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Un portrait de Macron :  "Son 18 Brumaire, c'est celui que Marx analyse quand il dissèque la prise du pouvoir par le Prince-Président, futur Napoleon III"

Actualités

Arnaud Benadetti,  professeur associé en histoire de la communication à l'Université Paris IV La Sorbonne, vient de publier aux Editions du Cerf, "Le coup de com'permanent",

Un essai sur la communication de Jupiter

Extraits.

Vous mettez en scène Emmanuel Macron avec des références : qu'y a-t-il du 18 juin, du 13 mai 1958 ou encore du 18-Brumaire dans l'avènement ou la pensée de Macron ?

 

«Macron fait une lecture orthodoxe des institutions. Quand tous à droite et à gauche, parmi les partis de gouvernement, se précipitent dans l'infernale machine des primaires, il considère que l'élection présidentielle procède d'une rencontre exclusive entre un homme, un moment et un peuple. Le 18 Brumaire, le 18 juin, le 13 Mai sont des événements, chacun à leur manière, qui portent ce triptyque : le chef, les circonstances irréductibles, les Français… Macron, à sa façon et dans l'écrin de notre époque, reproduit cette mythologie.

Du 18 Brumaire et du 13 Mai, il endosse cette idée qu'il faut un homme nouveau ou d'exception pour redresser le pays anémié par un régime à bout de souffle.

Du 18 juin, il fait sienne cette approche que l'adversité et la solitude construisent l'homme. Le packaging, de par ses références subliminales, serait séduisant s'il n'était pas justement qu'un packaging. Macron a été la planche de salut des partisans de la mondialisation heureuse, ceux qui gouvernent depuis des décennies dans les vieux États-nations, qui managent les instances supranationales et qui représentent peu ou prou la sociologie optimiste des centres urbains des grandes métropoles.

Il est plus l'homme d'un système — la pensée unique — que d'«une certaine idée de la France».

Vous voyez dans la démission de Macron, l'annonce de sa candidature et l'arrivée au pouvoir, une suite logique qui se serait servie de la com'pour triompher de l'adversité. L'avènement de Macron n'est-il dû qu'à la communication ?

Macron est d'abord le produit d'une situation politique. Homme des élites, il transporte dans les diligences de sa longue marche tous ceux qui se réclament du «cercle de la raison», ce dogme élaboré en son temps par Alain Minc.

Sauf qu'à la différence de ses prédécesseurs, le nouveau Président entend accélérer l'adaptation de la France aux standards des oligarchies mondialisées. Il surgit au moment où une vague populiste (Trump aux États -unis, Brexit au Royaume -uni, etc…) mettent à mal cette vision du monde.

Son 18 Brumaire, c'est celui que Marx analyse quand il dissèque la prise du pouvoir par le Prince-Président, futur Napoleon III. L'effondrement des partis de l'ordre (Orléanistes et légitimistes hier, socialistes et républicains aujourd'hui) ouvre la voie à l'homme qui rassure les bourgeoisies, quand la décomposition du vieil ordre socio-politique guette.

Mais pour réussir ce tour de force qui consiste quand même à transformer une minorité sociologique en majorité politique, il faut s'inventer. C'est là que la com'intervient comme le catalyseur de l'événement. Elle construit dès le début la visibilité de Macron, notamment quand il est jeune ministre à travers la mise en scène de sa vie privée ; en fait l'homme du renouveau, alors qu'il est le produit de l'énarchie qui encadre le pays depuis plus d'un demi-siècle et qu'il a été ministre de Hollande… Macron invente une marque attractive qui masque la réalité de ses origines.

Vous n'êtes pas tendre non plus avec Macron, vous parlez d'un «scénario improbable», «d'un Julien Sorel heureux», «il n'était pas l'agent du renouveau, il n'était qu'un étrernel retour» avant d'asséner, «son aventure était un plan de com'».Cruel, non ?

Macron ne peut être réduit à son enveloppe communicante. Il a une incontestable vista. Il a su s'éjecter à temps d'un appareil en flammes. Mais il a compris aussi, mieux que ses concurrents ou prédécesseurs récents, que l'arme communicante était un outil stratégique pour asseoir son pouvoir. Il tire un enseignement des deux derniers mandats : Sarkozy et Hollande, percutés par un monde médiatique qui s'est emballé sous l'effet des réseaux sociaux et du tout-info, ont perdu le contrôle de leur com'. Macron, lui, veut tenir d'une main de fer sa com'et faire la démonstration de cette maîtrise. La com, c'est aujourd'hui le sceptre du Roi. Celui qui détient ce sceptre non seulement est crédité d'une aptitude à gouverner, mais dispose d'une clef pour domestiquer l'opinion. D'où le professionnalisme à l'américaine de sa gestion de la com'. Rien d'improvisé, tout de calculé, scénarisé comme une série télévisée, mais tout cela vise surtout à aseptiser le débat public, pour mieux atténuer les critiques et entretenir un écran entre la réalité de sa politique, qui est celle d'abord du parti technocratique, ontologiquement et modérément conservateur, faiblement démocratique (ses ministres sont souvent des experts dénués de toute attache au sol électoral) et l'image qu'il veut projeter d'une certaine empathie, d'une révolution politique. Macron transforme moins, révolutionne moins qu'il n'approfondit, prolonge les politiques publiques conduites en France depuis des décennies. Mais il le fait d'une manière plus décidée, plus résolue.

Vous y faites allusion : qu'y a -t-il de De Gaulle dans Macron ?

«Il s'efforce d'enterrer une représentation de la politique qui hésiterait, n'agirait pas ou agirait mollement. Il veut imposer l'image de l'homme qui décide. Il a une conception très managériale de la politique. Son parti est en rangs serrés, plus composé de fans que de militants, où la culture du débat paraît bridée, pour ne pas dire inexistante. Les marcheurs communiquent plus qu'ils ne débattent. Le premier d'entre eux use de toutes les techniques que lui offre le potentiel communicant aujourd'hui (sur-saturation de l'espace médiatique un jour, lien direct avec l'opinion via Twitter et Facebook un autre jour, etc...). Mais cette com'réglée laisse hors champ bien des enjeux qui restent en suspens depuis le début de mandat : sur le désendettement, le poids de la fiscalité sur les classes moyennes, sur la question migratoire et de l'identité, on chercherait en vain la religion du jeune Président, si ce n'est celle, bien comprise depuis des années, qu'il est urgent d'attendre… La com'pour le moment nous permet d'oublier les grands maux qui rodent aux portes de la cité. Jusqu'à quand ? .

 

 « Le coup de com'permanent »,

Arnaud Benedetti,

Les éditions du Cerf.

Tag(s) : #Politique française, #Oligarchie
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