnels des différentes catégories de la fonction publique, hors salariés des entreprises publiques, les résultats sont assez remarquables.

Tableau 2

Pourcentage de votants pour le Front National au 1er tour dans la fonction publique par catégories

Fonction publique de l’État 22,7%

Catégorie A (dont enseignants) 12,0%

Catégorie B 29,8%

Catégorie C 33,6%

Fonction Publique Territoriale 23,5%

Catégorie A 15,9%

Catégorie B 20,2%

Catégorie C 26,7%

Fonction publique Hospitalière 26,0%

Catégorie A 17,9%

Catégorie B 16,3%

Catégorie C 38,9%

Le vote est d’autant plus important pour le Front National que les fonctionnaires sont des catégories « B » et « C », et sont directement en contact avec le public. C’est évident pour la « Fonction Publique d’Etat », qui inclut les fonctionnaires de police, les militaires, mais aussi les enseignants.

Il faut aussi remarquer que ce mouvement est aussi très marqué dans la fonction publique territoriale et de manière spectaculaire dans la fonction publique hospitalière où le personnel de catégorie « C » (brancardier, aides-soignants) est largement exposé aux incivilités du public.

En un sens cela confirme bien que ce sont les fonctionnaires les plus exposés dans leur activité professionnelles aux effets du démantèlement de l’Etat qui réagissent de la manière la plus forte, en particulier par le vote pour le Front National.

Si l’on regarde, maintenant, la progression du vote entre les élections présidentielles de 2012 et les élections régionales de décembre 2015, on constate aussi des mouvements spectaculaires.

Tableau 3

Pourcentage de votants pour le Front National au 1er tour en 2012 et 2015

2012 2015

Accroissement

Ecart à la moyenne nationale

Fonction publique de l’État 16,0% 22,7% 41,9% -4,6%

dont Professeurs des écoles 6,0% 9,8% 63,3%  -17,5%

dont

Enseignants du second degré 5,0% 9,2% 84,0% -18,1%

Dont Policiers et Militaires 30,0% 51,5% 71,7%  +24,2%

Fonction Publique Territoriale 17,0% 23,5% 38,2% -3,8%

Fonction Publique Hospitalière 19,0% 26,0% 36,8% -1,3%

Entreprises publiques 22,0% 28,6% 30,0% 1,3%

Bien sûr, la progression est forte chez les policiers et militaires ; mais elle l’est aussi chez les enseignants, et en particulier les enseignants du second degré (Lycées et Collèges). En fait, ce que révèle cette enquête, c’est le début de la fin de certaines spécificités. Bien des analystes pensaient que les enseignants ne pouvaient pas être tentés par un vote pour le Front National. L’enquête prouve ici le contraire.

Bien sûr, le nombre absolu de policiers et de militaires votant pour le Front National est important, et largement supérieur (de plus de 24 points) avec la moyenne nationale. Mais, ceci ne doit pas masquer une progression forte dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières (et ce d’autant plus que l’on s’intéresse à la catégorie « C »), et surtout l’émergence d’un vote Front National chez les enseignants.

Ceci doit être corrélé à une autre enquête qui montre que le vote pour le Front National est d’autant plus élevé que le revenu du foyer est faible [2]. 

Tableau 4

Pourcentage de votants pour le Front National en fonction du revenu du foyer

Niveau de revenu / Pourcentage

Moins de 1250 € 36%

1500 € à 1999 € 34%

2000 € à 2499 € 33%

2500 € à 3499 € 32%

3500 € à 5999 € 25%

6000 € et plus 19%

Cela constitue le Front National en parti représentatif des couches populaires.

L’enquête montre aussi que la progression entre 2012 et 2015 a deux sources. Une radicalisation du vote traditionnel de droite et une évaporation du vote pour la « gauche de la gauche » (Front de Gauche et extrême-gauche réunis). Le Front National a donc gagné des voix aux deux extrêmes du spectre politique. Les motivations de ce vote pour le Front National sont multiples. Il y a clairement un malaise profond des fonctionnaires lié à la dégradation de leurs conditions de rémunération (le fameux « blocage du point d’indice ») mais aussi de travail. Ces fonctionnaires, policiers, aides-soignants, enseignants, sont en première ligne face à la dégradation de la société française. Ils sont les premiers témoins, et souvent les premières victimes, de la déliquescence de l’Etat et de la montée du communautarisme. Cela explique aussi leurs réactions très négatives face à l’Islam.

Il faut ici noter que ce qui avait pu, dans une certaine mesure, retenir ces fonctionnaires de basculer vers le Front National, en particulier la présence d’un discours très centré sur l’Etat que ce soit dans la droite de tradition gaulliste que dans une gauche influencée par le PCF, a cédé avec tant l’effacement de la droite gaulliste au profit d’une droite libérale que la conversion de la gauche non-Socialiste à l’idéologie « européiste ». Cette conversion date maintenant de plus de quinze ans. Mais, c’est aujourd’hui qu’elle provoque ses effets électoraux, effets qui seront probablement appelés à perdurer dans le temps.

 

[1] Rouban L., « L’ENQUÊTE ÉLECTORALE FRANÇAISE : COMPRENDRE 2017. Les Fonctionnaires et le Front National », CEVIPOF, Paris, Décembre 2015,

[2] Perrineau P., « La Dynamique du Front National », note du CEVIPOF, Paris, Décembre 2015.

 

Tag(s) : #Politique française
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