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A Barcelone, les cloches Essonne dans les oreilles de Manuel Valls
A Barcelone, les cloches Essonne dans les oreilles de Manuel Valls

A Barcelone, les cloches Essonne dans les oreilles de Manuel Valls

 

Monsieur X est chef de rayon, et vend des couches culottes à Carrefour. Il aime son magasin. Mais lorsque Casino vient lui proposer de fourguer des savonettes comme directeur pour un salaire 30% plus important, monsieur X n’hésite pas. Pourquoi le ferait-il ? Après tout, Carrefour n’hésiterait pas à le balancer à la rue si cela augmentait la rentabilité du magasin. Malgré donc son attachement à son employeur, monsieur X changera de poste.

 

Monsieur Valls est député de l’Essonne. Il aime la France. Mais il est vrai que sa carrière patine, que son horizon est bouché. Ce n’est pas demain qu’il aura une augmentation. Alors, lorsque l’Espagne lui offre l’opportunité d’une promotion comme maire de la deuxième ville du pays, monsieur Valls n’hésite pas. Il dépose sa candidature.

 

Certes, dans sa tirade d’adieux à ses électeurs d’Evry, Manuel Valls déclare « aimer la France ». C’est fort émouvant. Mais le verbe « aimer » recouvre souvent plusieurs réalités. J’aime mon épouse, et cet amour implique des devoirs, des obligations envers elle auxquelles je ne saurais me soustraire sans trahir cet amour. J’aime aussi les épinards, mais je ne me sens envers eux aucune obligation. Si l’occasion se présente, je peux manger d’autres légumes sans ressentir le moindre sentiment de trahison.

 

L’amour de Valls pour la France est-il un amour comme on éprouve pour sa femme, ou l’amour qu’on peut éprouver pour les épinards ? Je crains qu’il faille conclure pour un amour du deuxième type. Ou pour être plus précis, Valls aime la France comme un cadre supérieur peut aimer son entreprise : il éprouve du plaisir et trouve du profit à y travailler, mais cela n’implique pas qu’il ne puisse la laisse pas tomber sans le moindre remords s’il trouve plus agréable ou plus rémunérateur ailleurs.

 

Le geste de Valls ne fait qu’illustrer la dérive du politique vers le gestionnaire, de la « res publica » vers la chose privée. La politique dans l’ancien monde avait un élément charnel. L’homme politique était le grand prêtre de ce dieu exigeant qu’on appelait le peuple souverain. Il en était en même temps le guide et l’oracle. Son rôle ne se réduisait pas à répartition d’un budget, à la réduction d’un déficit, à la réforme d’un dispositif administratif. De sa clairvoyance et de son attention dépendait la guerre et la paix, la vie et la mort de ses concitoyens, la place de son pays dans l’histoire. Il avait à faire des choix tragiques, rendait compte à ses concitoyens et acceptait leur verdict – pas toujours juste. A sa tâche il sacrifiait famille, amis, intérêts.

 

Dans le nouveau monde, la politique n’est qu’une affaire de gestion. Il n’y a pas de différence entre un président de la République et un PDG, entre un ministre et un membre d’un comité exécutif. On occupe une fonction de député ou de ministre non pas par devoir envers son pays ou ses concitoyens, mais parce qu’elle paye bien, qu’on est considéré, et surtout parce qu’on n’a pas trouvé mieux. Et lorsqu’on trouve, on s’en va sans culpabilité, sans remords.  Et ça ne date pas d’hier. François Hollande, ce président qui rêvait de transformer la fonction présidentielle en un emploi « normal », regrettait déjà dans un livre d’entretiens devenu célèbre que le président ne puisse pas poser ses outils à 18 heures et rentrer chez lui comme n’importe quel travailleur.

 

Ce comportement a été internalisé par l’ensemble de la classe politique, avec de très rares exceptions. Prenez Mélenchon : en 2012, il s’était proposé pour représenter les citoyens du Pas de Calais à Hénin-Beaumont. Trois ans plus tard, il se propose de représenter les citoyens du sud-ouest au Parlement européen. Son élection ne l’empêche pas deux ans plus tard de le voit candidat pour représenter les citoyens des Bouches-du-Rhône à Marseille. A chaque fois, le choix de la circonscription s’est fait sur beaucoup de critères : visibilité médiatique, chances d’être élu… en fait, un seul critère a été négligé : l’attachement à la circonscription elle-même, à son histoire, à ses gens. Et à chaque fois le départ s’est fait sans explications, sans regrets, sans excuses. On se présente à une élection comme on envoie un CV à une entreprise : si on ne vous prend pas, on candidate ailleurs. Et si l’on vous prend, cela ne vous empêche pas de continuer à envoyer des CV avec l’espoir de trouver mieux.

 

Ni Valls, ni Mélenchon, ni aucun autre de ceux – nombreux – qui suivent ce chemin ne semblent éprouver le moindre besoin de s’excuser, de se justifier, d’expliquer à l’électeur dont ils ont sollicité le suffrage et envers qui ils ont pris des engagements les raisons qui justifient un tel abandon. Dans leur tête, il n’y a pas de trahison parce que l’élu n’a aucun véritable devoir envers ses électeurs. Il n’y a pas plus de honte à les abandonner qu’à trahir les promesses qu’on leur a faites. Et ce raisonnement diffuse dans l’ensemble de l’activité politique. Prenons un exemple : un ministre de l’Intérieur – ministre d’Etat, numéro deux du gouvernement – qui déclare publiquement que finalement il préfère la mairie de Lyon, et qu’il démissionne donc de son fauteuil ministériel avec un préavis de neuf mois – faut bien continuer à toucher un salaire en attendant l’élection – pour se présenter aux prochaines municipales. Il est déjà scandaleux qu’on continue à rémunérer un ministre qui ne fait plus le boulot, et qui a déclaré que ce boulot ne l’intéresse pas. Mais plus scandaleux encore est le fait que ce ministre ne semble ressentir la moindre culpabilité lorsqu’il abandonne la mission publique qu’on lui a confiée et qu’il a acceptée. En d’autres termes, le ministre ne pense avoir aucun devoir envers le peuple français, aucun compte à lui rendre. La pensée qu’en partant il trahit le mandat qu’il a reçu ne l’effleure pas. On devient ministre comme on devient directeur du marketing, et on cesse de l’être de la même manière, parce qu’on a trouvé quelque chose de mieux, de plus rémunérateur, de moins fatigant. Et le peuple souverain ? Il peut aller se faire voir.

 

Il y a seulement quelques années, le président de la République aurait remplacé le ministre en question sur le champ, sans hésiter, parce qu’au-delà de son travail, un ministre a une fonction symbolique qui l’oblige à être exemplaire. Aujourd’hui, ni le président ni le premier ministre n’estiment devoir agir. Ni même exprimer un commentaire critique. Et on comprend très bien pourquoi : que pourrait-on reprocher au ministre en question ? De ne suivre que son intérêt personnel ? Mais n’est-ce pas là précisément l’essence du néo-libéralisme dont le macronisme n’est qu’un avatar ?

 

Descartes

Tag(s) : #Politique française
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