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Pourquoi Fillon est une inquiétante machine à faire voter Marine Le Pen.   L'opinion de "Challenge's"

Challenges

François Fillon, réactionnaire sociétal et ultra-libéral thatchérien est-il le bon candidat de la droite qui devrait dépouiller Marine Le Pen d'une grande partie de ses électeurs? Si l'on y regarde de près, rien n'est moins certain. Au contraire.

La petite musique médiatique monte: François Fillon, le candidat des curés et des notaires, serait le meilleur rempart contre le Front national. Le député de Paris serait tellement réactionnaire qu’il est appelé à asphyxier la candidature Marine Le Pen. Fillon, futur candidat de toutes les synthèses de la droite, du centre au FN, va dérober à Marine Le Pen la frange de ses électeurs catholiques, campagnards et provinciaux qui auraient répugné à voter Sarkozy ou Juppé, mais sont désormais inéluctablement appelés à voter pour le candidat de l’identité populiste chrétienne.

L’affaire paraît entendue. Comme s’il était évident que la double promesse Fillon, la Manif pour tous et Thatcher, devait vider Marine Le Pen de sa substance politique. On ose ici écrire qu’il est possible que cela soit l’inverse, et ce sur les deux fronts où se mènera la bataille, le culturel et le social.

Commençons par le culturel, donc le religieux. Et constatons, pour Marine Le Pen, l’utilité de Marion Maréchal-Le Pen.

Il existe au sein du Front national un courant catholique ultra réactionnaire, plus encore que ne l’est l’ultramontain Fillon, qui suffira, sans doute, à enrayer l’hémorragie potentielle, et ce courant est incarnée par la petite-fille de Jean-Marie Le Pen. Cette dernière ne rate jamais une procession ou un pèlerinage, et s’affiche partout où se manifestent les manifestations liées à l’exercice des superstitions catholiques.

Tandis que Marine Le Pen et Florian Philippot négligeaient ostensiblement la Manif pour tous et la lutte contre l’instauration du Mariage entre personnes de même sexe, Marion Maréchal-Le Pen et la jeunesse frontiste catho-tradi, voire plus si affinités, n’hésitaient pas à poser aux côtés de Frigide Barjot, allant même jusqu’à participer, selon cette même Frigide Barjot, au complot des réactionnaires de tous horizons qui aboutit à la prise du pouvoir au sein du mouvement en faveur de Ludovine de la Rochère.

Marion Maréchal-Le Pen, l'assurance ultra catho

Marion Maréchal-Le Pen est un potentiel problème de temps long pour sa tante, mais sur temps court, elle est une assurance électorale ultra catho. Rappelons ici un élément objectif: si l’on en croit un récent sondage IFOP, 38% des électeurs du FN se reconnaissent encore dans les valeurs de la Manif pour tous diffusées au sein de la société française, contre seulement 29% des électeurs Les Républicains. La logique de la Primaire, et l’habile campagne Fillon envers les électeurs LR s’identifiant à la Manif pour tous a permis à l’ancien Premier ministre de Sarkozy de mobiliser en sa faveur de gros bataillons de cet électorat, mais il ne s’agissait que d’une Primaire, justement, Primaire organisée à destination d’une clientèle particulière, et non d’un premier tour d’élection présidentielle.

Aujourd’hui, en l’état, il est pour le moins aléatoire de conclure, au vu des éléments dont on dispose, que les électeurs catholiques du FN puissent glisser d’un vote Le Pen à un vote Fillon. 38% plus Marion Maréchal Le Pen en tête de pont, cela paraît offrir un point d’ancrage pour le moins solide, a priori.

Après le culturel, venons en social.

Florian Philippot ne s’y est pas trompé. Dès l’annonce des résultats proclamant l’inéluctable victoire de François Fillon, sur Itélé et BFMTV, il s’est attaqué au programme économique et social du probable candidat Les Républicains à l’élection présidentielle.

"Une violence inouïe"

Philippot sait où il faut frapper: "Fillon est clairement ultralibéral, clairement pour l'austérité", "c'est un programme d'une violence inouïe", "Le programme de Fillon est dur: 500.000 fonctionnaires en moins, notamment dans la ruralité, et une hausse de la TVA", "Le bilan Fillon, c'est 12.500 postes de gendarmes et de policiers en moins, 700.000 chômeurs de plus." Les coups pleuvent. Philippot fait du Christophe Guilluy et il est possible, si ce n’est probable, que ce soit efficace.

Philippot sait le sentiment d’abandon de la population de la France des territoires en proie à la hantise du déclassement social, qui redoute la perte de repères sociétaux et vit dans l’idée que les élites la négligent.

Philippot sait que les classes populaires de ces territoires, constatent chaque jour, à échelle locale, la disparition des éléments garants de l’Etat protecteur: la poste, la gendarmerie, la maternité, la caisse d’allocations familiales, l’hôpital public, la caserne… L’Etat providence qui se meurt… La gauche Hidalgo qui se moque des embouteillages qu’elle provoque dans les banlieues… Les lignes SNCF supprimées au nom d’une rentabilité falsifiée… Les kilomètres en plus qu’il faut accomplir pour accoucher… Cette France des territoires vit tous les jours ce que signifie concrètement la suppression des postes de fonctionnaires, donc de services publics de proximité. Et cette France est en colère.

Philippot sait aussi son électorat composé de chômeurs persuadés que l’immigré est venu lui voler son travail. Le chômeur qui vote FN ne redoute pas tant le musulman que l’étrange dont la force de travail est exploitée par des patrons sur fond de dumping social. Comment ce chômeur, déjà désespéré de la gauche Valls, pourrait-il voter Fillon, qui promet de lui pourrir encore davantage la vie en lui diminuant ses allocations chômage au bout de quelques mois?  Comment les 50% de chômeurs, soient 1.400.000 électeurs potentiels et leurs familles, qui perçoivent moins de 970 euros nets par mois pourraient avoir envie de soutenir ce Fillon qui veut les réduire à la pauvreté?  

Philippot sait que le programme économique et social de Fillon est un atout politique majeur.

Le bouclier et le glaive

Fillon est le candidat du peuple de droite, à l’exclusion de tous les autres. Le candidat de la droite bourgeoise, de la rente et de l’aisance. Le candidat du culturel, mais pas du social. Le candidat majoritaire à droite d’une droite minoritaire en France. Le candidat parfait pour une Marine Le Pen ancrée dans le social, et promet à la France que menace ce "thatcherien" Fillon non pas de la sueur, du sang et des larmes, mais de la protection, de l'autorité et de la rassurance. Marine Le Pen se pose en bouclier, contre le glaive François Fillon. L’un et l'autre sont incompatibles.

Si l’on veut bien prendre en considérations les données ci-dessus, la problématique s’inverse. Il ne s’agit pas de savoir si Fillon va vider le réservoir FN d’une grande partie de ses électeurs, mais plutôt de savoir si Marine Le Pen ne risque pas de lui en voler bien davantage encore en retour, notamment ceux des classes populaires qui votent encore LR et pourraient aussi s’inquiéter d’un programme économique et social d’une violence incontestable. Ici se situe la réalité de l’enjeu politique.

La gauche devrait tirer les conclusions de cette situation inédite. Vu que l’écrasante victoire de Fillon est parée de bien des apparences trompeuses, il est un espace politique possible où elle pourrait bien parvenir à glisser l’un des siens au second tour de l’élection présidentielle, à condition de trouver le bon candidat commun. Ce qui implique, sans aucun doute, de ne pas faire du neuf avec du vieux. Plus que lors de la Primaire du PS, qui s'annonce tragique, c'est au premier tour de l'élection présidentielle que tous les électeurs de la gauche auront le destin de leur camp entre les mains. Comme le disait Mitterrand, face à ces deux formes d’extrême droite et de droite extrême, le bon candidat des forces de progrès devra "être central sans être centriste". A méditer.

 

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