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Récit de grève : une victoire à l’hôpital du Rouvray
Récit de grève : une victoire à l’hôpital du Rouvray

Sotteville-lès-Rouen, en Seine-Maritime. 30 000 habitants et un centre hospitalier psychiatrique au bord de l’explosion : manque de moyens, capacités d’accueil en réduction, patients entassés, diminution du nombre de lits, soignants à bout…

Un mouvement, les Blouses noires, s’est formé au début de l’année 2018 pour mettre au jour cette situation intenable. Noires comme le deuil. Mi-mars, les agents hospitaliers déclenchèrent une grève illimitée en intersyndicale ; deux mois plus tard, une partie d’entre eux se mirent en grève de la faim face au silence de la direction et de l’Agence régionale de santé.

Leur revendication ?

« faire correctement leur travail ». Forte de la solidarité des travailleurs — cheminots, dockers — et en dépit d’une faible couverture médiatique, la bataille fut en grande partie remportée au début du mois de juin. 

L’Association des usager·e.s et du personnel de la Santé a rencontré ces Blouses noires : récit d’une grève victorieuse.

L’hôpital du Rouvray, c’est principalement 20 unités d’hospitalisation. Dans chacune de ces unités traditionnelles, on est en général deux infirmiers et parfois un aide-soignant. Il n’y a pas toujours de médecin — ceci pour 25 à 30 patients par unité, en moyenne, toutes pathologies psychiatriques confondues.

Cela signifie qu’il peut y avoir un schizophrène, un toxicomane, un dépressif, un alcoolique, une personne âgée ou un adolescent dans la même unité… Le patient va dans celle qui est rattachée à son secteur géographique d’habitation (il y en a dix, et deux unités pour chacun).

À cela s’ajoute l’Unacor, les urgences psychiatriques, ainsi qu’une unité spécifique « enfants », nommée Rimbaud. Celle-ci comporte environ 15 lits, normalement destinés aux enfants de 3 à 16 ans.

Mais il y a des adolescents très difficiles qui ne peuvent pas se retrouver avec des plus jeunes. Ils vont, du coup, dans des services pour adultes, mais leur prise en charge est plus difficile : confrontés à des adultes malades, ils peuvent connaître des expériences qu’ils ne devraient pas vivre… Il y a déjà eu des viols et de la drogue dans l’hôpital. On ne peut pas être partout. C’est vraiment dur, quand on n’est que deux pour 30 patients, d’être toujours vigilant…

Enfin, il y a Badinter, l’unité carcérale. La différence avec la nouvelle unité pour détenus, c’est que Badinter est réservée aux séjours courts ou aux petits passages (une crise suicidaire ou un état délirant, par exemple). On a aussi une spécificité « addictologie », pour les addictions en tout genre. ​​​​​​​

« Installer des patients de 80 ans atteints de la maladie d’Alzheimer dans des lits de camp, dans des bureaux où il n’y a pas de toilettes ni rien, c’est juste inadmissible ! » ​​​​​​​

Depuis quelques années, l’hôpital s’est dégradé. On a déjà fait une grève, il y a deux ans, où on demandait plus de postes. La direction a proposé de créer un pool de remplacement, mais à partir d’embauches déjà existantes : c’est-à-dire qu’ils ont pioché des soignants dans divers services au lieu de faire de nouvelles embauches…

En 2017, il y a eu pas mal de départs en retraite ou de mises en disponibilité qui n’ont pas été remplacés. On a vu les effectifs baisser, les conditions de travail se détériorer : de moins en moins de moyens, de plus en plus de boulot administratif. Ceci au détriment des prises en charge humaines.

D’où ça vient ?

Ils informatisent tout et ils essaient de tout tracer. On est donc forcés de tout « checker » : quand on donne un médicament on le check, quand on fait des soins on les check. On travaille en quart (du matin, d’après-midi, ou de nuit) et, à chaque fin de quart, il faut qu’on fasse une transmission informatique sur tous les patients puis une transmission orale aux collègues du quart d’après.
 


On en a eu assez. Les majorations de traitement sédatif, parce qu’on va pas pouvoir passer souvent ; l’impossibilité récurrente de rassurer le patient angoissé, parce qu’on n’a pas le temps ou qu’on est que deux pour 30 et qu’on a trois entrées qui arrivent… « On va vous donner 100 gouttes de Loxapac [un anxiolytique, ndlren plus, et on verra plus tard. »

L’autre problème, c’est la sur-occupation — ça, c’est dans tous les hôpitaux. Installer des patients de 80 ans atteints de la maladie d’Alzheimer dans des lits de camp, dans des bureaux où il n’y a pas de toilettes ni rien, c’est juste inadmissible ! Ce qui devrait changer à l’hôpital, c’est que ceux qui ont le portefeuille se rendent compte du boulot qu’on fait. Qu’on arrête d’être gérés comme une entreprise, mais comme un vrai hôpital avec de vrais gens.

La formation des Blouses noires remonte à janvier 2018. On s’est dit : « L’hôpital va mal, il n’y a pas assez de personnel, on ne travaille pas dans de bonnes conditions. » Un soir, on a décidé qu’il faudrait faire quelque chose. Plus personne n’écoute les syndicats : ils utilisent de trop anciennes méthodes. On a commencé à quatre puis on en a parlé autour de nous.

 

À la base on voulait rester anonymes, faire des actions un peu secrètes pour montrer notre mécontentement ; finalement, on s’est vite rendus publics et le groupe, surtout constitué de personnel paramédical (aide-soignants et infirmiers), a grandi petit à petit.
 Puis on s’est retrouvés confrontés à nos collègues.

 

Quand on a voulu expliquer notre mouvement, on a eu droit à des « Ah ouais, mais non, de toute façon vous le faites pour vous ». Ou encore « Ben non, moi je suis plutôt contente : comme j’ai un boulot, ça me va… » D’accord, mais la conscience professionnelle elle est où, alors ? On ne peut pas dire qu’on fait un boulot correct dans des conditions pareilles, c’est impossible.

 

C’est vrai que parmi les premiers membres des Blouses noires, on était tous plus ou moins militants. Mais on a expliqué notre point de vue : on n’est pas un syndicat, on est ouverts à tous. Tout le monde peut se revendiquer « Blouse noire » s’il le souhaite : soignants, soignés, famille, derrière une même bannière. Les Blouses noires, ce sont des blouses blanches en deuil. Voilà ce que ça signifie.

 

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https://www.revue-ballast.fr/recit-de-greve-une-victoire-a-lhopital-du-rouvray/

Tag(s) : #Lutte de Classe, #Services publics, #Santé
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